Pascal Bruckner : “Tout atermoiement avec Téhéran sera payé au centuple par nos enfants et nos petits-enfants”. Par Pascal Bruckner

Pascal Bruckner Par Fabien Clairefond

TRIBUNE – Pour le philosophe, l’avenir des démocraties occidentales se joue dans leur attitude de fermeté face à Moscou et Téhéran. Il considère qu’elles ont aujourd’hui une occasion unique de défaire le régime des mollahs.


Ils sont quatre plus un : l’Empereur, le Gangster, le Clown et le Turban. Le cinquième est le Duplice. On aura reconnu Xi JinpingVladimir Poutine, Kim Jong-un, l’ayatollah Khamenei ainsi que Recep Tayyip Erdogan. Le seul point commun à tous ces leaders est leur haine de l’Occident et leur nostalgie de l’empire. À l’exception du dirigeant de Pyongyang, qui envoie des hommes combattre sur le front ukrainien et voudrait placer toute la péninsule coréenne sous sa tutelle. Or ces quatre plus un – Erdogan, grand négateur du génocide arménien, joue double ou triple jeu, aide l’Ukraine contre Moscou et reste un membre turbulent et incontournable de l’Otan – sont en train de former un nouvel axe militaro-économique destiné à encercler nos démocraties et à en saper les principes.

Leur détestation de ce que nous incarnons, la liberté, l’égalité et le pluralisme, est sans faille. Ils aiment à se présenter comme les défenseurs du « Sud global », nouvelle appellation du tiers-monde de jadis, contre l’impérialisme européen. Et ce par le biais d’une distorsion historique majeure que j’avais analysée dès 2006 (dans La Tyrannie de la pénitence) : faire du colonialisme la malédiction de l’humanité plus que du fascisme ou du stalinisme. Au prix de minimiser la Shoah, un simple épisode comme le sujet colonial en a connu, jadis, « des exterminations à gogo », selon les mots de l’indigéniste et antisémite Houria Bouteldja.

C’est l’avocat Jacques Vergès au procès Barbie qui n’aura de cesse de répéter comme un mantra : le nazisme n’est que l’autre face du colonialisme, un épiphénomène dans l’abomination absolue qu’a été l’impérialisme occidental. À en croire cette nouvelle doxa, Hitler s’est précédé lui-même dès les premières expéditions autour du globe et il était présent chez Magellan et Vasco de Gama comme chez Christophe Colomb lorsqu’il posa le pied aux Amériques. Qu’importe la vérité historique de cette réécriture, elle a surtout une vérité polémique et se monnaye en slogans pour permettre à la Chine, à la Russie, à la Turquie d’avancer leurs pions en Afrique et en Amérique latine et à l’Iran de continuer à incarner aux yeux du monde arabo-musulman l’axe de la résistance face à Israël.

Or cette alliance des brutes connaît aujourd’hui un maillon faible : le régime de Téhéran, miné par la destruction du Hamas, la décapitation du Hezbollah, les sanctions économiques et l’insurrection du peuple iranien contre lui. Il est mûr pour tomber. Il chancelle comme chancelait l’Union soviétique en 1989 avant la chute du mur de Berlin, le 9 novembre. Une attaque conjointe israélo-américaine appuyée par la France, l’Angleterre et les monarchies arabes porterait un coup fatal à ce régime terroriste qui pend les femmes, torture ses opposants, opprime ses minorités, sème la mort dans toute la région, indifférent au sort des Palestiniens qu’il instrumentalise à des fins d’hégémonie.

À ce projet, on opposera deux objections : n’est-ce pas réitérer l’erreur de George Bush en 2003 soucieux de refaçonner le visage du Proche-Orient en attaquant l’Irak de Saddam Hussein et en donnant naissance malgré lui à Daech et au chaos ? Mais nul ne veut « occuper » l’Iran, juste l’affaiblir et le ramener militairement vingt ans en arrière pour l’empêcher d’accéder à la bombe. Il s’agit, par des missiles et des raids aériens, et sans intervention humaine directe, de faire vaciller une tyrannie obscurantiste, non pas de refaçonner de manière prométhéenne le Moyen-Orient.

La vraie difficulté vient des États-Unis eux-mêmes : échaudés par leurs échecs en Afghanistan et en Irak, ils sont devenus profondément isolationnistes. C’est le point commun qui relie Barack Obama à Donald Trump et Joe Biden. « No more boots on the ground », plus de soldats sur le terrain : après le Vietnam, l’Irak et l’Afghanistan, l’opinion publique ne veut plus voir mourir un seul « boy » pour une cause étrangère. Croire que le candidat du Parti républicain, en cas de victoire, le 5 novembre, lancerait une croisade de fer et de feu sur la République islamique est une illusion funeste. S’il remporte l’élection, c’est aussi par sa promesse de ne pas engager les troupes dans une guerre étrangère.

Celui qui a été roulé dans la farine par le petit clown nord-coréen peut bien s’époumoner en rodomontades, il ne fera rien, une fois élu, comme il n’a rien fait après 2016, à part l’élimination du général Qassem Soleimani en janvier 2020. D’autant que Trump, grand méchant mou et ardent soutien de Poutine, ne voudra pas peiner son ami du Kremlin en détruisant un régime qui alimente les troupes russes en missiles et en technologies dans leur guerre contre l’Ukraine. Il est l’homme du deal, non du déploiement des canons et des troupes. Il préfère la guerre civile sur le sol de sa patrie…

L’occasion d’en finir avec le funeste régime installé à Téhéran depuis 1979 ne pourrait être qu’une décision bipartisane et requiert une audace qui manque chez les démocrates comme chez les républicains alors que le pays est obnubilé par la course électorale. Cette fenêtre stratégique ne se présentera pas de sitôt. Ajoutons que le cancer islamiste qui a gagné la planète, chiites et sunnites confondus, à partir des années 1980, a connu un essor incontestable avec l’ayatollah Khomeyni et donné naissance à ces innombrables métastases que sont al-Qaida, Daech (même s’ils se détestent) et les sectes djihadistes issues des Frères musulmans, eux-mêmes appuyés par Téhéran. Leur haine du grand Satan global, États-Unis, Europe et Israël, est plus forte que les dissensions théologiques entre chiites et sunnites.

Dans cette configuration, la France a une responsabilité particulière puisqu’elle a hébergé à Neauphle-le-Château en 1978 et 1979 le futur ayatollah Khomeyni, par un aveuglement propre à la droite giscardienne, encouragée par l’intelligentsia de ces années-là, dont Michel Foucault, qui salua dans les événements d’Iran une « révolution spirituelle » et qualifia Khomeyni de « saint homme ». Avant de se raviser, mais trop tard. Le philosophe iranien Daryush Shayegan l’a répété à plusieurs reprises : la chute de la République islamique portera un coup fatal à l’islam politique et contraindra les sociétés arabo-musulmanes à abandonner peu à peu l’obscurantisme religieux pour des accommodements plus raisonnables avec la modernité. Frapper l’Iran, et le frapper impitoyablement, c’est affaiblir Vladimir Poutine, fragiliser l’alliance entre Pékin et Moscou, désorganiser les réseaux d’allégeance entre les mafias, les narcotrafiquants et ces régimes corrompus.

Deux nations sauvent aujourd’hui l’honneur du monde démocratique : l’Ukraine et Israël, en proie aux mêmes ennemis puisque Poutine et Khamenei sont liés par un traité d’amitié et que le premier soutient ouvertement le Hamas, le Hezbollah et les talibans. Il faut couper les têtes de l’hydre une à une. Esquiver cette opportunité serait une faute contre la liberté et exposerait les dirigeants occidentaux à un déshonneur durable. Moscou comme Téhéran parient, peut-être à tort, sur la fatigue de l’Europe et des États-Unis. 

« La victoire revient à celui qui tient le dernier quart d’heure » (Carl von Clausewitz). Si par malheur l’Iran s’en sortait avec quelques égratignures, si l’Ukraine tombait, faute d’avoir été vraiment secourue par l’Occident, minée par le rouleau compresseur de l’Armée rouge, les répercussions seraient innombrables: Téhéran continuerait à terroriser les pays arabes du Proche-Orient, Égypte comprise, l’Otan s’effondrerait et l’Europe serait menacée dans ses fondements, à la merci de l’ogre russe. Elle deviendrait un sanatorium de luxe, prête à se laisser dépecer pièce à pièce par tous les prédateurs.

Tout atermoiement avec Téhéran, pilier du Kremlin, sera payé au centuple par nos enfants et nos petits-enfants. Quant au « Sud global », pour reprendre ce terme caoutchouteux, il suivra le vainqueur : si la Russie, tête de pont de l’Internationale des voyous, s’empare du Donbass et de la Crimée, si les terroristes chiites ou sunnites prévalent, les prédateurs de toutes sortes se frotteront les mains. Pillages, tueries, violences seront exonérés par l’exemple du grand frère moscovite et l’impunité de la mollarchie. Les despotes du monde entier nous observent : trop d’atermoiements au Proche-Orient, trop d’hésitations de la part de Joe Biden, Emmanuel Macron, Olaf Scholz ou Keir Starmer constitueraient un soulagement pour Poutine, Xi, Erdogan.

Il n’est pire calamité en histoire que l’indécision. Elle signifierait que le monde occidental est faible et peut tomber comme un fruit mûr. La peur doit changer de camp, les démocraties ne peuvent qu’être armées et même surarmées face aux nouveaux ogres. Quelle que soit la forme prise par les représailles, paralysie du système électrique, destruction des infrastructures militaires et nucléaires, élimination ciblée des chefs des gardiens de la révolution, le moment est venu d’en finir avec l’Iran des mollahs. Le dépérissement de ce régime inique constituerait aussi une avancée importante pour travailler à une réconciliation entre Palestiniens et Israéliens. C’est la prudence, « l’art de bien se conduire dans une histoire incertaine » (Aristote), qui commande parfois de saisir la chance historique quand elle se présente.

© Pascal Bruckner

Dernier ouvrage paru : “Je souffre donc je suis. Portrait de la victime en héros“. Grasset. 2024

Source: Le Figaro

https://search.app/tdEFjX17hnDyAzR7A

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

4 Comments

  1. Ce qu’il faut rappeler, c’est que les Arabo-musulmans islamistes ont été les champions toutes catégories du colonialisme et de l’esclavagisme. Et ce depuis l’Hégire. Et c’est toujours le cas. Houria Boutelda et Rockaya Diallo sont des Nazies négationnistes stricto sensu (négation de crimes contre l’humanité) mais la France, la Belgique et les pays anglo-saxons eux aussi aux mains des Nazis indigénistes ont mis en place un révisionnisme et un négationnisme identitiques à ceux des Dictatures islamistes.
    Historiquement, le sionisme est une lutte de libération contre le colonialisme islamiste mais les Français l’ignorent parce
    que la version officielle de l’histoire dans nos pays relève du Négationnisme.

  2. Inutile de préciser et de rappeler que la partie sur l’Ukraine et la Russie est un contre-sens politique, géopolitique et idéologique absolu…Je l’ai déjà fait dans d’autres commentaires, d’autres que moi l’ont déjà fait : c’est une perte de temps, comme essayer de vider la mer avec un tasse de café ou parler de la relativité générale à des platistes. Le parti démocrate US, la France et l’Angleterre appartiennent au même camp politique et idéologique que l’Iran et le Liban. Macron ne le cache même plus ! J’ignore si Bruckner croit aux énormités qu’il profère mais la France a depuis longtemps cessé d’être un pays de Lumières :
    “L’ignorance c’est la force”…

  3. Présenter le régime ukrainien comme un modèle de démocratie, il faut oser !!!
    Mais comme disait Audiard…

    La seconde partie de l’article est un délire poutinophobe encore plus bête que du Fourest. C’est bien la victoire de Harris, Macron, la Grande-Bretagne et l’UE immigrationniste qui serait une victoire du Nazisme islamiste. L’auteur de l’article ignore-t-il les connivences entre Macron et le Qatar, le Liban, le Hezbollah et la FI ? Ignore-t-il que ce n’est pas la Russie mais l’occident wokiste qui est au mains de la peste brune Islamonazie ?…Il y aurait trop de choses à corriger et mon post risquerait d’etre aussi long que l’article…Pascal Bruckner est un imbecile et même les meilleures intentions sans intelligence deviennent contre-productives.

  4. Nouvelle version remastérisée de tous les lieux communs sortis depuis des lustres par Bruckner. Avec toujours cet orgueil que l’on peut façonner et refaçonner à l’envi le monde selon nos critères occidentaux. Les nuances du genre, on ne va pas quand même pas envahir l’Iran comme l’Irak ou l’Afghanistan, ne rendent pas son texte plus crédible. Or, que cela nous plaise ou non, l’Occident est miné de l’intérieur et aucune force ne s’y oppose sérieusement. Celui de “nos enfants et nos petits-enfants” n’aura de toutes façons plus rien à voir avec ce qu’il a été, danger iranien ou pas. Le changement de population irrémédiable, l’effondrement avancé du niveau intellectuel font que les mots “liberté”, “égalité” et “pluralisme” n’auront plus beaucoup de sens pour ces populations abêties. La génération de Bruckner porte une lourde responsabilité dans ce désastre civilisationnel.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*