Shmuel Trigano. “Statut de l’islam en France : le temps est venu d’un moment napoléonien”

Shmuel Trigano.  Fabien Clairefond

TRIBUNE – Pour penser l’inscription de l’islam dans le cadre républicain, il ne faut pas remonter seulement à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 mais à la réforme des religions par l’État napoléonien, qui visait notamment à insérer le judaïsme dans la nation, argumente le professeur émérite des universités*.

La chronique politique et sociale nous montre que se pose une question autour des Français musulmans, comme se posait à l’époque de Napoléon une question autour des Français de confession juive. Parmi les problèmes qu’elle soulève se croisent les questions de l’immigration, de la laïcité, de l’école, de la sécurité nationale, du terrorisme… La gravité des enjeux est d’autant plus grande qu’elle se mesure à une époque qui a vu se développer dans le monde arabo-musulman des forces qui projettent de mener « la guerre sainte » sur un plan mondial et qui ont déjà frappé la France. L’antisémitisme d’État de l’Algérie ne fait par ailleurs qu’aggraver la menace sur les Juifs de France.

La formulation même de cette question est tenue pour scandaleuse par les tenants du politiquement correct, de l’idéologie woke dominante mais avant tout de leurs alliés, les Frères musulmans, soutenus notamment par le Qatar et la Turquie, le programme de l’ONU et de l’UE « l’Alliance des civilisations », les supposés « progressistes » d’Occident… Ils désamorcent sa gravité en invoquant l’« islamophobie », un stratagème qui sanctuarise idéologiquement l’islam, en interdisant toute critique à son propos au nom de l’antiracisme. C’est ce qu’exprime parfaitement Jean-Luc Mélenchon « Il y a dans ce pays une haine des musulmans déguisée en laïcité. La laïcité ce n’est pas la haine d’une religion. L’État laïc ce n’est pas un athéisme d’État. Pas de guerre de religion. Il faut faire France de tout bois ». En somme, le projet de résoudre la question de l’islam politique, qui se pose dans tout l’Occident, des Amériques à la Sibérie, serait inspiré par la haine, de surcroît « religieuse » ! C’est la laïcité qui devient une « religion »…

Mais les faits sont têtus. Comment ignorer en effet que la montée de l’islam et de populations immigrées sur la scène française pose un problème social autant que politique et national qui demande à être résolu. Comment ignorer la réalité du ressentiment woke envers l’ex-colonisateur chez qui les ex-colonisés se sont installés plutôt que de construire leur indépendance post-coloniale dans leurs pays devenus indépendants ? Comment ignorer que le monde arabo-musulman post-colonial est en pleine effervescence et transporte en Occident démocratique, voire dans le monde global, la guerre sainte mise en branle par des mouvements terroristes ? Comment comprendre la présente vague antisémite alors que les autorités de l’islam, la faculté de théologie islamique de la Zitouna en Tunisie comme l’université d’al-Azhar du Caire ont décrété la guerre sainte contre les Juifs dans l’arène globale ? 

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Aucune autorité de l’islam en France n’a dénoncé cet appel à l’agression des Juifs. Et pourtant les agressions contre les Juifs en sont inspirées. La presse a ignoré cet événement comme elle a tu le caractère djihadiste du Hamas. La faculté tunisienne de la Zitouna a publié une déclaration sur Facebook le 12 octobre pour rappeler que c’est dans le cadre de « l’Opération Déluge d’al-Aqsa », soit la mosquée qui occupe le mont du Temple à Jérusalem, que le massacre de plus de mille cinq cents civils par les terroristes du Hamas a été perpétré, le 7 octobre. En vertu de la déclaration de guerre sainte.

La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, la laïcité donc, n’a été possible que parce qu’elle a été précédée un siècle auparavant par la réforme des religions par l’État napoléonien

Ceux qui récusent ce constat en le qualifiant de raciste ou de fasciste sont tout simplement des complices de l’occultation des faits. Ils empêchent de clarifier la question qui est posée et d’éviter qu’elle « pourrisse » et s’approfondisse au point de faire éclater la société française dans une guerre de chacun contre tous alors que ceux qui ont le plus d’intérêt à ce que ce problème soit posé, sont avant tout les musulmans français afin de clarifier de façon organisée leur identité dans la France contemporaine.

C’est à ce niveau également que la France doit se « rendre des comptes » à elle-même. Qu’exige-t-elle des nouveaux venus ? En vertu de quelle définition de ce qu’elle est ? Comment la séparation d’avec les pays d’origine doit-elle se décliner ? Bien évidemment cela suppose qu’on estime que la France existe et qu’elle n’est pas un terrain vague, un lieu de nulle part, une salle des pas perdus, mais une maison habitée, en un mot : une nation. C’est sur la base d’une nation que l’on peut et doit penser en effet la solution de la question musulmane qui vise à intégrer des populations étrangères dans le pacte national.

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Or, il y a un précédent historique dans l’histoire de France, ignoré par tout le monde et à commencer par la classe politique de tous bords. La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, la laïcité donc, n’a été possible que parce qu’elle a été précédée un siècle auparavant par la réforme des religions par l’État napoléonien qui visait à les insérer dans la nation qui s’était forgée au sortir de la Révolution française. Le principe énoncé par le comte de Clermont-Tonnerre à l’assemblée constituante de 1793 est significatif : « Tout pour les Juifs en tant qu’individus, rien pour les Juifs en tant que peuple. » Ce principe est toujours à l’œuvre si l’on en croit le Conseil d’État qui déclara (2017), suite à une loi européenne sur les langues régionales qu’« il n’y a pas de peuple corse en France ». Sur ce point, rappelons que Vichy (Xavier Vallat) dira des Juifs qu’« il y a un peuple étranger en France ». Lu avec des yeux d’aujourd’hui, on entend que dans son essence la République française n’est pas « multiculturelle».

C’est à la suite de l’énoncé du principe de Clermont-Tonnerre et de la Constitution de l’État napoléonien que le processus de la réforme nationale des chrétiens et des juifs se mit en place. En 1801, un traité fut signé avec l’État du Vatican, réglant les relations entre la France et l’Église catholique. Dans la lumière de l’État, le clergé apparaissait désormais comme un État dans l’État, d’autant qu’il dépendait d’un pouvoir étranger, la papauté. L’autorité fut partagée. Au pape revint le pouvoir religieux sur les évêques tandis que les évêchés étaient inscrits dans les départements français. Dans la réforme napoléonienne, le personnel religieux, les « fonctionnaires du culte », étaient rémunérés par l’État. Napoléon conférait au catholicisme le statut de « religion majoritaire »l’Église catholique de son côté renonçait à récupérer les biens ecclésiastiques vendus pendant la Révolution comme biens nationaux…

Il aura fallu défendre et illustrer la primauté de la nation en « nationalisant » les communautés religieuses, tenues pour des populations étrangères, concurrentes de l’État, pour rendre possible la liberté de culte et de croyance, instaurée par la laïcité. 

Puis ce fut au tour des Juifs de l’empire. Ils furent convoqués, impérativement invités à réunir une assemblée qui avait cessé d’exister depuis l’Antiquité, le Grand Sanhédrin. Sa finalité : « concilier la croyance des juifs avec les devoirs des Français, en devenant des citoyens utiles, pour porter remède au “mal” auquel beaucoup d’entre eux se livrent au détriment des Français ». Le Sanhédrin se vit enjoint de répondre à 12 questions impératives.

Elles portent sur le statut civil. Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes ? Le divorce est-il permis par la religion juive ? Le divorce est-il valable sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu de lois contradictoires à celles du code français ? Une juive peut-elle se marier avec un chrétien, et une chrétienne avec un juif ? ou la loi veut-elle que les juifs ne se marient qu’entre eux ?

Elles portent sur le lien social. Aux yeux des Juifs, les Français sont-ils leurs frères, ou sont-ils des étrangers ? Dans l’un et l’autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion ? Les Juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l’obligation de la défendre ?

Elles portent sur le pouvoir et l’autorité dans le monde juif. Les juifs sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du code civil ? Qui nomme les rabbins ? Quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les juifs ? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux ? Ces formes d’élection, cette juridiction de police et judiciaire sont-elles voulues par leurs lois, ou seulement consacrées par l’usage ?

Elles portent sur le pouvoir dans la communauté juive. Est-il des professions que la loi des juifs leur défende ? La loi des juifs leur défend-elle de faire l’usure à leurs frères ? Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers ?

Une fois les réponses de l’assemblée des juifs données, Napoléon obligea les juifs à adhérer à une sorte de super-préfecture, le Consistoire, chargé de veiller à la mise en pratique des décisions du Sanhédrin et à l’organisation d’une collectivité qui était vouée à se fondre dans la masse. Juifs comme chrétiens furent ainsi sommés de répondre positivement aux exigences du pouvoir.

C’est sur cette base, une base nationale, que sera promulguée, un siècle après, la loi sur la séparation des Églises et de l’État, en 1905. Il aura fallu en effet défendre et illustrer la primauté de la nation en « nationalisant » les communautés religieuses, tenues pour des populations étrangères, concurrentes de l’État, pour rendre possible la liberté de culte et de croyance, instaurée par la laïcité. On comprend que cette évolution ne se fit pas pour l’islam, une religion qui n’a pas connu la modernisation, surgie en France, 150 ans après, dans un contexte tout à fait différent.

Aujourd’hui, la droite n’ose plus invoquer la nation et l’État pour apporter une réponse régalienne à la solution de la question musulmane. Quant à la gauche ou ce qui en tient lieu, puisqu’elle dénie la nation et la condition nationale, elle ne peut qu’inciter la communauté musulmane au « séparatisme ». La nouvelle haine des Juifs, relayée par les néogauchistes, cible les Juifs, parce qu’ils sont les témoins congénitaux de cette histoire. Par-delà la guerre sainte contre eux, le « peuple palestinien » qu’elle invoque comme un deus ex machina n’est que le substitut idéologique, politiquement correct (« anticolonial », « décolonial »), de la « oumma » islamique dans la République.

© Shmuel Trigano

Professeur émérite des universités, Shmuel Trigano est philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain. Il a notamment publié « La Démission de la République. Juifs et musulmans en France » (PUF, 2003) et « Le Chemin de Jérusalem. Une théologie politique » (Les Provinciales, 2024).

Source: Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/statut-de-l-islam-en-france-le-temps-est-venu-d-un-moment-napoleonien-20241016

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2 Comments

  1. La France se retrouve en manque de force vive , la jeunesse est tres largement islamisee car les français s effondrent démographiquement,un pays de vieux est mécaniquement un pays faible et craintif, le deuxième peuple dispose de tous les atouts pour prendre le pouvoir, c est toute la différence avec Israel qui dispose d une formidable jeunesse juive qui vient de montrer qu elle croit au futur et se bat les armes a la main pour construire ce futur.
    Oui la France est en phase terminale.

  2. Il y a beaucoup plus de chances pour que l’Iran (grâce à sa jeunesse souvent héroïque) se libere du nazisme islamiste que la France et l’Angleterre où une grande partie de la population est composée d’islamonazis (30% des votes en France dont presque la moitié des 18-25 ans) ou de lâches. Le reste de la population est pris en otage et n’aura d’autre choix à long terme que la mort, la soumission ou l’exil. Si vous avez une fille, souhaitez vous qu’elle finisse comme Philippine ou Lola ? Si vous avez une mère, souhaitez vous qu’elle finisse comme Sarah Halimi ?

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