L’histoire de la rafle du Vel’ d’hiv, et sa préparation minutieuse par la police française, sont aujourd’hui largement connues. En revanche ce qui est mal connu, c’est le fait que les autorités allemandes ont prévu d’arrêter 22,000 Juifs et que « seulement » si on ose le dire, 12 ,884 Juifs ont été arrêtés par les policiers français. C’est bien entendu, trop de Juifs arrêtés, mais c’est 50% du nombre de Juifs programmés pour être arrêter. La question est donc, comment les policiers français, n’ont pas efficaces dans l’arrestation des Juifs ?
La rafle des 16 et 17 juillet 1942 se situe après les premières déportations de Juifs en France, au moment où les nazis vident les ghettos polonais et entament aussi les déportations en Belgique, aux Pays-Bas et au Danemark. La rafle est entièrement mise en œuvre par la préfecture de police. Sa préparation nécessite plusieurs rencontres entre les responsables français : Darquier de Pellepoix, nouveau commissaire général aux Questions juives, René Bousquet, secrétaire général à la Police, et Leguay son délégué en zone occupée et les responsables allemands : Reinhard Heydrich, adjoint de Himmler, Karl Oberg, secondé par Herbert Hagen et Heinz Röthke. L’usage de la police française pour l’organisation et la réalisation des rafles en zone occupée fut le prix que Vichy accepta de payer, pour obtenir des gains politiques. Cette grande rafle est d’une autre nature que les rafles précédentes en France : en moins de quarante-huit heures en effet (de quatre heures du matin, le 16 juillet, jusqu’au lendemain, le 17 juillet à treize heures), la police arrête 12884 Juifs à Paris et en banlieue, dont 4051 enfants». Une opération d’une telle ampleur a été nécessairement longuement et soigneusement préparée. Il faut souligner en particulier que 9000 fonctionnaires français (et parmi eux 4000 policiers) ont été mobilisés pour cette rafle baptisée non sans ironie « opération vent printanier »[1].
Concrètement, il convient de souligner que la rafle fut un échec du point de vue des autorités allemandes. Il a été prévu d’arrêter 22000 juifs, mais en raison des nombreuses fuites et la transgression des lois et des ordres, « seulement » 12884 Juifs sont arrêtés. L’une des raisons, la plus évidente, comme le souligne Heintz Röthke[2] lui-même « que des fonctionnaires de la police française auraient dans différents cas renseigné les personnes à arrêter par eux, en leur conseillant de ne pas séjourner dans les appartements les 16 et 17 juillet 1942 ». Á cela, il faut ajouter la passivité ou la mauvaise volonté qu’auraient manifestée certains policiers et gendarmes. Pour se décider à désobéir aux lois et aux instructions reçues en cet été 1942, il fallait non seulement vaincre la peur et la résignation, mais aussi faire preuve d’un rare courage pour venir informer les Juifs avant leur arrestation, leur fournir des faux papiers ou leur indiquer des lieux pour se cacher à Paris ou ailleurs. Qui sont ces policiers et autres personnes qui se chargent d’aider les Juifs à se cacher en prenant des risques importants ?
Marie-Charles Démoulin est brigadier au commissariat du 19ème arrondissement. C’est un fils de cultivateurs. Entré comme gardien de la paix stagiaire le 10 mai 1928, il devient brigadier le 23 juin 1938. Dès 1940, Adrien Peltier, licencié en droit, entre en résistance. Il a trente-six-ans. En 1941, il est en charge dans le 14ème arrondissement du mouvement Les Volontaires de la mort. Il utilise sa position au sein de la préfecture pour apporter son aide à des personnes pourchassées. Son épouse s’implique comme lui dans le sauvetage des Juifs. Après avoir reçu l’information qu’une grande rafle se prépare à Paris en 1942, il charge son épouse Simone, d’informer une famille juive, les Sztern, d’origine polonaise et propose d’héberger leur fille et de trouver un autre hébergement aux parents par mesure de sécurité. On peut supposer que ce ne fut pas la seule famille.
À la veille de la rafle du Vel’d’Hiv (17 juillet 1942) l’officier de police, Victor Marchand vient avertir la famille Orfinger, dont la fille étudie avec sa propre fille, Micheline Marchand. Le lendemain matin, alors que la police se trouve déjà dans l’immeuble voisin, Victor Marchand emmène toute la famille Orfinger chez lui, dans le petit logement qu’il occupe dans la rue voisine où elle se cache pendant quelques jours. Plus tard, la famille Orfinger s’installera à Lyon[3]. Le policier Victor Marchand fera par la suite l’objet d’une procédure de radiation des cadres de la préfecture de police.
Le commissaire de police Barbotin, prévient régulièrement les familles juives avant les rafles[4] Le commissaire de police, Duclos, amateur d’art et ami de Georges Kars, prévient la sculptrice Hana Orloff, d’une éventuelle rafle, et lui indique une filière clandestine sûre pour réussir son passage en Suisse[5]. Á la veille de la rafle du Vel’ d’Hiv, le 16 juillet 1942, plusieurs policiers recueillent des Juifs, souvent des voisins. Dans le 20ème arrondissement, la jeune Catherine Sztern est hébergée par ses voisins Charles et Simone Demoulin. La voisine et amie du couple Gibaud, Perla Horonczyk sa fille, Francine, sont accueillies par la belle-mère de l’inspecteur de police à Courlon (Yonne) avant d’être confiées à deux autres familles: les Sarro, et les Barthelemy[6].
Entré à la préfecture de Police comme gardien de la paix en 1922, Aristide Marcel Babin, a entretenu des relations avec la bande Bonny-Lafont pour pouvoir demander une intervention en faveur des Juifs et d’autres personnes traquées qu’il hébergeait. Depuis la fin de l’année 1941, il fournit de faux papiers aux gens recherchés par les Allemands, qu’il protège. En 1942 et 1943, il fournit avec le Lieutenant Yonnet un nombre important de cartes d’identité et des fiches de démobilisation destinées à des réfractaires et en particulier à des juifs. Il adhère au mouvement Armée des Volontaires, à la fin de l’année 1941. Le but immédiat de ce mouvement est d’aider les prisonniers évadés en établissant de faux papiers, tels que les fiches de démobilisation, des cartes d’alimentation et des fausses cartes d’identité. C’est en mars 1943, que le mouvement est découvert par la police allemande et que nombreux résistants sont arrêtés[7]. Parmi les fonctionnaires de la police française, tout particulièrement ceux présents à la direction de la police municipale parisienne, nombreux prennent des risques pour prévenir les Juifs menacés d’arrestation.
C’est le cas de Maurice Dupin, fonctionnaire à la préfecture de Police de Paris, qui intervient en faveur du juif Haron Cohen. Il l’a probablement fait également en faveur d’autres Juifs[8]. Le chef du bureau à la préfecture de police de la Seine et secrétaire général de la mairie du IXème arrondissement, Risaud, organise dès 1940 un service de délivrance de cartes aux prisonniers de guerre évadés, en collaboration avec Jean Delarue, le sergent-chef Fabre et bien d’autres. Ce service permet à environ 250 prisonniers de demeurer à l’abri dans Paris et d’obtenir notamment des permis de travail[9]. Selon le rapport du Commissariat aux Question Juives (CGQJ), deux juifs polonais, Nicolas et son frère Henri Nilch, recherchés par la police, se cachent dans une pension de famille rue de la Pompe, tenue par la sœur du général Dufoulon. Ces deux juifs, sont en réalité protégés par la police, et en particulier par le commissaire Bazin, commissaire du quartier de Vivienne. Un autre rapport confirme que plusieurs personnalités hautes placées à la préfecture de police intervenant pour éviter divers ennuis à des Juifs.
L’inspecteur Rigal prend sur lui dès le 12 juillet de mettre en garde la famille Epstein. Mais le père est très malade et il estime que son état de santé le protège contre une arrestation. Il juge par ailleurs que sa femme et ses deux enfants ne sont pas concernés par une rafle éventuelle et qu’ils ne risquent rien. Cependant, toute la famille sera arrêtée le 16 juillet. Le 21, tous sont transportés de Drancy à Auschwitz. Seul, le fils Bernard reviendra en 1945[10].
Le commissaire de police Jean Pouzelgues, est arrêté par la Kommandantur de la Police de Sûreté et des S.D à Paris, accusé d’avoir établi une carte d’identité au nom de Brom, pour le juif Brontman, sans indiquer qu’il était Juif, afin de le protéger en cas d’arrestation. Au cours de son interrogatoire Pouzelgues a déclaré qu’il avait établi de façon illicite des cartes d’identité pour un certain nombre d’autres personnes, afin, paraît il de faciliter des voyages aller et retour de Sète qui se trouve dans la zone côtière interdite[11].
Le capitaine Quivaux, commandant la section d’Exelmans, informe une bonne dizaine de gendarmes, les plus sûrs, quelques jours avant la rafle du 16 juillet 1942, que les Juifs déjà recensés allaient recevoir une convocation pour se rendre au commissariat le 16 au matin. « Si vous en connaissez, leur dit-il, allez les prévenir discrètement de se soustraire à la rafle. Ils doivent être internés administrativement, des camps seront aménagés pour les recevoir. Surtout, soyez discrets »[12]. Dans d’autres quartiers de la capital, les gendarmes Lefourn, Omnès, Darolles et d’autres divulguent la même information incitant de nombreux juifs à prendre la fuite rapidement ou à se cacher.
Le gardien Maurice Truchet, né en 1909, informe ses amis juifs de la rafle projetée le 16 juillet 1942. Il accueille chez lui, Abraham Luksenburg et sa famille pendant trois semaines. Il fait partir l’épouse et le fils à Cannes, et continue d’assister le père qui reste sur place. Il le place dans un logement vacant d’un immeuble où le gardien Camuset, un ami, fait office de concierge.
Particulièrement intéressant est le cas du commissaire Renseignements Généraux, René Cougoule. Lors de la création des Brigades spéciales en août 1941, il aurait été considéré comme trop tiède et muté au service des étrangers. Il est régulièrement accusé par les services du CGQJ, et en particulier par la Gestapo, d’être impliqué dans l’aide aux Juifs. Il informe régulièrement ces amis Juifs d’une éventuelle rafle ou arrestation. D’autres témoignages, confirment les nombreux actes de désobéissance civile de ce policier courageux.
C’est le cas également du gardien de la paix Henri Emile Antoine, né en 1896, nommé au commissariat de Montreuil, il prévient plusieurs familles juives, dont la famille Katz, qu’il connaissait, de la rafle du Vel’ d’Hiv qui aura lieu prochainement.
Au total, on constate que si selon les rapports des préfets, la police et les autres responsables avaient obéi aux ordres de manière pratiquement générale, on peut déceler progressivement de nombreux signes de malaise dans leur exécution. Á Paris, certains responsables provoquent des fuites et de nombreux Juifs sont mis en garde. Agé de 14 ans à l’époque, Yves Cornu se souvient que son père, alors gendarme à Rouen, l’envoie porter des messages à certaines familles de la place des Emmurés pour les prévenir et les inciter à fuir. Actuellement, il est impossible de quantifier toutes ses activités courageuses en faveur des juifs, car les historiens préfèrent étudier les policiers zélés et collaborateurs, et les personnes qui ont dénoncé les Juifs « contribuant » ainsi à leur arrestation[13].
Les différentes localités dans la Mayenne à l’exemple de Laval, Château-Gontier, Changé, Evron, Chantrigné, Désertines, Pré-en-Pail, Vaiges, sont particulièrement touchées par des arrestations antisémites, menées à partir de 1942 par les autorités allemandes. Toutes ces arrestations, effectuées pour différents motifs, sont suivies d’internement et ensuite de déportation. On trouve certains commissariats, particulièrement zélés, comme celui de Château-Gontier qui réclame aux maires la « Juive Baum », ou celui de Laval[14]. Mais on note de juin 1942 à novembre 1943, dans les rapports de gendarmerie que les brigades d’Evron, des Villaines-la-Juhel, de Sainte-Suzanne et d’Ambriéres, ont prévenu plusieurs personnes avant leur arrestation. La brigade d’Entrammes garde en secret le lieu de refuge accordé à une famille par les moines trappistes pendant toute la guerre. Le lieutenant Pana, de Vannes, fournit à une famille arrêtée le 26 mai 1942 de faux certificats médicaux lui permettant à l’exception de la mère, de gagner Paris, puis la Suisse. Sur la circonscription de la brigade de Vibraye (Sarthe) quarante-trois personnes menacées d’arrestation et de déportation se cachent. La brigade garde le silence et détourne les investigations de la Gestapo, suscitées par des lettres anonymes. La brigade du Grand-Lucé agit de même pour dix-neuf personnes camouflées dans la circonscription. Un mois après son arrivée à Angers, Hans-Dietrich Ernst chef de la Gestapo locale, organise le premier convoi de déportation des juifs de la région[15]. C’est le 20 juillet 1942, que le convoi de Juifs d’Angers, le seul de zone occupée à avoir été mis sur pied, part en direction direct vers Auschwitz avec 827 Juifs, parmi eux, 201 Français arrêtés sous prétexte d’infractions diverses[16].
Il est toujours plus facile de se rappeler des Juifs arrêtés, et de leurs « bourreaux », ceux qui ont obéi aux ordres, et c’est aussi un devoir de mémoire. Mais dans un pays, ou 220,000 Juifs (75%) des Juifs n’ont pas été arrêtés et déportés, et ont survécu avec l’aide de plusieurs français et françaises, qui ont risqué leur vie pour les secourir, c’est aussi un devoir de mémoire de se rappeler de ces gens courageux qui ont tendu la main dans cette période cruelle.
Limore Yagil
Historienne
Notes
[1] Pour une analyse plus complète : Limore Yagil, Désobéir. Des policiers et des gendarmes sous l’Occupation, Nouveau Monde, 2018 ; Lucien Stienberg, Les Allemands en France 1940-1944, Albin Michel 1980 ; Laurent Joly, L’Etat contre les Juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite, Grasset, 2018 ; Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la question juive, Fayard, 1983-1985, 2 vol.
[2] Heinz Röthke a été avec Theodor Dannecker l’un des principaux responsables de la déportation des juifs de France de 1940 à 1944.
[3] Archives de Yad Vashem/ dossier des Justes parmi les Nations : M31/ 4279
[4] M31/7385 : dossier Barbotin.
[5] Limore Yagil, Au nom de l’art 1933-1945 : exils, solidarités et engagements, Fayard, 2015, p. 108-109.
[6] Musée de la résistance nationale Champigny sur Marne, Dossier N°2: Justes à l’honneur.
[7] Bernard,Vaugon, , « La préfecture de police de Paris pendant l’Occupation allemande » Administration , n° 144, 1989, p. 143-145.
[8] CDJC/CXVII-28.
[9] Limore Yagil, Désobéir. Des Policiers et des gendarmes, op . cit., p. 191-206 ; Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy : sauvetage et désobéissance civile, Cerf, 2005,p. 513-516.
[10] Jean-Marie Muller, Désobéir à Vichy. La résistance civile de fonctionnaires de police, P.U.N, 1994.
[11] Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1944 : sauvetage des Juifs, Cerf, 2010, T. 2.
[12] Pierre Accoce, Les gendarmes dans la résistance, Presses de la Cité, 2001, p. 145.
[13] Voir en particulier : Laurent Joly, Dénoncer les Juifs sous l’Occupation 1940-1944, CNRS 2017 ; Jean-Marc Berlière, Policiers français sous l’Occupation, Perrin, Tempus 2001 ; Raphaël Delpard, Aux ordres de Vichy. Enquête sur la police française et la déportation, Ed. Michel Lafon, 2006 .
[14] Foucault Rémy, Les juifs en Mayenne et l’antisémitisme, 1940-1944, Service éducatif des Archives de la Mayenne, 1997.
[15]Serge Klarsfeld, Le mémorial de la déportation des Juifs de France, convoi N° 8; Limore Yagil, Le sauvetage des Juifs dans l’Indre-et-Loire, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Loire-Inférieure, 1940-1944, Geste éditions, 2014.
[16] Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, op. cit., p..136.
Merci pour ce texte.
je n ai pas aimé ce texte
encore moins le titre
mes parents ont été déportés
je trouve qu il est indécent de parler ainsi
Les travaux de Limore Yagil sont d’une valeur inestimable. Elle a notamment montré, faits à l’appui, que la France des Justes était majoritairement la France rurale, la France du « petit peuple » (San connotation péjorative de ma part, évidemment) _ la « France d’en bas » méprisée par la bourgeoisie possédante ayant majoritairement collaboré avec l’Allemagne nazie. L’électorat Macroniste et Européiste est sociologiquement et idéologiquement héritier de la France collaborationniste. Une grande partie de l’électorat NFP-PS-EELV-LFI également. Les remarquables travaux de Limore Yagil rendent un hommage mérité aux Justes de la France d’en bas, qui est la véritable France d’en haut, et nous aident à comprendre le présent puisque partout en Europe et en occident, la bobosphère (*) est en grande partie l’alliée de la peste brune islamonazie _ soit par intérêt, soit par idéologie.
(*) évitez de me parler des exceptions à la règle : il ne s’agit pas de généraliser dans un sens ou dans l’autre mais il existe bien des tendances réelles mesurables en termes de vote. De même, les Islamonazis sont statistiquement extrêmement nombreux (beaucoup plus que dans la plupart des autres professions) dans les milieux éducatif et universitaire mais ce n’est pas une règle générale.