Discours
Discours prononcé par Mickaëlle Paty mercredi 16 octobre à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de son frère, Samuel, quatre ans plus tôt. Un discours d’une force et d’une clairvoyance rares sur les lâchetés, non seulement de l’Éducation nationale mais du pays face à l’hydre islamiste. Son livre, « Le Cours de Monsieur Paty » (Albin Michel), est paru, également ce 16 octobre.
Ce 16 octobre, à la mairie du 9e arrondissement de Paris, Albin Michel, Outside Films/Téléparis et Unité Laïque coorganisaient une commémoration de l’assassinat de Samuel Paty. L’événement a débuté par une séance de dédicace, avant la projection du documentaire « Au nom de mon frère : les derniers jours de Samuel Paty », diffusé en parallèle sur C8 et disponible en rediffusion ici. Ce film dévoile les rouages des lâchetés et l’entrelacs des petites défaillances qui ont abouti au drame. Jusqu’à cette séquence où apparaît le marteau de la honte, métaphore de l’impuissance de l’État dans cette affaire. Un documentaire de salubrité publique.
Après la projection, des personnalités telles que Sophia Aram, Delphine Girard, Iannis Roder et Jean-Pierre Sakoun ont pris la parole. Puis, une table ronde a réuni Mickaëlle Paty et Émilie Frèche. Toutes deux viennent de publier deux ouvrages essentiels (chez Albin Michel) sur la tragédie de Conflans, qu’elles ont réalisés en collaboration : Le Cours de Monsieur Paty, récit vu à travers les yeux de Mickaëlle, et Le Professeur, pièce de théâtre adaptée de la véritable histoire de Samuel Paty. Un entretien croisé des deux femmes sera prochainement disponible dans Marianne.
Pour clore cette soirée, Mickaëlle Paty a prononcé un discours d’une intensité rare:
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« La légende veut qu’un jour la vérité et le mensonge se soient rencontrés :
-Bonjour, dit le mensonge.
-Bonjour, répondit la vérité.
-Belle journée, dit le mensonge.
La vérité regarda autour d’elle pour vérifier si c’était vrai. Ça l’était.
-Belle journée, approuva alors la vérité.
-Le lac est encore plus beau, dit le mensonge.
La vérité se retourna vers le lac et vit que le mensonge disait vrai. Elle acquiesça d’un signe de la tête.
Le mensonge ajouta : L’eau est magnifique, nageons.
La vérité effleura l’eau du bout des doigts et la trouva vraiment bonne, elle se fia au mensonge. Les deux se déshabillèrent et nagèrent tranquillement. Quelque temps après, le mensonge regagna le rivage et sortit de l’eau. Il s’habilla avec les habits de la vérité et il s’en alla. La vérité, incapable d’enfiler les vêtements du mensonge, se résolu à marcher toute nue. Et tous furent horrifiés de la voir ainsi.
Tel est le monde dans lequel trop d’hommes et de femmes préfèrent évoluer aujourd’hui encore. Ils préfèrent regarder le mensonge travesti en vérité, plutôt que la vérité nue.
Et puis il y a la vérité crue.
Il y a quatre ans, un homme est mort. Il s’appelait Samuel Paty et c’était mon frère. Il a été massacré de 17 coups de couteau puis il a été décapité. La photo de sa tête a circulé sur les réseaux sociaux et cela n’a provoqué aucune indignation collective, aucune remise en question. Cet homme, mon frère, était professeur d’histoire et de géographie. Cet homme, mon frère, est mort parce qu’il enseignait l’histoire, les principes et les valeurs de la République. Il est mort parce qu’il n’a pas été protégé, parce qu’il a été abandonné par les représentants de cette République dont il enseignait les valeurs. Des représentants qui eux ont perdu toute valeur.
Et, il y a un an presque jour pour jour, l’assassinat de Dominique Bernard, – professeur de lettres abattu par un autre fanatique islamiste aveuglé par la haine de la liberté comme on se paie un carton à la foire pour fêter son anniversaire – est apparu comme une terrifiante réplique du séisme.
Aujourd’hui, Samuel et Dominique sont morts. Alors, nous qui sommes vivants, n’avons pas le choix : en continuant à porter leur mémoire, nous devons aussi porter l’espoir. Et porter l’espoir, c’est continuer à se battre pour que l’horreur liberticide plus jamais ne se produise. Non pas en installant un policier derrière chaque enseignant, – comme ceux qui (et qu’ils soient d’ailleurs remerciés), dans cette salle ce soir, protègent nos amis qui ont commis le péché de défendre la constitution de notre République –, mais en remettant en place les conditions nécessaires pour que notre société tout entière soit capable de se défendre contre ceux qui veulent l’abattre. Et pour cela, nous devons être en capacité de former à nouveau librement des citoyens.
Ce combat-là, celui que je mène depuis quatre ans au nom de Samuel, n’est pas un combat théorique. Non, il vise « le reste ». Ce reste dont il faut aussi parler.
Ce reste comprend deux parties. « L’heure de vérité » et « Dire ses quatre vérités »
La mort de Samuel n’est pas un effet du hasard ou de « la faute à pas d’chance ». Tout s’est ligué pour faire de lui un réprouvé, un coupable. Le mensonge d’une adolescente affabulatrice dont l’éducation morale par une famille de bigots intégristes laissait tellement à désirer qu’elle a été incapable de renoncer à son mensonge, même au prix de la mort d’un homme.
Quel professeur aura désormais le courage et la liberté d’esprit de confronter ses élèves à ce qui peut les indisposer ? Qui veut être le prochain décapité ? Le prochain à prendre une balle dans la tête à bout portant ? Dites-moi où se trouve la raison quand on se retrouve du mauvais côté du manche ?
Mais ce n’est pas tout. À cette haine brute des fanatisés par un islam rétrograde et cruel, s’est ajoutée la lâcheté. La lâcheté de la hiérarchie dont le premier réflexe, aujourd’hui encore, est le « pas-de-vague », l’attentisme, la trahison, les « collègues »… Et la lâcheté cruelle de ceux qui sont avant tout soucieux d’avoir bonne réputation… Bonne réputation auprès de qui ? Auprès d’intégristes islamistes ? Je veux parler de ces maires soucieux de l’image de leur ville plutôt que de la sécurité de ses habitants et de ses enseignants. Je veux parler de notre sécurité intérieure qui, soumise à des donneurs d’ordre, exige de ne pas passer en mode offensif avant tout passage à l’acte. Comment peut-on accepter qu’au nom d’un risque de trouble à l’ordre public, on ait à ce point laissé des intégristes imposer leurs normes ? Et pourtant, on a accepté et on accepte encore.
Et qui accepte ? Qui ne fait rien ? Ces élus de tous les partis qui ont fait de nos valeurs et de nos principes une variable d’ajustement de leurs tactiques politiques, qui sont prêts à troquer pour un plat de lentille tout ce qu’il devrait défendre, qui ne défilent pas un 13 novembre 2023 pour marquer leur solidarité envers les juifs massacrés parce qu’ils ne veulent pas prendre le risque de vexer les musulmans. Ce n’est pas seulement indigne, c’est aussi une injure envers les musulmans. Et d’autres qui défilent le 19 novembre 2019 à l’appel du CCIF dissous, en laissant hurler « Allah Akbar » à 200 mètres du Bataclan…
Il m’est impossible de composer avec les collabos de tous bords, ceux qui ont eu la parole malheureuse, ceux qui sont capables de dire que certains dessins ne sont pas faits pour des adolescents, ceux qui foutent des « mais » partout : « oui c’est terrible, MAIS avait-il vraiment besoin de les montrer, ces dessins ?! », ceux qui auraient dû être dans nos rangs et qui ont clairement choisi leur camp. Ceux qui commettent des parjures aujourd’hui savent pourtant très bien ce qui se jouera demain.
La République ne connaît ni athées, ni catholiques, ni protestants, ni juifs, ni musulmans. La République connaît tous ses enfants s’ils l’honorent. Où sont-ils, – parmi tous ceux que j’ai cités et qui poussent parfois l’indécence jusqu’à se disputer la dépouille de mon frère –, ceux qui honorent la République, ses valeurs et ses principes ? Samuel est mort déchiqueté par un fanatique islamiste. Laisserons-nous la République connaître le même sort ?
À côté de cet engrenage monstrueux, il y a notre société atteinte d’une maladie auto-immune. Cette maladie a inversé toutes ses valeurs et sa morale. Comment cela est-il arrivé ? Tout simplement parce que depuis quarante ans, la laïcité est plongée dans la plus parfaite confusion sous les coups d’instituts chargés de transformer notre liberté de conscience en liberté religieuse. Où est donc passé notre instinct de survie ? Sommes-nous un peuple trop fatigué de son bonheur et de sa liberté ? On ne fera pas triompher nos idéaux, nos valeurs, et les fondements mêmes de la République, avec des bougies, des ours en peluche, des cœurs avec les doigts et des Vous n’aurez pas ma haine.
Non cela ne suffira pas. Nous devons, tous, être convaincus que, parce qu’il est presque déjà trop tard, le temps est venu d’avoir de nouveau du courage. D’avoir, ensemble, le courage de nous défendre, de défendre une certaine idée de la civilisation et de l’humanité, celle que seule permet notre République laïque. Ce courage, je le cherche chaque matin pour aller jusqu’au soir. Ce courage, lorsque je le trouve, je retrouve l’espoir. Et je retrouve l’espoir et le courage parce que je ne suis pas seule, parce que vous êtes là, parce que nous sommes ensemble et qu’ensemble, nous avons décidé de ne pas abdiquer face à la barbarie.
Oui je crois que nous n’avons plus d’autres choix que d’être ensemble. Parce que faire sans vous, je ne saurais pas comment.
© Etienne Campion
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