Je suis un juif de la Né’ila. Daniel Sarfati.

Je suis un juif de la dernière heure.

Celle de la Né’ila.

J’ai pourtant jeuné depuis hier soir, essayé de terminer les cent dernières pages du roman de John Irving. Impossible, trop mal à la tête.

J’ai marché une vingtaine de minutes vers une synagogue du 13ème arrondissement.

En fait une école juive reconvertie, si je puis dire, pour l’occasion.

Les passants que je croise ne se doutent de rien.

Pour eux, un samedi comme les autres, où l’on fait ses courses et où l’on se prépare pour l’apéro du soir.

Je me sens étrange parmi ces badauds.

Je me souviens que mon père me disait :

« Tu crois vraiment que tous ces non-juifs qui ne jeûnent pas, ne seront pas pardonnés par Dieu ? Pourquoi moi, je devrais jeûner ? »

Je ne me souviens pas de l’adresse exacte.

Mais ça doit être ça.

Des policiers en faction. Deux rangées de grilles.

Dans une salle au sous-sol, pas mal de monde.

Ça sent le rance et le coing aux clous de girofle.

Un rideau sépare hommes et femmes.

La seule chaise de libre est près d’un seau qui recueille l’eau d’une fuite au plafond.

Sur la tribune, le rabbin et le chantre ont entamé la Né’ila, la 5ème et dernière prière, devant l’armoire ouverte contenant les rouleaux de la Torah.

Tant que la prière n’est pas terminée et que les portes ne se sont pas refermées, Dieu n’a pas encore pris sa décision. Il y a débat avec les anges. Ce qui explique la ferveur des fidèles.

Je trouve que l’ourlet du pantalon du rabbin est trop long. Il porte des espadrilles.

Les vieillards restent assis. Ils savent que Dieu les a oubliés, et sont sûrs d’être inscrits à nouveau dans le Livre des vivants. Comme par reconduction tacite.

Des enfants jouent dans les allées. Il y en a même un qui a apporté un ballon. Il vient de se faire virer par le bedeau.

Ma migraine ne se calme pas. Déshydratation ou manque de caféine.

La mélodie judéo-andalouse d’ « El Norah Halila », un poème liturgique du Moyen-Age. Toute l’assemblée le connaît par cœur.

Même moi.

C’est très émouvant, j’aime beaucoup ce chant.

“Neila El Nora Alila”. Ouriel Elbilia.  אל נורא עלילה – אוריאל אלביליה – סליחות

Mon talith, mon châle de prière que je ne porte qu’une fois par an, sent le renfermé.

Je me demande si il est permis de l’amener au pressing.

Prière des Cohen.

Un brouhaha, la séparation entre hommes et femmes se disloque.

Toutes les familles se rassemblent sous le talith du père pour une ultime bénédiction.

Comme sous une tente protectrice.

J’aimais, moi aussi, me serrer contre mon père, à ce moment là.

Nous avons été un peuple de nomades.

Yom Kippour est comme une traversée du désert. Nous sommes arrivés.

Mes enfants et ma femme se sont rassemblés autour de moi.

Mon petit-fils a balancé ma kippa par terre.

Ça le fait rigoler.

Je lui dis qu’il risque de se faire virer par le bedeau. Il ne me croit pas, il sait que je ne laisserai pas faire le bedeau.

Le son du shofar.

Deux salves, enrouées.

Le rabbin n’en peut plus. Il est épuisé et enroué.

C’est terminé.

Tout le monde s’embrasse. Tout est pardonné.

Avant le repas de rupture du jeûne, j’ai bu une citronnade et mangé de la boutargue.

Ma migraine va beaucoup mieux.

© Daniel Sarfati

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3 Comments

  1. Quel dommage !
    En Israël j’ai découvert Kippour en assistant du début jusque la fin, on devient transparent , on n’existe que comme un membre du groupe . Les chants pénètrent en nous et on se prosterne ensemble , le Kippour de la diaspora n’existe plus .

    • à @daniel sarfati.
      Sympathique votre texte.
      j ‘ai lu avec plaisir ce court compte rendu de fin de kippour.
      “La Neila” un chant qui reflète la joie et que tous entonnent avec plaisir.

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