INTERVIEW. L’historien militaire Pierre Razoux explique pourquoi les frappes israéliennes sont beaucoup plus handicapantes pour Téhéran que ce que l’on croit.
C’est une première dans l’histoire. L’État d’Israël a revendiqué, samedi 26 octobre, avoir réalisé des raids aériens de « précision » contre des sites militaires en Iran, en représailles de l’attaque iranienne au missile sans précédent menée le 1er octobre dernier contre le territoire israélien.
Après les premières constatations sur place, une vingtaine de cibles auraient été visées par Tsahal, dont des sites de fabrication de missiles, des batteries de défense antiaérienne et des systèmes de radar dans au moins trois régions : Téhéran, le Khouzestan et l’Ilam, dans le sud-ouest du pays.
Si la riposte israélienne était attendue depuis trois semaines, son ampleur limitée a quelque peu surpris alors que le ministre israélien de la Défense avait promis une réponse « mortelle, précise et particulièrement surprenante ».
Directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (Fmes), l’historien militaire Pierre Razoux est un des meilleurs analystes stratégiques couvrant le Moyen-Orient.
Dans un entretien au « Point », l’auteur de « Tsahal. Nouvelle Histoire de l’armée israélienne et La Guerre Iran-Irak » (Perrin) explique pourquoi les frappes israéliennes sont beaucoup plus handicapantes pour l’Iran que ce que l’on croit.
Le Point : Beaucoup d’observateurs ont été surpris par la modération de la riposte israélienne à l’Iran. Est-ce aussi votre cas ?
Pierre Razoux : Pas du tout. Je trouve cette riposte extrêmement calibrée et intelligente dans le cadre de la partie de ping-pong engagée entre Israël et l’Iran. Contrairement à ce que je pensais moi-même, cette attaque ne s’est pas révélée spectaculaire et a fait un nombre réduit de victimes : quatre soldats de l’armée iranienne qui opéraient sur des sites de défense antiaérienne. La volonté manifeste d’Israël de ne pas humilier l’Iran permet à ce pays de décrire le narratif qu’il souhaite en interne.
En réalité, Israël a signifié, à mon sens, à l’Iran, qu’il l’avait dénudé en frappant son système antiaérien dans ce qu’il a de plus performant, c’est-à-dire les batteries S 300 livrées par la Russie. C’est la même logique de signalement stratégique qui s’était déjà produite lors de la riposte israélienne du 19 avril dernier, lorsque Tsahal avait déjà détruit une batterie antimissile S 300 à Ispahan, près du site nucléaire de Natanz.
Mais cette fois, l’ampleur est bien plus importante. Le message est qu’Israël a détruit les meilleures batteries antimissiles sol-air iraniennes, qui plus est à côté d’objectifs stratégiques : le nucléaire, la balistique, la recherche et le pétrolier. La prochaine fois, les avions israéliens pourront par conséquent se balader comme ils le souhaitent au-dessus de l’Iran et bombarder ce que bon leur semble. À ce titre, je pense que c’est un signal très fort qui confère un avantage important à Israël.
Est-ce à dire que l’Iran est aujourd’hui nu ?
L’Iran n’est pas nu, mais il est sérieusement affaibli en termes de défense antiaérienne alors même qu’il était déjà faible. Désormais, je pense que les pilotes et les opérateurs de drones se disent qu’ils pourront agir à l’avenir à peu près partout au-dessus du territoire iranien sans trop de difficultés. Il s’agit donc d’une menace dissuasive extrêmement forte. Voilà pourquoi je pense que l’ayatollah Khamenei a déclaré qu’il ne fallait pas sous-estimer la portée de ces attaques, car en réalité, l’Iran est atteint.
Côté iranien, certains analystes estiment au contraire que cette attaque n’a pas modifié l’équation mise en place par l’Iran le 1er octobre avec ses frappes, qui ont perforé, en certains endroits, la défense aérienne israélienne.
Il est normal qu’ils disent cela pour correspondre au narratif de leur pays. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le 1er octobre, il n’y avait pas en Israël de batteries américaines antiaériennes Thaad, livrées depuis à l’État hébreu, ni de destroyers américains qui sont arrivés près des côtes, et possèdent à bord leur propre système antimissile. Dorénavant, un bouclier américain antimissile protège Israël, ce qui permet à l’État hébreu d’économiser ses propres stocks de missiles.
La modération affichée par Israël contre l’Iran ne s’explique-t-elle pas non plus par la pression exercée par l’administration Biden, qui veut à tout prix éviter une guerre ouverte avec l’Iran ?
Oui, et à ce titre, les Israéliens n’allaient rien faire pour mettre en difficulté Joe Biden. Leur message envoyé aux États-Unis est très clair : le gouvernement israélien a été raisonnable et a respecté le souhait américain parce qu’il a compris qu’il avait un besoin impératif de conserver cette batterie antimissile Thaad sur place.
À Washington de respecter sa part du contrat en livrant rapidement des intercepteurs à haute dose pour compléter ses stocks. Car le jour où les Américains décident de retirer ce système, ainsi que le personnel et les missiles qui vont avec, alors oui, Israël se retrouvera pour le coup en difficulté.
Quel itinéraire les avions israéliens ont-ils emprunté pour frapper l’Iran ?
Les avions israéliens ont frappé l’Iran en traversant la Jordanie, la Syrie, l’Irak et la frontière iranienne, ce qui est important quand on sait que l’Irak et la Syrie sont des pays sous contrôle ou demi-contrôle iranien. C’est une manière pour Tsahal de dire qu’il rentre dans ces pays comme il le souhaite, sans que les Iraniens ne voient quoi que ce soit.
Bien sûr, les Israéliens ne sont pas passés au-dessus de la Turquie, car cela se serait avéré compliqué avec Recep Tayyip Erdogan, ni au-dessus des monarchies du Golfe, ce qui est crucial. Cela signifie qu’Israël ne veut pas se mettre à dos les monarchies arabes en les mettant dans une position de porte-à-faux vis-à-vis de l’Iran.
Enfin, pour ce qui est de la Jordanie, il s’agit d’une démonstration selon laquelle, à partir du moment où ce pays est lui-même protégé par les États-Unis, qui étaient forcément au courant du raid, alors ces derniers ont demandé aux Jordaniens de fermer les yeux. Bien sûr, cela fragilise ce pays.
Avec ce nouveau cycle d’attaques iraniennes et de représailles israéliennes, la boîte de Pandore de la guerre est-elle ouverte entre les deux pays ?
Si elle l’est davantage que la première fois, la boîte de Pandore n’est pas complètement ouverte. C’est-à-dire que les Israéliens disent aux Iraniens que s’ils sont raisonnables et qu’ils cessent leurs frappes directes contre Israël, alors ils peuvent en rester là. En revanche, s’ils continuent, la prochaine riposte sera bien pire, car l’Iran n’aura plus rien pour intercepter les frappes israéliennes, et sera humilié avec une attaque spectaculaire.
Donc, la balle est dans le camp des Iraniens qui doivent digérer tout cela.
Si l’ayatollah Khamenei n’a pas voulu minorer l’impact de ces frappes, c’est bien que son entourage a compris que le bouclier iranien avait été fêlé.
Et que la prochaine fois, celui-ci peut complètement casser.
Est-ce à dire que les Iraniens ne riposteront pas ?
Je ne suis pas dans la tête des Iraniens. Disons que si l’ayatollah Khamenei est toujours en bonne santé et que c’est encore lui qui dirige le pays, alors la logique veut qu’il n’y ait pas de riposte iranienne, en tout cas directe, et que l’Iran reviendra aux « basiques », à savoir les « proxys » iraniens dans la région et les attentats.
Le raisonnement serait alors de poursuivre l’affaiblissement indirect d’Israël en déstabilisant la Jordanie et en essayant de soulever une partie de la Cisjordanie, même si cela va être compliqué car l’armée israélienne y a préventivement démantelé un grand nombre de structures du Hamas et du Djihad islamique.
En parallèle, l’Iran continuerait à isoler diplomatiquement Israël sur la scène internationale. Maintenant, si le guide était en mauvaise santé et que la lutte pour sa succession était déjà engagée, comme l’estiment certains milieux aux États-Unis et en Israël, alors oui, il y aurait un risque de riposte directe et d’escalade car il existe aujourd’hui, en Iran, des factions ultraconservatrices très favorables aux pasdarans, qui sont institutionnellement chargés de la force balistique du pays. Maintenant, s’il devait y avoir une opération de rétorsion visible de la part de l’Iran, celle-ci n’aurait pas lieu avant le 5 novembre prochain afin d’attendre l’identité du prochain président des États-Unis.
Dans la situation actuelle, les Iraniens peuvent-ils être encouragés à se doter au plus vite de la bombe atomique pour sanctuariser leur territoire ?
La question du nucléaire est le dossier le plus brûlant qui dépendra du nouveau président américain. Si Kamala Harris était élue, je pense que les Iraniens continueront à discuter avec les Américains et leur faire miroiter le fait qu’ils ne franchiront pas le seuil nucléaire. Mais si c’est Donald Trump, dont ils savent qu’ils n’ont rien à attendre sinon des problèmes, alors ils pourraient être tentés de gagner du temps jusqu’en juillet 2025, date à laquelle l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) cessera officiellement d’exister.
Téhéran pourrait alors en profiter pour sortir du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et se lancer dans l’obtention de bombes atomiques et se déclarer puissance nucléaire, comme l’Inde et le Pakistan. C’est probablement le calcul qui est déjà fait en Iran, même s’il n’est pas encore officialisé pour le moment, les Iraniens attendant le bon prétexte pour le faire.
En résumé, la réponse de l’Iran à Israël pourrait ne pas être des frappes massives contre l’État hébreu mais la fabrication de la bombe atomique, car à ce moment-là, tout le monde ira discuter avec Téhéran. Les Iraniens ont compris aujourd’hui qu’ils ne gagneront pas la bataille technologique contre Israël.
Donc les Iraniens souhaitent absolument une victoire de Kamala Harris. Tout comme les Macronistes et Européistes…Et pour cause ! L’alliance entre la Russie et l’Iran n’est qu’économique et circonstancielle, due aux circonstances géopolitiques. L’alliance entre le régime Iranien, le Qatar, l’Algérie, l’Afrique du Sud, le parti national-démocrate US et l’UE est beaucoup plus profonde : c’est le même camp idéologique. Représenté aux USA par BLM et en France par les « indigènes de la République ».