Atlantico : Par son énorme retentissement et par le nombre de terroristes du Hezbollah touchés, les opérations « bipers » avant-hier et « talkie-walkie » hier, toujours pas revendiquées, marquent vraisemblablement un tournant dans la guerre ouverte le 8 octobre dernier : comment en interprétez-vous le timing ? Cette attaque frontale contre le Hezbollah révèle-t-elle en creux que l’état-major israélien considère être suffisamment venu à bout du Hamas à Gaza pour passer à un autre adversaire ?
Dov ZERAH : Oui. Après le pogrom du 7 octobre, le gouvernement israélien s’était fixé trois objectifs de guerre : récupérer les otages ; détruire les infrastructures du Hamas au point que l’organisation terroriste ne soit plus en mesure de diriger Gaza ; sécuriser la frontière avec la bande de Gaza, y compris « le couloir Philadelphie », à savoir la frontière entre l’Égypte et le territoire palestinien, ainsi que la consolidation du « corridor de Netzarim » au centre de la bande.
À l’exception des otages, les objectifs ont été atteints, ce qui n’exclut pas des opérations ponctuelles. Sur les 251 personnes enlevées pendant le pogrom, 101 sont toujours retenues à Gaza, dont 33 ont été déclarées mortes par l’armée.
Mais le sujet des otages est difficile et il se pose de la même façon qu’au premier jour.
Les derniers responsables du Hamas avec les frères Sinwar se protègent derrière ces boucliers humains.
Israël est confronté à un dilemme, éviter les bombardements de lieux où pourraient se trouver ces responsables pour ne pas toucher les otages ; parallèlement, l’exercice de récupération se complique puisque lorsque cela est possible, les otages sont tués à bout portant, comme ce fut le cas il y a deux semaines avec les six otages.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y avait, jusqu’à mardi, aucun objectif relatif au Nord. Pourtant, depuis le 8 octobre, Israël subit des attaques quotidiennes du Hezbollah, a accepté que 60 000 Israéliens vivent en dehors de leurs foyers, et a laissé de facto se créer un « no mans land » côté israélien. Tsahal a certes réagit avec un certain succès, comme avec l’assassinat du plus haut gradé du Hezbollah, Fouad CHOKR, ou l’attaque préventive du 25 août, mais ne faisait que réagir.
Tsahal est aujourd’hui à l’offensive. Nous sommes clairement à un tournant, même si celui-ci remonte à la semaine du 19 août lorsque les bombardements israéliens étaient effectués en plus grande profondeur au Liban.
Avant-hier, un communiqué du bureau du 1er ministre a annoncé que le cabinet politique et de sécurité s’est fixé un 4ème objectif de guerre : le retour en toute sécurité des 60 à 80 000 habitants du nord du pays dans leurs maisons.
Il était temps ! Depuis le 25 août, le gouvernement fait face à une contestation des habitants du Nord qui considèrent qu’il a été plus réactif lorsque le centre du pays était menacé… alors qu’eux continuent à subir quotidiennement les attaques de drones et de missiles !
Atlantico : Quel est désormais selon vous le scénario le plus probable : réplique du Hezbollah ou attaque proactive d’Israël sur le Liban pour réduire définitivement la menace de la milice chiite ? Les militaires israéliens ont longtemps redouté un conflit ouvert avec le Hezbollah tant le mouvement s’est consolidé depuis la guerre de 2006, leur analyse a-t-elle changé ?
Dov ZERAH : Face aux affronts qu’il a subis, à la risée dont il est l’objet dans les réseaux sociaux et au Liban, le Hezbollah se doit de réagir. Néanmoins, il ne devrait pas se lancer dans une guerre de grande ampleur pour au moins deux raisons.
En a-t-il les moyens ? Quels que soient les destructions infligées par l’État hébreu, il a encore un énorme potentiel de missiles et drones. En revanche ses capacités opérationnelles ont été amoindries. 4 000 et 500 cadres ont été respectivement touchés lors des deux opérations « bipeurs » et « talkie-walkie ». Une très grande partie de l’encadrement de la milice est aujourd’hui à l’hôpital, et nombre d’entre eux ont perdu une main ou un œil. Corrélativement, l’organisation terroriste est totalement désorganisée faute de moyens de communication efficaces. Et Israël est toujours à l’écoute, le centre d’écoutes de Modiin a en temps normal 20 000 soldats et 20 000 réservistes, tous mobilisés aujourd’hui !
Après ces coups de maître, le Hezbollah et l’Iran ne peuvent qu’hésiter. La réaction sera plus que symbolique car le Hezbollah doit craindre de perdre un peu plus. Dans ce genre de situation, il faut savoir « se couper un bras » plutôt que de perdre plus !
Est particulièrement symptomatique, la déclaration faite samedi dernier, avant les deux opérations, par le numéro deux du Hezbollah, Naïm QASSEM, à savoir que son groupe n’avait « pas l’intention d’entrer en guerre (mais) si Israël déclenche une guerre, nous y ferons face et les pertes seront énormes pour nous comme pour eux ». On est loin des rodomontades des terroristes chiites libanais.
N’oublions pas qu’après la guerre de 2006, Hassan NASRALLAH n’avait pas hésité à reconnaître « si j’avais su l’ampleur de la réaction israélienne, je n’aurais pas déclenché la guerre ! »
En revanche, il est vraisemblable qu’Israël cherchera à écorner les capacités de la milice terroriste car maintenant, un objectif de guerre a été affiché, et il sera difficile de faire machine arrière. Le gouvernement se doit de répondre à la demande des populations ; il est par ailleurs difficile d’imaginer qu’il ait lancé de telles opérations sans anticiper et se préparer au pire scénario. Notons enfin que Tsahal y est favorable depuis plusieurs semaines.
Atlantico : Quelle réaction le régime iranien pourrait-il avoir face à la succession d’humiliations que lui a infligées Israël ?
Dov ZERAH : De la même façon que Téhéran n’a pas réagi à l’assassinat par les Américains de Quassem SOLEYMANI, ou à celui d’Ismaël HANIYEH, ils feront le dos rond tant qu’ils n’auront pas consolidé la défense aérienne de leur territoire. La mollacratie iranienne ne prendra aucun risque susceptible de remettre en cause son programme nucléaire. La mollacratie iranienne ne prendra aucun risque susceptible de remettre en cause son régime de plus en contesté.
Depuis le 14 avril, l’Iran a démontré de vraies faiblesses. Lorsqu’ils ont envoyé 325 missiles et autres engins, ils ont été interceptés. En réaction, Israël a bombardé les défenses anti-aériennes de la centrale nucléaire de Natanz en Iran pour adresser un message clair, « nous sommes en mesure de frapper vos centres nucléaires eu égard la faiblesse de vos défenses anti aériennes ». Il a été reçu « 5 sur5 » à Téhéran qui avait déclaré « l’incident est clos » !
Les ardeurs des mollahs auraient été, selon certaines informations, calmées par le nouveau président conscient de la réalité de la situation de son pays qui est dans un état difficile avec une crise économique qui ne cesse de s’aggraver, des grèves, des mouvements de contestation et de résistance très nombreux…
La faiblesse de la défense anti-aérienne du pays laisse présager la destruction des raffineries et centrales électriques… sans évoquer le secteur nucléaire.
L’épisode de l’élimination de Ismaël Haniyeh dans une résidence des Gardiens de la révolution interpelle également ; cela prouve notamment qu’il y a des infiltrations à des endroits névralgiques du pouvoir.
Enfin, l’impérialisme tous azimuts de Téhéran au Proche Orient a entrainé la constitution d’une coalition emmenée par les États-Unis, avec la France et le Royaume-Uni, de nombreux pays arabes au premier rang desquels l’Arabie saoudite et la Jordanie… et surtout Israël !
En revanche, il n’est plus exclu qu’après les élections américaines de novembre, cette coalition en arrive à prendre l’initiative en damant le pion au faiseur de troubles de la région.
Pour mémoire, rappelons que les intérêts iraniens sont remis en cause en Syrie par le Président Bachar El ASSAD lui-même, ce qui a conduit Téhéran à interrompre les livraisons de carburant à Damas.
Cela est particulièrement cocasse à un double titre. En arriver à une telle situation interpelle alors que l’Iran et le Hezbollah ont aidé le régime alaouite à survivre. Par ailleurs, le régime syrien n’a pas engagé une telle évolution sans l’assentiment de Moscou, alors que dans le même temps, Téhéran livre drones et missiles à la Russie pour l’aider à gagner sa guerre en Ukraine.
Atlantico : Près d’un an après le 7 octobre, quel avenir peut-on imaginer pour Gaza et plus largement pour les rapports entre Israël et les Palestiniens au regard de la situation militaire, politique et diplomatique actuelle ? Reste-t-il des interlocuteurs à Israël pour négocier quelque chose ?
Dov ZERAH : Oui, il y a localement des acteurs prêts à s’investir. Mais, tout est conditionné par la survie de SINWAR. Tant qu’il est à Gaza, il bloquera toute tentative d’implication de familles ou clans dans la gestion au quotidien de la bande. Il n’a pas hésité à le faire au cours des derniers mois en éliminant physiquement les volontaires.
Parallèlement, le « jour d’après » sera écrit avec les signataires des Accords d’Abraham et surtout l’Arabie saoudite.
Alors que le pogrom du 7 octobre était censé empêché la Mecque de rejoindre les Accords d’Abraham, de facto les Saoudiens sont en alliance avec les Israéliens !
Atlantico : Sur le plan intérieur, Benyamin NETANYAHOU est-il parvenu à reprendre la main au point de faire oublier sa responsabilité dans les failles ayant permis le 7 octobre ou dans les polémiques sur la manière dont la guerre à Gaza a été menée ?
Dov ZERAH : Au-delà de son usure et de sa responsabilité dans les événements du 7 octobre, NETANYAOU doit faire face à trois oppositions : la légitime fronde des familles des otages sans sous-estimer l’instrumentalisation politique par des responsables à la peine dans les sondages ; la contestation des populations du Nord qui ne veulent plus avoir une vie de déracinés dans leur pays ; enfin les partis religieux menacent de quitter la coalition si la loi sur l’enrôlement des orthodoxes étaient votée.
Ce sujet lancinant depuis la renaissance de l’État hébreu a pris une double actualité depuis quelques années et surtout depuis le 7 octobre. Le nombre des religieux en écoles talmudiques n’a cessé de croître, ce qui a accentué l’entaille au contrat national sur le partage de l’impôt du sang. La situation générée par les massacres du 7 octobre a modifié le modèle de l’armée ; ses besoins sont passés de 150 000 à 230-250 000 appelés.
Confronté au chantage des orthodoxes et au refus de son ministre de la Défense, Yoav GALLANT, d’y céder, NETANYAOU en est arrivé à créer une crise politique en cherchant à le remplacer par Gidéon SA’AR. La crise libanaise a, pour le moment, mis le projet entre parenthèses.
En tout état de cause, les sondages donnent le chef du Likoud gagnant, ce qui ne refroidit nullement les ardeurs de ses opposants à l’exception de SA’AR dont la crainte de la disparition politique et l’attrait du maroquin l’ont conduit à avaler des couleuvres et à oublier ses diatribes proférées contre BIBI.
Atlantico : Après « les bipers » avant hier, les explosions de talkie-walkies hier, Israël a-t-il su trouver un équilibre entre guerre électronique high-tech et guerre « à l’ancienne » sur le terrain ? On avait beaucoup reproché à l’état-major et au gouvernement israélien de s’être endormis sur l’illusion de la barrière électronique, n’ayant en rien empêché l’attaque low tech du Hamas le 7 octobre …
Dov ZERAH : Oui, Tsahal est aujourd’hui en mesure de combattre à l’ancienne en envoyant des troupes au sol dans des zones très urbanisées et de conduire des cybers attaques hyper sophistiquées.
Oui, le 7 octobre n’a été possible qu’à cause de l’arrogance de certains militaires. Ils avaient les informations, mais ils avaient été anesthésiés par le Hamas qui leur avait livrés des dirigeants du Djihad islamique quelques mois avant le samedi noir et avait fait des avances de normalisation conduisant Jérusalem à accroître le nombre de permis de travail délivrés aux Gazaouis.
Les récents opérations contre le Hezbollah démontrent a contrario que Tsahal s’était bien préparé à la menace du Nord et n’avait pas suffisamment anticipé le danger du Hamas. Les délais mis par l’armée à réagir et faire face à la situation constituent une preuve supplémentaire de cette impréparation.
© Dov ZERAH
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