D’un 7 octobre  à l’autre. Par Thomas Stern

Un an presque jours pour jours après  l’abominable tuerie du 7 octobre 2023, une salve massive de missiles  iraniens s’abat -dieu merci sans trop de succès- sur Israël, tandis qu’un attentat terroriste revendiqué par la branche armée du Hamas tue 7 civils à Tel Aviv et qu’à la frontière libanaise l’offensive se fait terrestre   entre Tsahal et le Hezbollah. Sombre anniversaire pour le plus lugubre jour d’horreur que les juifs aient subi, depuis la Shoa. 

“Tournant  dans la guerre!”  clament en nombre ceux qui n’ont pas su ou  voulu voir que derrière le conflit israélo-palestinien, l’Iran est à la manœuvre  depuis le début des hostilités qui ont fait s’affronter dans la bande de Gaza le Hamas et Israël. Car  sans la haine patiente des Mollahs et des Pasdarans, l’organisation palestinienne  n’aurait jamais eu les moyens de construire au fil des ans, dans la profondeur des tunnels, son œuvre de mort.

Le moment choisi pour l’offensive, c’est celui où devaient  se signer  les Accords  d’Abraham -des accords qui auraient isolé l’Iran. Le  Déluge d’Al Aqsa a sur ces accords un effet cataclysmique qui les jette pour l’immédiat aux oubliettes, dans le fracas de la guerre.

Avec l’entrée finalement  officielle de l’Iran sur la scène du conflit, quelque chose se manifeste clairement qui voulait se faire oublier, derrière  la clameur ô combien  bruyamment répétée d’une “Palestine libérée de la rivière à la mer.”

Notre histoire -celle de nous autres occidentaux- serait-elle désormais désarticulée par de brusques assauts d’amnésie et d’aveuglement qui la rendent illisible à nos propres yeux ? Et notre avenir se résumerait-il à ce que nous ne voulons pas voir venir ?

Il y eut un autre moment d’amnésie percutante durant l’année écoulée qui laissera la majorité des juifs de la diaspora dans un état de désemparement douloureux : c’est l’oubli  quasi instantané,  dans des proportions hallucinantes, des abominations commises le 7 octobre au profit -si j’ose dire- de la compassion pour les victimes de la réplique  militaire israélienne sur Gaza.

On sait combien ce moment fut pivotal pour la construction d’une imagerie hostile  où les Israéliens et les juifs de la diaspora  se retrouvèrent travestis  dans les universités comme sur la plupart des scène internationales en sionisto-nazis, perpétuant un génocide digne d’une solution finale  sur le peuple palestinien. Dans les caricatures véhémentes engendrées de longue date par la judéo-phobie arabo-musulmane, le coup  du juif nazi n’est pas nouveau,  mais il n’a, c’est certain, jamais aussi bien marché. J’y reviendrai. 

De l’amnésie à la confusion de tout avec tout il n’y a qu’un pas. Le franchir  peut s’avérer très performant  dans la guerre asymétrique que les partisans de l’Islam  de combat  livrent à l’Occident. Ainsi peut-on lire dans “Le Management de la Barbarie”, le bréviaire le plus radical du  Jihadisme, ce texte  lapidaire qu’on aurait tort de ne pas prendre au sérieux : 

“Nous devons enrôler tous les mouvements, toutes les masses, tous les partis  dans la bataille et mettre tout le monde sens dessus dessous”.

Ce “monde sans dessus dessous” n’est-il pas  celui dans lequel le terrorisme islamique à visée planétaire a  finalement  réussi à nous faire vivre ? Par “nous”,  j’entends tous ceux qui  subissent,   depuis la “double razzia bénie” du 11 septembre 2001, les chocs traumatiques  répétés et  stupéfiants que leur infligent  en actes et en images ceux qui veulent les vaincre par la terreur.

Dans quel espace mental vivons-nous désormais en Occident  pour basculer aussi vite des prémices d’une compassion fugace  à  son oubli – comme au lendemain du 7 octobre- tandis qu’un sentiment de haine pour ceux qu’il faudrait consoler se répand comme un gigantesque incendie, et qu’on lacère  comme des portraits de criminels des visages d’otages retenus en captivité dans des conditions innommables? Un monde comme le prouvent ces mutilations  psychopathes  où les images et le réel se confondent sans frein ni égard pour le vrai ou le faux, un monde sans repère où les pistes se brouillent, où l’ennemi se fait passer pour l’ami, où la  haine que nous nous portons à nous-même conflue avec la rage de ceux qui veulent nous détruire.

La Stratégie du Choc, pour reprendre l’expression de Naomie Klein, c’est contre l’Occident abhorré qu’elle s’applique désormais, détricotant  le fil de son histoire à coup de terreur et d’oubli, dans un tourbillon d’autant plus vertigineux  que les réseaux sociaux lui donnent la possibilité de faire  exploser ses traumas verbaux ou visuels dans des proportions illimitées.

Qui pourra nous rendre à nouveau lisibles à nos propres yeux ? Qui nous aidera à prendre la distance salutaire qui peut seule nous détacher de la fascination compulsive pour les images de l’horreur -elles   qui ne peuvent que faire peur ou jouir mais ne permettent jamais de penser ?-

J’attendais  avec impatience la sortie  du Livre de Gilles Kepel dont chacun sait le courage, la rigueur et l’étendue des connaissances sur le monde arabo-musulman. Je trouverai dans  “Le Bouleversement du Monde” sous-titré  “L’après 7  Octobre” une analyse exhaustive  des retombées multiples provoquées par “l’effet de souffle” du 7 octobre comme par  la riposte israélienne. Parmi ces retombées un récit émerge -nous dit Gilles Kepel- abondamment nourri par les médias du monde entier, récit dans lequel  “la culpabilité d’Israël était prouvée par le nombre disproportionné de victimes palestiniennes et la puissance de son armée… F16 et Merkava contre carrioles chargées de matelas où se juchaient des enfants effarés ; de telles images  […] structurèrent un grand récit normatif qui conquit les cœurs et les esprits les plus expressifs de la jeunesse euro-américaine et ouvrit une faille éthique au sein de l’Occident d’hier, recodé en Nord d’aujourd’hui”.

Soit. Mais où -dans une telle analyse- sont  passés la virulence des paroles et des actes antisémites en augmentation constante tout au long de l’année,  les intimidations, les coups,  le viol collectif  d’une jeune fille de douze ans à Courbevoie en juin dernier par trois gamins  de son âge qui la traiteront  de sale juive ? Il me semble qu’on déborde  de plus en plus largement du cadre des bons sentiments d’une jeunesse un  peu trop “expressive”.

Non décidément je ne peux me résoudre à me contenter d’une analyse aussi succincte de la haine quasi-universelle que j’ ai vu cette année  converger de toutes parts  avec une intensité accrue  vers  “un juif imaginaire” dont on ne sait trop dire s’il est israélien, israélite, sioniste, mais  dans lequel se retrouvent tous les traits  que l’antisémitisme tant européen qu’arabo-musulman  dessine de manière identique : cruauté vampirique, sacrifices rituels d’enfants, cupidité sans frein, volonté sournoise de domination régionale et mondiale … Quelle différence entre les caricatures antisémites du Stürmer nazi et cette image de la presse libanaise datée de 2001? Mais qu’importe la date ? En cherchant un peu je suis sûr de pouvoir trouver la même image et, à coup sûr, les mêmes discours  aujourd’hui. Car l’antisémitisme ignore le temps et répète à toutes époques et en tous lieux la même antienne cauchemardesque.

Au fond pourquoi est-il impossible de discuter avec un antisémite ? La réponse me semble, au vu de l’année écoulée et de ses turbulences anti-juives haineuses,  évidente : l’antisémitisme est une production de l’inconscient et l’inconscient  n’est pas une instance de dialogue mais une usine à rêves -bons ou mauvais- ou à symptômes névrotiques, qui fonctionne sous  la pression du refoulement, sans égard pour le temps ni la réalité selon la  double  logique  du déplacement et de la condensation, comme Freud nous l’a définitivement appris.

Qu’on m’autorise cette référence, car  je ne vois pas comment  comprendre autrement l’irréalisme délirant et menaçant qui conduit, pour ne citer que cet exemple des membres de la communauté LGTB à  chanter les louanges d’une Intifada qui si elle triomphait aurait pour premier objectif de les balancer du toit des immeubles. Comme le suggère  le bon sens populaire on est chez les dingues.

On y  est aussi quand on voit dans  les universités  comme sur la scène internationale  les Israéliens  se faire accuser de génocide, alors  que le terme a été inventé par un juriste juif pour qualifier l’horreur de l’extermination nazie. Le “juif- nazi”, trouvaille satisfaite d’elle -même de la vindicte haineuse, reste  dans son imbécile naïveté,  l’exemple le plus  pur  d’un processus de déplacement au sens  freudien. Il ne peut être produit que par une pensée délirante elle-même mue par un désir de meurtre. Il en va de même des efforts répétés faits par les mêmes  pour condenser ( encore au sens freudien )  dans l’image  d’Israël et sous  tous ses aspects, ce  que l’idiotie intersectionaliste du wokisme, rejoignant dans la même allégresse réductrice les illuminés islamo-fondamentalistes et  les zélateurs  enténébrés du Sud Global, définit comme le  Mal Absolu : savoir le patriarcat mâle blanc dominant impérialiste et néo-colonial, ce qui, on en conviendra, fait beaucoup pour un si petit pays.

Tout cela  pourrait prêter  à rire  ( et d’ailleurs rien ne nous en empêche ) s’il ne nous avait pas été aussi violemment rappelé le 7 octobre et tout au long de cette année, sur quoi débouche la folie collective antisémite de masse qui vient toujours abreuver de sang réel les appétits imaginaires de la pulsion de mort. Ce que nous avons vu cette année et n’avons pas fini de voir c’est la conjonction de deux haines, faites au fond  pour s’imbriquer  : la haine de l’Occident telle que  l’Islam de combat -assumant  en l’amplifiant l’héritage frériste- la met en pratique depuis le 11 septembre 2001, et la haine que l’Occident se voue à lui-même par le biais des avatars douteux de l’auto-flagellation wokiste.

Qu’avons-nous -nous autres juifs avec ou sans confession, israéliens ou  dispersés  de par le monde – à opposer au vent mauvais  qu’une déroutante   névrose mondiale a fait se lever contre nous ? Certes, les flots de bêtises haineuses qui nous ont submergés cette année de Science-Po ou  à Columbia-pour ne rien dire des nombreux carnavals de la furie mélenchoniste- nous laissent désemparés. Mais ils pèsent le poids d’ une plume, si on les met en balance avec les chocs que les Israéliens se voient contraints d’endurer, eux qui virent s’ajouter à l’innommable pogrom les prises d’otages et leurs maltraitances avérées, le chantage au  meurtre et les mises à mort,  tandis que pleuvaient  en flux ininterrompus et de toutes  parts les missiles  des proxis, puis  de l’Iran lui-même.

Malgré les divisions, les tensions, les crises politiques internes, malgré les morts au combat, la dureté  implacable de la guerre, quelque chose les fait tenir qui force, pour éloigné que je sois d’eux,  mon admiration. Il y va d’une aptitude  que nous pourrions nous autres, occidentaux, leur envier, car nous l’avons, désemparés par la peur de voir disparaître nos précieux et confortables avantages, perdue : C ‘est l’aptitude à faire peuple, au sens d’avoir son centre de gravité en soi-même, quelles que soient les épreuves endurées.

Accordons aux juifs d’avoir inventé, outre  le monothéisme et dans la foulée de celui-ci, l’art de ne compter, au-delà des alliances toujours hypothétiques,  que sur soi. Pascal l’avait compris qui écrivait dans les “Pensées”  : 

“Je vois d’abord que c’est un peuple tout composé de frères : et, au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui-ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d’un seul homme ; et, étant ainsi tous une même chair, et membres les uns des autres, ils composent un puissant État d’une seule famille. Cela est unique”.

En effet, cela est unique et je suis prêt -tout incroyant que je sois- à prier pour que ça le reste.

© Thomas Stern

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