En exterminant les Juifs, les nazis pensaient sincèrement agir en état de légitime défense. En accablant aujourd’hui (depuis 1948 en réalité) l’État d’Israël de missiles et de reproches, les islamistes et les Nations poursuivent leur œuvre, la « Solution finale », toujours au nom de la légitime défense et de la justice. Si l’État d’Israël existait du temps de la Shoah, les Nations l’auraient peut-être laissé seul se battre contre les nazis, en le critiquant et en lui demandant des comptes sur les bombardements de Berlin.
Qu’est-ce qui fait peur chez le Juif ?
Qu’est-ce qui fait peur chez le Juif ? En quoi le Juif est-il considéré comme une menace agressive ? Les Nations le considèrent toujours un peu comme un enfant qu’il faut canaliser. Les Nations sont une mère inquiète de ne pas avoir la force de le contrôler. Elles ont peur que cet adolescent pas sage, animé de fictions, d’un imaginaire débordant, soit capable de croire vraiment qu’il est une nation particulière. Il faut le brider, lui fixer des limites parce que quand même c’est bon, ça va, il croit avoir une identité singulière, une mission particulière pour le monde, constituer une « lumière parmi les Nations ». Ça va maintenant, il a le droit de se raconter les histoires qu’il veut, sur son passé, ses origines, son rapport à un dieu, mais maintenant c’est bon, il faut qu’on lui rappelle qu’il délire. Israël doit comprendre qu’il est adulte, que le monde du rêve et des bisounours avec David contre Goliath, Moshe qui ouvre la Mer Rouge, c’est fini. Il doit se conformer, arrêter de faire son malin, ou plutôt l’artiste, le poète. Il doit se placer, enfin, dans les cases de la mondialisation, avec rapports de forces uniquement économiques, et arrêter avec ses velléités militaires. Qu’il commerce avec ses voisins, qu’il partage son territoire, de toute façon on s’en fout maintenant de ces questions de frontières. On est un village global. Sephora, Starbucks, Macdonald, existent partout sur terre et ils sont la preuve que le commerce aide à vivre en paix.
Les Nations ont peur qu’Israël ait raison, peur que la vision d’Israël soit la bonne
Le monde ne se divise pas entre Juifs et antisémites mais entre ceux qui croient au discours, aux paroles, à la Parole, et ceux qui n’y croient pas. Lacan disait « les écrits s’envolent, les paroles restent ». C’est très juif comme phrase. Israël renvoie les Nations à leurs contrariétés d’adultes qui ont dû renoncer au discours qu’ils formulaient sur eux-mêmes enfants. C’est la place du symbolique que la présence réelle, effective, d’Israël, vient interroger chez les autres Nations. Comment ce peuple peut-il vraiment croire ce qu’il raconte ? Ce n’est donc pas une blague ? Ils croient vraiment qu’ils sont de là-bas, que ce lieu nommé Israël est le lieu de leur naissance ? Mais comment est-ce possible de croire encore à ces sornettes ? Comment, dans un monde interchangeable régulé par le marché mondial, qui n’a pas de passé, seulement le présent de la compulsion commerciale, comment donc ce peuple (qui croit d’ailleurs constituer un peuple) peut-il mettre en acte ses fantasmes ? C’est comme si ces gens s’étaient raconté une histoire sur eux-mêmes, sur leur origine, et qu’ils s’en étaient fortifiés, qu’ils avaient construit dessus une éthique, un mode de vie, qu’ils avaient fini par croire ce qu’ils disaient. Mais comment peuvent-ils croire qu’on va les croire, nous, Nations du même monde qu’eux ? Freud dit que les pervers font ce dont les névrosés rêvent. Il s’agit de cela. Pour les Nations, Israël met en acte son délire. Et ce n’est pas possible, pas raisonnable, pas adulte, c’est égoïste. Ça, c’est le discours public affiché par les Nations (d’où la vraie et profonde solitude d’Israël).
Maintenant, le discours non affiché. Les Nations ont peur qu’Israël ait raison, peur que la vision d’Israël soit la bonne, qu’effectivement Israël soit en alliance avec Dieu. C’est cela l’origine du sentiment de légitime défense des nazis, des islamistes et de nombreuses Nations. On ne veut pas exterminer un petit peuple quand on l’estime inférieur – part négligeable – mais quand on le considère comme menaçant. Quel est le but, quel est l’objectif du Hamas et du Hezbollah ? C’est de réclamer une partie de la terre israélienne au profit du Liban et de Gaza, pour « deux États » ? Qui peut croire cela ? Comment cette évidence ne saute-t-elle pas aux yeux de tous : il n’y a pas de message politique dans les actes terroristes du Hamas et du Hezbollah ? La politique, c’est l’acceptation de l’impossibilité de mettre en œuvre un absolu. La métaphysique, c’est la quête de l’absolu. Hitler avait conceptualisé le Lebensraum, l’espace vital indispensable à l’épanouissement de la race aryenne. Il ne voulait pas « deux États ». Absolu. Ici, l’Iran dit-il qu’il veut créer « deux États » ? Non, il veut tuer des Juifs, c’est tout, pour agrandir un seul Etat, « from the river to the sea ». Absolu. Israël vient démentir, par sa présence sur terre, la non-actualisation du message coranique, à savoir l’islam présent sur toute la terre. Plus largement, Israël vient démentir l’idée d’une totalité appliquée à la terre, d’une « babelisation », d’une « mondialisation ». Israël n’est pas totalisable, il est un reste enquiquinant.
Le problème n’est pas politique. Il est métaphysique
Si le Premier Ministre d’Israël n’était pas Benjamin Netanyahu, tout serait-il pour le mieux ? On aurait fait la paix avec le Hamas, le Hezbollah, l’Iran ? Est-ce que Netanyahu est un problème ? Ni Netanyahu ni aucun autre homme politique israélien ne sont des problèmes. Le problème n’est pas politique. Il est métaphysique. Toute politique s’inscrit dans une métaphysique, et surtout au Proche-Orient. C’est parce qu’on garde le problème au niveau politique que la situation échoue chaque fois. Ah, on se le bichonne, ce conflit israélo-arabe, on le fait réchauffer à feu doux et parfois à grand feu, en le cantonnant à la dimension politique. Les gens sont-ils vraiment sérieux quand ils pensent régler le problème au niveau politique ? Croient-ils vraiment ce qu’ils disent, ou font-ils avec la dimension métaphysique et religieuse du conflit comme les Français avec l’Alsace avant 1914, « y penser toujours, n’en parler jamais » ?
Le 7 octobre n’a aucune dimension politique. Il n’est pas le vecteur d’un message adressé au monde pour dénoncer qui de l’ « occupation » en Judée-Samarie, qui de la « cruauté » des Israéliens à leur encontre (je rappelle laconiquement que ce sont précisément les tenants du « camp de la paix » qui ont été tués, des Juifs de gauche qui faisaient travailler les Gazaouis dans leurs mochavim et kibboutzim).
L’islam manque de confiance en lui
Le conflit israélo-arabe est pris dans une dimension métaphysique et identitaire. C’est en acceptant de se focaliser sur ces deux dimensions que la paix gagnera. La métaphysique musulmane est construite sur une logique de la substitution, du remplacement. Abraham est Ibrahim, Joseph est Youssef, Salomon est Souleymane. Comme un remix techno de 2024 d’un titre New wave de 1981. Je viens de voir le superbe documentaire sur Arte consacré à DJ Mehdi (je ne le connaissais pas). Ce DJ Mehdi était un virtuose de la création de morceaux instrumentaux de rap, sur lesquels de célèbres rappeurs ont posé leur voix. Il construisait largement ses morceaux sur un « sample », c’est-à-dire l’échantillon d’une musique ancienne, échantillon monté sous forme de boucle répétitive et dont les sonorités sont retravaillées. Un vrai génie qui a produit des musiques à succès. À un moment, DJ Mehdi, artiste curieux et sincère, s’interroge sur sa création : est-il un artiste produisant du « nouveau » ou est-il un plagieur ? Je comprends sa réflexion, moi qui essaie de partager mes pensées et émotions par l’écriture : on n’écrit un livre que sur la base des centaines ou milliers de livres qu’on a lus. Les doutes de DJ Mehdi trouvent, à un moment de sa carrière, une déclinaison juridique : il est accusé par les ayant droits d’un ancien artiste d’avoir plagié une partie de sa musique pour créer le fameux son de la chanson du groupe 113, « Tonton du Bled ». DJ Mehdi accepte la sentence et décide de travailler d’arrache-pied pour payer l’énorme somme demandée par les ayant droits.
DJ Mehdi est-il un artiste ? Cela est incontestable, et un génie dans son genre. Le fait de reconnaître s’être inspiré de musiques anciennes, de les avoir en partie copiées et retravaillées, fait-il de lui un imposteur ? Perd-il sa dignité ? Absolument pas. Il reconnaît l’inspiration et prétend à juste titre avoir créé du nouveau. Il ne prétend pas que son morceau est l’achèvement, l’aboutissement, l’actualisation de toutes les potentialités, l’absolu, du morceau copié. Il dit simplement que ce qu’il a produit est un autre morceau que l’original. Il ne veut pas pour autant effacer l’original, parce qu’il estime que son morceau à lui est tout aussi original.
L’islam, en ce sens, d’une façon qui va peut-être étonner, manque de confiance en lui. Il se prétend être l’original, en niant son inspiration thoraïque, et en niant au judaïsme et au christianisme leur caractère original et, en ce sens, indépassable. Ils constituent pourtant tous les trois des religions différentes. L’islam pourrait parfaitement assumer sa rotondité, comme une totalité à part entière, et non s’imaginer (comme le christianisme avant Vatican II) le verus Israel, le prolongement paroxystique et enfin abouti d’un vieux message. Il est bien un message, celui d’une religion, l’islam, qui peut assumer son identité sans prétendre toucher à l’identité de ses deux prédécesseurs.
La métaphysique de la substitution, qui vient effacer la musique originale au profit de la nouvelle, trahit un manque d’assurance : les autres (les premiers, les Juifs) ont tort, on va leur dire qu’ils ont tort, ils vont comprendre qu’ils ont tort, et nos adhérents, en fonction de leur désir de mettre en œuvre le Texte, vont s’autoriser une plus ou moins grande violence pour les convaincre qu’ils ont tort. Et puis, parfois, on va essayer de les faire disparaître totalement, pour que le monde les oublie, pour que personne ne puisse dire qu’on s’est inspiré d’eux, pour qu’on ne puisse pas identifier la source, donc le plagiat. C’est ça le 7 octobre.
Il existe une paix possible
Tant que les Occidentaux, l’ONU, les pays arabes, Israël même, n’auront pas compris cela, il n’y aura pas de paix. Toutes les organisations terroristes antisémites (Hamas, Hezbollah… quel que soit leur nom, elles sont toutes travaillées par le même Texte, la même idée persistante), agissent cela, actent cela. Elles commettent des attentats, nous l’écrivent, nous le disent : il faut effacer Israël (l’État, la nation, le peuple, et même le nom de la terre) au profit de ce qui, selon elles, est l’État original, la nation originale, le peuple original, la métaphysique originale.
Je suis étonné de voir tant de personnes dans le monde penser et croire que le 7 octobre, la double attaque de missiles de l’Iran, les missiles du Hezbollah, ceux des Houtis, ont une dimension politique. Mais où entendent-ils le message selon lequel toute cette violence milite contre l’ « occupation » israélienne, ou contre Netanyahu, ou pour une répartition différente du territoire israélien ? Mais qui leur dit cela ? Aucun des assaillants contre Israël ne dit cela. Le seul message diffusé est « de la mer au Jourdain ».
Il existe une paix possible, basée sur une chose toute simple, peut-être même la seule : reconnaître à ce petit et vieux peuple, Israël, le droit et la légitimité de vivre sur cette terre, non seulement parce qu’il y a réellement vécu il y a 2000 ans, mais aussi parce qu’il s’imagine qu’elle est toujours la sienne depuis 2000 ans. Israël ne prétend pas conquérir le monde (ce n’est pas qu’il s’en fiche mais qu’au contraire il aime la diversité des nations et des êtres humains). Il n’aspire pas non plus à vivre ailleurs que sur ce tout petit bout de terre. 28 000 km carrés. Pour rappel, les 27 pays arabes qui l’entourent disposent de 4 000 000 de km carrés. A partir du moment où l’on reconnaît cette chose simple, on peut commencer à négocier tracés de frontières et répartition du territoire.
La logique de la substitution peut et doit laisser place à une métaphysique qui s’assume, c’est-à-dire qui assume ses inspirations et qui assume son originalité, sans en vouloir à sa source d’inspiration ! En ce sens, l’œcuménisme comme moyen de parvenir à la paix n’est pas une solution. Le dialogue inter-religieux, s’il est simple célébration de ce qu’il y a en commun dans les trois monothéismes, est condamné à la vanité. On peut se serrer dans les bras, s’appeler « enfants d’Abraham », s’imaginer comme les trois branches d’un même tronc, on ne fera que renforcer la confusion : c’est précisément parce que les trois métaphysiques sont distinctes qu’elles méritent un égal respect, c’est parce qu’elles sont vécues comme différentes qu’elles ne se sentent pas menacées les unes par les autres.
La dimension identitaire est aussi difficile à décrire. Pourtant, là aussi, la comprendre mène à la paix. Un fait, rappelé récemment par Georges Bensoussan : entre 1949 et 1967, il n’y avait aucun Juif ni à Gaza ni en Cisjordanie. Pourquoi les « Palestiniens » n’ont-ils pas réclamé à ce moment la création d’un État ? Je vais vous expliquer. L’identité juive est, selon moi, une identité spéculaire. Elle fonctionne comme un miroir. L’identité juive est une question, non une réponse. Elle manque toujours à sa définition. Quelqu’un veut la limiter, la circonscrire dans des attributs, et patatras, un autre vient la démentir ou l’élargir. Vous connaissez sans doute bon nombre de blagues sur le fait que les Juifs ne sont jamais d’accord entre eux. C’est parce qu’ils tentent d’imiter leur dieu, ils rejouent sans cesse la scène de la création, avec des essais, des progressions, des retombées, et… une phase finale où ils se retrouvent, épuisés, en relativisant ce qu’ils ont dit (c’est Shabbat). Cette identité, formée sur une question (je dis « question » pour mieux comprendre, mais c’est plutôt d’un « retrait » qu’il s’agit, le Juif étant un trait dans le retrait, ou un retrait dans le trait, comme vous voudrez, une création remplie de vide, ou un vide rempli de création, comme vous voudrez, raison pour laquelle il se demande comment il tient), cette identité donc, interroge les autres autant qu’elle interroge le Juif. Elle est « l’anti-bit ». Le bit est la plus petite unité d’information dans la transmission de données numériques. Le bit ne peut représenter que deux états d’information, le 1 ou le 0.
L’identité juive
L’identité juive est l’inverse. Elle peut être le 1 et le 0 en même temps (Hitler pensait qu’il n’y a que les Juifs pour découvrir la physique quantique, et il n’avait pas tout à fait tort !). L’identité juive renvoie à une faille, au trou béant ouvert devant nous par le constat de notre présence ici-bas alors que nous n’avons rien demandé. Il y a de l’être, découvre l’homme. Je n’ai pas l’être, pense le Juif, je suis locataire provisoire de l’être, j’en suis traversé. Je l’habite comme d’autres l’habitent, certes différemment, à leur façon, mais l’habitent comme moi. Il y a un dieu qui donne l’être. Dieu n’existe pas en hébreu, c’est l’être, l’être qui fait être. Et quand quelqu’un de non-juif comprend ça, pas le comprend (il ne peut pas le comprendre, comme le Juif ne peut pas non plus le comprendre), mais le ressent, ça crée un malaise. Un intérêt, une appétence, et un dégoût. Quoi ? C’est quoi ces histoires ? Il prétend venir de l’être ? C’est ça son identité ? Et en plus c’est ouvert ? Il ne ferme pas le bouchon de son identité ? Et il tient comme ça ? Mais c’est pas comme ça une identité ! Ça tient, c’est fermé, c’est construit sur du solide, sur des briques, normalement. C’est bidon son truc ! Sauf que, quand cet individu découvre qu’il a des failles lui aussi, que parfois il prend l’eau, qu’il est parcouru d’incohérences, de doutes, il se pose de nouvelles questions. Et si l’autre, le Juif, avait raison (le Juif ne cherche pas à avoir raison, il ne veut rien avoir, il n’y a rien à voir alors qu’il sait qu’il y a quelque chose, l’être), surtout en 1967 quand le monde entier voit que c’est une identité suffisamment solide pour résister militairement ?
Bref, cette histoire d’identité juive incompréhensible, même si ça vous paraît alambiqué, ça existe, ça fascine et ça fait se poser des questions à beaucoup, y compris aux non-Juifs. Et quand on crée une religion qui part de là, qui s’inspire de ces idées, on a bien envie de dire qu’on a découvert ça tout seul. Qu’on est les vrais Juifs. Sans les Juifs.
© Philippe Sola
[1]Le Juif et le nazi, métaphysique de l’antisémitisme, préface de Shmuel Trigano, L’Harmattan, 2024
— cattan (@sarahcattan_) October 22, 2024
Excellent article. Philippe Sola a parfaitement compris l’imbroglio de l’identité juive.
Merci Philippe !!! Une analyse lumineuse , profonde qui a tout vu tout dit !!! Avec des mots si simples.. merci au pédagogue merci pour ce grand moment d écriture et de pensée!!
Merci pour cet article : il l’a fait penser à un texte d’analyse sur « le marchand de Venise » où l’on expliquait que Shylock est le SEUL à prendre au sérieux les engagements pris dans des accoirds signés en commun alors que les « interlocuteurs » vénitiens en face de lui considèrent que leurs mots ne les engagent pas et que revenir dessus n’a aucune importance .
En réclamant son « du » devant un tribunal , « Shylock » est l’incarnation de la valeur des mots et de leurs conséquences en matière concrète : il est le garant de la pérennité des sociétés et l’incarnation de la valeur du « dire » .
D’ailleurs, lorsque la juge ( et ce n’est pas un hasard si c’est une femme) finit par trouver l’échappatoire , elle part du principe de la valeur de ces mots et c’est dans leur imprécision même que la solution sera trouvée… merci le Talmud ! ( puisque ce qu’elle fait est une illustration des rôles respectifs de la relation entre le texte et l’interprétation.)
Excellent article !
Une vision du conflit dérangeante pour ceux qui aiment les « y’a qu’à-faut qu’il » (il étant toujours Israel)
Nous sommes et serons toujours les meilleurs. Vive Israel!