À 5h30 du matin, Bruxelles en Belgique, mon téléphone vibre. C’est un message de mon fils. Il m’écrit simplement : « Ça tire de partout, papa… ». Je ne comprends pas, pas encore. Naïvement, je lui réponds : « Sois prudent, mon fils, reste concentré. » Une minute plus tard, un dernier message arrive : « Je t’aime, papa… » Puis, le silence… Plus rien.
Mon cœur se serre, l’angoisse monte, mais je ne réalise pas pleinement ce qui se joue. Mon fils est basé avec son unité à la frontière de Gaza, tout près de Kissufim. Ce n’est qu’au fil des minutes que l’horreur me rattrape. Les premières vidéos terrifiantes apparaissent, les cris, les explosions, la peur. Je me tourne vers la télévision israélienne, espérant comprendre. Mais ce que je vois… c’est l’enfer.
Pendant ce temps, ma fille, qui est à la maison, reçoit un appel. Elle ne dit presque rien, mais dans ses yeux, ma femme lis ce que je redoute le plus. Elle rassemble ses affaires en vitesse et dit à mon épouse, avec un calme glacial : « C’est la guerre, je pars… » Mon monde s’effondre. Je suis à Bruxelles, à des milliers de kilomètres de ma famille, de mes enfants qui se battent pour leur vie,leurs frères, leur terre, notre existence . Mon épouse est seule, en Israël. Moi, je suis ici, impuissant. Les larmes montent, elles ne s’arrêtent plus. Je pleure, je suis perdu, je ne sais pas quoi faire. Je tente désespérément de joindre des amis pour avoir des nouvelles de mon fils, mais c’est le silence. Le silence le plus insupportable.
Alors, je me rends à la synagogue. Cet endroit où l’on va lorsque tout s’effondre, mais qu’on oublie si souvent quand la vie reprend son cours… J’y vais pour prier, pour implorer une réponse, une lueur d’espoir. Toujours aucune nouvelle. Ma fille a rejoint la frontière, elle protège les moshavim avec son unité mixte combattante. Plus trad nous comprendrons combien elle a été professionelle et a sauvée de nombreuses avec son unité. Mon fils ? La dernière information que j’ai de lui, c’est qu’il était près du cimetière de Kissufim. Mon cœur se brise. Je suis piégé dans ce vide, ce trou noir où le temps s’étire à l’infini, sans issue. Et je garde tout cela pour moi, je ne dis rien à ma femme. Comment pourrais-je partager cette peur qui me dévore ?
La journée passe, interminable, avec ce flot d’images insoutenables qui tourne en boucle à la télévision et sur télégram. Chaque minute est une éternité. Puis, à 22h30, le téléphone sonne. Mon cœur s’arrête. C’est lui, c’est mon fils. Je décroche et, pour la première fois de ma vie, il m’entend pleurer. C’est lui qui me rassure, lui qui prend soin de moi, alors qu’il est au cœur de l’enfer. « Ne t’inquiète pas, papa. Ils n’ont pas trouvé notre base, tout est en ordre. Mais on ne pourra pas se parler souvent. » Je sais qu’il me ment mais je le crois, qu’il essaie de nous protéger, sa mère et moi. Je le supplie de m’envoyer des nouvelles quand il peut, de rester concentré, vigilant, affûté. Chaque mot est une prière silencieuse que je lui adresse.
Un peu plus tard, c’est un simple SMS de ma fille : « Tout va bien. » Rien de plus. Mais dans ce chaos, cette phrase résonne comme un miracle. Nos enfants sont en vie. Ce bonheur égoïste, cet immense soulagement, malgré l’horreur qui nous entoure.
Et puis, il y a cette urgence de rentrer, de les retrouver. Le 9 octobre, j’atterris en Israël. Dès le lendemain, nous commençons à parcourir les bases, apportant le strict nécessaire aux soldats, grâce à un élan de solidarité incroyable venu des communautés juives de Belgique, de France, d’Israël. Ces dons ont été une bénédiction, un soutien inestimable. Ils nous ont permis, à mon épouse et à moi, de tenir le coup, de rester occupés, de ne pas sombrer. Chaque fois que je voyais un soldat, chaque sourire arraché à la peur, c’était comme un souffle de vie dans cette obscurité.
Mais même dans cette frénésie d’activité, la peur ne disparaissait jamais vraiment. Chaque instant loin de la maison, c’était éviter cette angoisse, cette terreur qu’un jour quelqu’un viendrait frapper à notre porte pour nous annoncer l’impensable. La vie devenait une série d’heures volées à cette menace omniprésente.
Je n’oublierai jamais cette période, ce cauchemar éveillé. Mais je n’oublierai jamais non plus l’amour et le courage de mes enfants et de ma remarquable femme que je compare souvent à notre Iron Dome, ni les sourires des soldats qui nous ont donné la force de continuer. Nous étions suspendus à un fil, mais ce fil, c’était eux. Et ce fil a tenu grâce à la générosité de tous les donateurs qui ont chacun une grande place dans nos coeurs.
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