Netiv HaAsara (Israël), un an après le 7 octobre. Par Olivier Fournier

Aperçu du drapeau de Netiv HaAsara depuis la ville de Sderot en juillet 2024
Suite au 7 octobre 2023, le plus grand drapeau de l’Etat d’Israël a été érigé au sein de ce village frontalier de la bande de Gaza

       

            Le moshav (village agricole) israélien de Netiv HaAsara est la localité la plus proche de la frontière avec la bande de Gaza. 20 de ses habitants y ont été assassinés le 7 octobre 2023.

            Si je devais résumer mon existence en dix dates, le 7 octobre 2023 en ferait clairement partie, aux côtés de celle de ma naissance et des quelques événements clés qui ont ponctué une vie de 44 printemps.

            A la fois en raison de mon lien personnel avec Israël, bien que n’étant pas juif, mais aussi en tant que citoyen français témoin depuis maintenant un an d’un clivage désormais profondément installé dans la classe politique mais également dans une partie de la société.

Netiv HaAsara,
localité israélienne géographiquement la plus proche de la frontière avec la bande de Gaza
© Olivier Fournier

            J’ai été, et suis encore, intimement lié à l’un des villages voisins de la frontière avec la bande de Gaza victime du pogrom du 7 octobre, le moshav de Netiv HaAsara (« Chemin des Dix » en hébreu), situé seulement à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau du point de passage d’Erez au nord de l’enclave palestinienne. Un village agricole de 1.000 habitants d’où l’on peut apercevoir derrière le mur de séparation les villes de Beit Hanoun et Beit Lahia et qui a perdu 20 des siens le 7 octobre, surpris par une attaque aérienne de terroristes équipés de paramoteurs. Une localité protégée par des murs et barbelés, mais caractérisée par une douceur de vivre dont le secret tient à ses demeures simples mais élégantes et ses jardins luxuriants. Un village situé au sein de l’Etat d’Israël dans ses frontières internationalement reconnues, une précision importante à rappeler à l’heure où les colonies ou implantations sont âprement dénoncées et utilisées pour minimiser la responsabilité des mouvements terroristes palestiniens dans leurs actions. Pour mémoire, aucune colonie ou implantation ne se situe dans la bande de Gaza depuis le retrait unilatéral de 2005 opéré par l’ancien Premier ministre Ariel Sharon. Quant aux kibboutz et moshav meurtris par le Hamas le 7 octobre 2023, 100% d’entre eux se situent en Israël dans ses frontières internationalement reconnues.

            J’ai vécu des moments de joies et de bonheur à Netiv HaAsara, malgré la proximité de l’une des frontières les plus dangereuses au monde. J’y ai célébré des anniversaires, des fêtes juives et des dîners de Shabbat, joué au football, au trampoline et à cache-cache avec des enfants chers à mon cœur, observé des plantes et des animaux avec mon application naturaliste, discuté avec des ouvriers agricoles originaires du Népal ou de Thaïlande, savouré des légumes et des fruits d’une saveur inoubliable. J’y ai parlé politique, parfois de manière passionnée, avec des gens ne pensant pas tous la même chose, signe parmi tant d’autres d’une société profondément démocrate et pluraliste. J’y ai eu des frissons en voyant au loin des miliciens du Hamas de l’autre côté du triple mur de séparation faisant de grands signes dans ma direction, heureusement en période de trêve. J’ai rêvé à la paix avec les habitants de Netiv HaAsara, dont bon nombre ont pu connaître avant la prise du pouvoir du Hamas à Gaza en 2006 des relations cordiales voire amicales avec les Gazaouis, que cela soit avec des ouvriers agricoles dans le village ou lors de déplacements dans le territoire palestinien pour y faire leur marché. La peinture « Netiv LeShalom » (« Chemin vers la Paix » en hébreu) sur le mur de séparation témoigne de l’aspiration des habitants du village à la paix avec leurs voisins. J’y ai passé la nuit la plus longue de ma vie, épuisé par un voyage en Europe et en Turquie et me sentant « à la maison » dans un environnement très réconfortant malgré l’épée de Damoclès des « Tseva Adom » (« Couleur Rouge »), les alarmes en cas de missiles. Celles-ci ne donnent aux habitants du sud d’Israël que 14 secondes pour aller se réfugier dans un abri sécurisé, que cela soit un abribus ou un « Mamad », la pièce sécurisée de chaque logement. Habitué à traverser les frontières tant par goût de la découverte et de l’aventure que par désir de connexion entre les peuples, j’ai souvent été frustré de ne pouvoir appréhender le nord de la bande de Gaza qu’à distance, et d’être réduit à échanger par téléphone avec un contact gazaoui devenu avec le temps un ami même si nous n’avons jamais pu nous rencontrer en personne. Si je fais mien le constat que l’ensemble des civils gazaouis ne sont pas innocents, et les vidéos du 7 octobre comme certains témoignages d’otages le confirment, je reste convaincu qu’il existe encore des hommes et des femmes de bonne volonté à Gaza, et cet ami palestinien en fait partie. Si seulement ces personnes avaient demain une voix plus forte, il y aurait peut-être encore des raisons de croire à la paix. 

« Netiv LeShalom », le « Chemin vers la Paix », peinture sur le mur de séparation
moshav de Netiv HaAsara, Israël
© Olivier Fournier

            Le 7 octobre 2023, les habitants de Netiv HaAsara ont été contraints de rester enfermés dans leurs « Mamad » pendant près de douze heures, attendant une aide des forces de sécurité tardant à venir. Tous ceux qui ont pu échapper à la mort et aux enlèvements ont été contraints de quitter Netiv HaAsara, et sont devenus des déplacés dans leur propre pays. Un an après le pogrom du 7 octobre, seuls 200 habitants sur 1.000 viennent tout juste de commencer à retrouver le moshav avec la volonté d’y reconstruire un foyer et un avenir. Parmi les déplacés de Netiv HaAsara que je connais, je citerais Ayelet[1] qui entend depuis un an chaque nuit des tirs d’arme automatique et n’arrive plus à dormir, et Yaron, qui s’est tatoué dans le dos un visuel représentant le 7 octobre. Ces deux villageois n’ont toujours pas pu regagner leur maison à Netiv HaAsara. Deux exemples d’un traumatisme collectif qui touche une grande partie des Israéliens, au premier chef ceux qui ont été directement touchés par le 7 octobre, une réalité que j’ai pu constater lors d’un voyage en Israël en juillet 2024. Un niveau de traumatisme largement sous-estimé en Europe par la plupart des responsables politiques et éditorialistes, conduisant trop souvent à renforcer un sentiment d’incompréhension ressenti par bon nombre d’Israéliens.

            Parmi les déplacés de Netiv HaAsara qui n’ont pas pu encore regagner leur village, la question du retour est loin d’être évidente. Kalanit, l’épouse de Yaron, a encore besoin de temps avant de prendre la décision d’un éventuel retour, tiraillée entre le traumatisme vécu le 7 octobre avec son mari et ses 3 enfants et son attachement à sa maison et son village. Yaron, lui, n’envisage que difficilement de ne pas revenir à Netiv HaAsara, considérant que la mort de toutes les victimes du 7 octobre ainsi que des défenseurs d’Israël morts au front ne doit pas être vaine. Leur unique maison est au sein du moshav, et ils ont donc vocation à y retourner. Le choix final sera une décision familiale difficile, où la question du stress post-traumatique, en particulier des plus jeunes, sera centrale. Un fléau de santé publique qui touche de nombreux Israéliens, en forte croissance depuis un an.

            Depuis le 7 octobre 2023, il n’y a pas eu une journée où je n’ai pas eu une pensée émue pour Israël, et en particulier pour les habitants de Netiv HaAsara. Il n’y a pas eu une journée sans exaspération ou indignation en France en découvrant des affiches d’otages arrachées, en subissant les provocations quotidiennes de certains élus, en réalisant la flambée de l’antisémitisme, en voyant de trop nombreux médias qui reprennent naturellement la rhétorique des adversaires d’Israël, en faisant le constat qu’une fois de plus, Israël est en train de perdre la bataille de la communication et que nombreux sont ceux qui tombent dans le panneau. Très souvent, trop souvent, un sentiment de haine m’envahit. Alors j’essaie de penser à Antoine Leiris après la tragédie du Bataclan, qui a écrit un ouvrage intitulé « Vous n’aurez pas ma haine », et de faire mienne cette sage maxime.

            Que l’année 5785 qui s’ouvre soit synonyme de paix, de sécurité et de sérénité, pour les habitants de Netiv HaAsara comme du reste d’Israël et du monde.

© Olivier Fournier


[1] Les prénoms cités ont été modifiés.

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