Daniel Sarfati. Le Dibbouk, Au MAHJ

Au départ, il ne s’agissait que de garder des traces, de collecter des témoignages, d’un monde qui allait disparaître. 

Une expédition ethnographique à travers les shtelekh d’Ukraine. 

Photographier les habitants, leurs maisons, leurs synagogues, leurs stèles funéraires, enregistrer, phonographier leurs rites religieux et recueillir leurs légendes. 

Un monde qui allait disparaître du fait de l’industrialisation des campagnes et de la Haskala, l’émancipation des juifs. 

Nous étions entre 1912 et 1914, tous ignoraient la Shoah à venir. 

L’écrivain et journaliste russe Shloyme Zanyl Rapoport, connu sous le nom de plume de Sh. An-ski, dirigeait ce groupe d’ethnologues. 

Dans un shtetl, il surprend une conversation entre une mère et sa fille qui ne veut pas de l’homme qu’on lui destine. Pour la première fois, il entend parler d’un esprit qui revient hanter les vivants, le Dibbouk. 

Il écrit aussitôt une pièce. 

L’histoire des amours contrariés de Léa et Hanan. 

Hanan décède brutalement et vient hanter le corps de Léa, le jour de ses noces, pour s’opposer à son union avec un autre homme. 

Malgré toutes les prières et tous les exorcismes, les rabbins de la communauté ne parviendront pas à détacher les deux amants liés pour l’éternité. 

La pièce « Le Dibbouk » sera représentée pour la première fois en 1920 à Varsovie. 

Un an après la mort de Sh. An-ski. 

C’est un des plus grands succès du théâtre yiddish, qui sera traduit en plusieurs langues. 

En hébreu, par Haïm Nahman Bialik, elle sera représentée au théâtre Habima de Moscou puis au théâtre Habima de Tel Aviv. 

En français, elle sera mise en scène en 1926. 

Le mythe du Dibbouk vient de plus loin. 

Il puise ses racines dans la tradition ésotérique hassidique du 18ème siècle et repose sur la notion de « Guilgoul Ha Nechamot », la transmigration des âmes. 

Si une vie a été achevée avant l’heure, son âme est condamnée à revenir, pour accomplir toutes les pensées et les actions qu’elle n’a pas pu faire de son vivant. 

Le Dibbouk n’est pas un esprit malfaisant, c’est une âme en peine. 

Le mot « Dibbouk » vient de l’hébreu דבק, qui veut dire attacher, coller mais aussi contaminer. 

Le Dibbouk est aussi une malédiction. 

J’ai visité l’exposition « Le Dibbouk » au MAHJ, hier en compagnie d’un moine dominicain, tout de blanc vêtu. 

Il s’était « attaché » à moi, en quelque sorte. 

Il avait l’air de bien connaître l’hébreu, moins le yiddish. Nous étions presque à égalité. 

Nous avons admiré les tableaux de Mané-Katz et de Chagall. 

En sortant du MAHJ, rue du Temple, un vieil homme m’a proposé la bénédiction du loulav. 

Ce monde n’a pas disparu.

© Daniel Sarfati
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