“Ni chagrin, Ni pitié”. Par Richard Prasquier

Le 7 octobre a marqué une césure dans la vie des Juifs. Il y eut pour eux un avant et il y a désormais un après. Le terme de «Juifs» ne doit pas être ici envisagé dans sa définition strictement religieuse…

Quelques groupes ultra-orthodoxes non sionistes  ont dû considérer ces massacres comme un épiphénomène dans le cheminement de l’attente messianique, voire même comme une punition de gens éloignés de la halakha. Peut-être même y avait-il des Juifs parmi les fanatiques qui se sont réjouis des massacres du 7 octobre, : cela n’a pas d’intérêt que d’alimenter un musée des horreurs.

D’autres en revanche, qui avaient gardé un sentiment de leur judéité «entre autres choses» ou même avaient enfoui, ou oublié ce sentiment, se sont sentis  visés  par les massacres du 7 octobre. Répliques de pogromes des anciens temps et images de la Shoah, c’est l’allégorie du Juif persécuté parce que faible, refoulée dans le tréfonds de l’être et dont l’Etat d’Israel était censé éviter la sinistre réapparition qui a soudain giclé.

Autour d’eux, les Juifs font le compte de leurs connaissances et sont surpris. Certaines, parfois éloignés, leur envoient des messages de soutien. D’autres, plus proches, ne se manifestent pas. N’ont-ils pas fait le lien entre l’ami Juif d’ici et l’Israélien inconnu de là-bas car ils manquent d’imagination ou parce  que la catégorie religieuse leur est étrangère? Beaucoup rapportent avoir trouvé dès le 8 octobre,  notamment en milieu scolaire ou hospitalier, des regards fermés et des conversations indifférentes. L’auteur de ces lignes, qui a été surpris de ces  témoignages, se rend compte que son âge  a réduit ses relations professionnelles et que son sionisme connu  avait écrémé ses relations sociales. Mon expérience positive était biaisée.

Des relations se rompent et un sentiment d’étrangeté, dans tous les sens du terme, s’installe: comment vivre désormais avec des gens dont l’indifférence au sort des Juifs vient de s’exposer de façon aussi visible que silencieuse?

Pour ceux qui connaissaient des musulmans et rêvaient  de solidarité inter-religieuse, les déceptions furent pénibles. Alors qu’ils espéraient que tel partisan fervent du dialogue exprimerait publiquement son dégoût, ils l’entendent disserter de généralités.  Le sept octobre, le recteur de la Mosquée de Paris rencontrait  des Frères Musulmans, dont les collègues de Gaza se distinguaient alors de la façon que l’on sait. Son silence sur les massacres a été retentissant.  

De plus, dès le 8 octobre,  se multipliaient des actes antisémites dont de jeunes musulmans étaient les responsables. 

On manifeste pour protester ou pour fêter. Certains de ceux qui  ont défilé contre le soi-disant génocide commis par les Israéliens à Gaza avaient fêté le massacre de Juifs par des habitants de Gaza.

 Il y a des années que la lutte contre Israël s’est transmuée en haine contre les Juifs et que le slogan de libération de la Palestine est devenu le cache-sexe d’un islamisme dont même des musulmans  marxistes ont repris le discours. Le FPLP, au palmarès terroriste inégalé  au nom de la lutte des peuples contre l’oppression américano-sioniste et dont Sala Hamouri est la figure la plus connue en France, est devenu à Gaza un supplétif de l’islamisme..  

Le Président de l’OLP lui aussi termine  par des appels au djihad une carrière commencée  par une thèse négationniste écrite dans la très marxiste université de Moscou. Le sort réservé aux Juifs dans l’eschatologie islamiste est écrit noir sur blanc dans la charte du Hamas, dont l’article 7 ne provient pas d’élucubrations d’un cerveau dérangé mais retranscrit  des déclarations attribuées à Mahomet par les plus respectés des auteurs de hadiths. 

Il y a des années que des chercheurs alertent sur l’idéologie des Frères Musulmans qui ont su par leur stratégie des petits pas, leur patience et leur double langage bien rôdé, évoluer dans tous les milieux et , avec l’aide de leurs parrains qatari et turc, prendre l’ascendant sur les autres variétés de l’Islam. Le Hamas du cheikh Yacine dont Yahia Sinwar est le proche disciple, c’est avant tout une idéologie frériste qui a  eu pignon sur rue dans notre pays, a gangrené nos voisins de Belgique et a su se faire passer, pendant les années de Daesh, comme une alternative  modérée de l’Islam, que les autorités politiques et diplomatiques de l’Occident laïque ont soutenue discrètement.  Le fait est que sans «Me too»,  Tariq Ramadan  serait aujourd’hui  le plus brillant des «contextualisateurs» du Hamas, ces négationnistes du 7 octobre.

Beaucoup de Français juifs envisagent dès lors  le départ du pays où ils sont nés, le plus souvent pour Israël, un pays en guerre.  L’antisémitisme des banlieues n’explique  pas tout. Les Juifs ont eu à affronter l’antisémitisme des négationnistes et ils n’ont pas quitté la France pour cette raison. C’est que les hommes politiques, en dehors de Jean Marie Le Pen, étaient sans équivoque, que la législation devint particulièrement protectrice et que  de grands espoirs furent mis dans l’enseignement de la Shoah. C’est aussi parce que le danger négationniste était dans la contamination idéologique et non pas dans la violence. Les enfants juifs pouvaient entendre à l’école des remarques antisémites, mais ils n’y allaient pas la peur au ventre à cause du risque d’agression physique.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. La violence est devenue un mode d’expression idéologique. Ce changement a été amplifié par les réseaux sociaux et leurs capacités de harcèlement et par la décomposition de territoires abandonnés à la lai des bandes. On ne tient pas assez compte du rôle que la peur joue dans notre société. Peur, pour les Juifs, de se faire agresser parce qu’on arbore un signe de judaisme, qui peut n’être qu’un nom….

Cette peur  de la violence islamiste imprime sa marque dans le monde intellectuel. On n’aime pas l’avouer et on la moralise souvent dans un discours qui tait l’agression et s’en fait parfois facilement le relais pour éviter le stigmate de l’islamophobie . C’est la rhinocérite de Ionesco qui frappe une partie de la bien pensance. Soljenitsyne n’aurait pas eu de Nobel si l’URSS avait encore été celle de Staline. Rushdie en tout cas ne l’a pas reçu et la peur de représailles n’y est pas étrangère.. 

Cette peur explique pourquoi les Juifs qui le pouvaient ont sorti leurs enfants de l’école publique dans les quartiers «difficiles». Cette réalité a été longtemps occultée et le silence qui a entouré la publication des «Territoires perdus de la République» et des rapports qui l’ont suivi, la cabale montée contre Georges Bensoussan quelques années plus tard sont des jalons historiques de cette démission des élites intellectuelles. Les difficultés quotidiennes d’enseignement de la Shoah sont un marqueur longtemps occulté. La sous notation des élèves de Yabne au grand oral du baccalauréat, bien qu’elle soit niée par une rapide et peu crédible enquête administrative, a porté un dernier coup à ce qui restait de confiance des Juifs dans une Education Nationale que leurs parents admiraient  et où leurs enfants n’apparaissent pas les bienvenus…

 Depuis 20 ans, l’engagement verbal des gouvernements contre l’antisémitisme est indiscutable, mais esquive la racine du mal. Les Juifs ont constaté les carences de notre système judiciaire et psychiatrique (procès de l’assassin de Ruth Halimi), de notre système pénitentiaire (les prisons, vivier de l’islamisme), de notre système éducatif (voir plus haut) et de notre discours politique. Ils ont été émus en entendant que sans les Juifs la France ne serait plus la France, mais consternés en entendant après un attentat islamiste que «tout cela n’a rien à voir avec l’Islam». Ils voient que le concept d’islamophobie, fabrication artificielle destinée à brouiller la montée effarante de l’antisémitisme se forge  une place proéminente dans le discours, aussi incompatible qu’il soit avec une laïcité qui autorise par définition la critique des religions comme des non-religions.

Les dénis à l’antisémitisme, les paroles martiales sans suite et les accommodements pratiques ont ainsi lézardé la confiance  en la possibilité pour l’Etat de changer en profondeur la perméabilité  aux appels à la haine des Juifs. De plus, ces dernières années, Dieudonné et Soral apportaient leur forme d’humour particulière, et, quenelle aidant, l’antisémitisme devenait tendance dans  la génération Z.

Cependant, la  fermeté du discours politique contre l’antisémitisme ne diminuait pas, s’étendait même à l’extrême droite et les appels du pied de la LFI aux islamistes pouvaient passer pour des  initiatives irresponsables, mais sans influence.

Et puis est arrivé le 7 octobre. LFI a tué les victimes une seconde fois en refusant la qualification de terroristes aux actes du Hamas. Impossible désormais pour des Juifs de partager quoi que ce soit. avec des hommes et des femmes capables de pareilles crapuleries verbales.

Ce fut  pour beaucoup de Juifs de France un point de rupture. Il  serait resté ponctuel s’il était apparu que la secte mélenchoniste, son gourou et ses députés, qui  effectuaient  le service d’après vente à leur électorat communautaire et dont certains faisaient preuve d’une irréparable débilité  historique et géographique, restait cantonnée à son entre-soi.

D’ailleurs la réprobation générale du monde politique à l’égard des déclarations et des silences de LFI avait de quoi rassurer. La marche contre l’antisémitisme, même si elle n’a pas réuni des millions de participants, fut un moment de communion nationale, bien qu’il fût gâché en partie par l’absence d’un chef d’Etat qui s’égarait encore dans le jeu trop subtil du «en même temps».

Mais alors que l’offensive israélienne se développait, beaucoup de Juifs se sont sentis en décalage: les images du 7 octobre les hantaient, alors que dans le battage médiatique,  elles s’étaient effacées devant celles des destructions de Gaza. Une machine de propagande  efficace gravait dans l’imaginaire collectif des images de bombardements  d’écoles et d’hôpitaux, agitait le spectre d’une famine et, imposait la  notion, dont on ne dire jamais assez combien elle est scandaleuse, d’un génocide perpétré par l’Etat juif. 

Vous ne pouvez pas parler sereinement avec un interlocuteur qui pense que vous êtes indifférent aux souffrances des civils, que vous approuvez un génocide et qu’il suffirait d’un peu d’humanité de la part des Israéliens pour que la paix s’installe définitivement. Ce discours mensonger déshumanise les Israéliens et ceux qui prennent leur défense.

Les actes antisémites ne sont pas  la seule cause du malaise des Juifs en France. Notre pays  a dans ses profondeurs assez bien résisté à la déferlante anti-israélienne qui s’est engouffrée dans une part des opinions publiques  occidentales et les enquêtes d’opinion publique  montrent un fort degré de compréhension pour la cause israélienne. 

Cependant, une dégradation semble pour certains  inéluctable. Ils constatent que   les jeunes sont moins sensibles à la lutte contre l’antisémitisme que ne l’étaient leurs parents ou qu’ils la noient dans les autres thèmes que leur dicte l’idéologie woke. L’aberrante OPA des lieux d’enseignement prestigieux par des activistes anti-israéliens n’a pas atteint en France le niveau des Etats Unis mais elle ne laisse pas d’inquiéter sur la sensibilité des futures soi-disant élites de la Nation .De plus, le  poids électoral de la minorité musulmane sera de plus en plus lourd dans l’avenir. 

Beaucoup de Juifs qui n’ont jamais été, eux ou leur famille, victimes d’agressions et qui sont habitués à se définir sans complexes comme des Juifs ont donc l’impression qu’il n’en sera plus de  même pour leurs enfants. Cela, qui a été souvent le quotidien de leurs grands parents,  leur est insupportable. A juste titre.

Ils sont le canari dans la mine, dont les gesticulations précèdent le coup de grisou. Dans l’avenir de la France, les victimes de cette déflagration, ce seraient les hommes et les femmes de toute origine, de toute croyance et de toute sexualité qui ne veulent pas vivre sous un régime d’oppression totalitaire que des organisations islamistes, dont le Hamas est un représentant, se croient pour mission divine d’imposer dans le monde qui fut dans le passé Dar al Islam et au-delà. 

 Les Juifs qui envisagent de quitter leur pays  considèrent qu’il n’a plus les moyens  de s’opposer à  cet avenir. D’autres pensent qu’il faut lutter en France, mais qu’on ne peut pas le faire sans nommer ce contre quoi on lutte. C’est -encore- l’opinion de l’auteur de ces lignes.

© Richard Prasquier

Source: Causeur N° 127

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