Je laisse au lecteur averti le soin de reconnaître l’allusion du titre. La littérature peut en dire long sur l’Histoire, laquelle se répète sans relâche. Chez nous, dans ce monde merveilleux et libre, pas de Goulag physique pour faire taire les récalcitrants. Mais le Goulag mental existe bel et bien, nourri par tous les cercles institutionnels. Il est volontaire. Et efficace. Dans ce court article, je voudrais donner un exemple de son fonctionnement.
En faisant mes recherches sur les ouvrages consacrés au mouvement du Hamas, je suis tombée sur une notice affichée par la Fnac qui promeut le « roman » « profondément touchant » du chef du Hamas, Yahya Sinwar. Le tweet à l’appui:
Ce dernier offre « un aperçu unique sur une histoire de résilience et l’esprit de résistance ». La Fnac incite les lecteurs à « plonger dans les profondeurs de la psyché d’Al-Sinwar à travers ses années d’emprisonnement, révélant un esprit inébranlable malgré les limites de sa cellule. ». Cette œuvre littéraire est marquée par « la passion et la détermination de l’homme qui continue d’influencer le paysage politique ». Le livre paraît en avril 2024 dans la traduction française version ebook sous le titre : L’Epine et l’œillet, traduit de l’anglais The Thorn and the Carnation (la traduction anglaise est faite de la version arabe Al-Shawk wa’l Qurunful). Cette « œuvre » est écrite en 2004, éditeur non précisé, pendant les années d’emprisonnement de Sinwar en Israël qui commence en 1988.
Avant l’emprisonnement, Sinwar était responsable du service de sécurité interne du Hamas, Al-Majd, et il était connu sous le nom de « Boucher de Khan Yunis ». Il s’occupait des opérations punitives contre les Palestiniens qui collaboraient avec Israël. Son chef d’accusation lors du procès était d’avoir organisé l’enlèvement, la torture et l’assassinat de deux soldats israéliens et de quatre Palestiniens que le Hamas soupçonnait d’avoir fourni des informations à Israël. Il a été condamné à quatre perpétuités. Opéré en 2004 par Yuval Bitton (ce qu’on regrette infiniment), d’un abcès au cerveau, il sort en 2011, lors d’un accord d’échange de prisonniers, pour sauver Gilad Shalit, capturé par le Hamas.
En 2018, Sinwar, dans une interview accordée à la journaliste de Reppublica, Francesca Borri,[1], explique que pour lui le seul moyen d’exister dans les médias est le sang : « We make the headlines only with blood. And not only here. No blood, no news ». Cette déclaration du romancier de la mort a été vérifiée par le nom donné au massacre du 7 octobre « Déluge d’Al Aqsa ». Il s’agit du déluge qui doit emporter les impies, comme le précisent certains versets coraniques qui parlent du déluge comme châtiment pour le peuple « injuste ». Devinez lequel ? Paradoxalement, personne ne se penche sur la sémantique islamique dans ce monde occidental de « progressistes » arrogants qui ignorent à peu près tout du fonctionnement du monde musulman, et ce malgré les ouvrages des spécialistes accessibles à qui n’a pas la flemme.
Le narrateur de Sinwar met en scène un personnage qui incarne le mouvement islamiste fondé par le Sheikh Yassin, le mouvement du Hamas avec le programme d’extermination des Juifs qu’on lui connait. Grâce aux exégèses du très docte site chroniquepalestine, on apprend que la philosophie de Sinwar est « le « lien exceptionnel entre la religion et le nationalisme qui atteint ce sérieux à travers l’obligation du djihad, ou guerre sainte, qui imprègne la cause nationale de sainteté et enracine ainsi dans l’individu le sérieux nécessaire pour l’atteindre, comme l’affirme le narrateur[2].
Effectivement, toute cette biographie romancée est un appel au jihad, à la guerre sainte contre les Juifs et accessoirement contre ceux qui les soutiennent. Que dire ? L’attendrissement des éditeurs n’est pas nouveau dans le paysage européen littéraire, qui s’émeut depuis Sartre devant toute sorte de massacres commis au nom de causes « justes ».
Le fait de publier cet appel au meurtre romancé traduit en français en 2024, quelques mois après le massacre du 7 octobre, alors qu’il a été écrit en 2004, interpelle. Pourquoi maintenant, alors que les otages israéliens sont tués et torturés à Gaza par les assassins du Hamas, alors que des millions d’islamistes et d’antisémites se réjouissent du déluge de sang qu’il a provoqué ?
Pourquoi les grandes enseignes françaises s’attendrissent-t-elles devant les écrits de celui qui est responsable de la mort de tant de Juifs, de tant de viols, de tant de massacres, commis selon les prescriptions précises et détaillées pensées par Sinwar? Identification morbide ? Enorme clientèle qui n’attendait que le nouveau Mein Kamp islamique ? Présence des Frères Musulmans au sein de ces enseignes ? Obéissance totale aux préconisations de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique, qui stipule dans son appel solennel de 1969 que les médias, les radio, la presse et la télévision en Occident devraient agir contre Israël et ses alliés)? Ou les fonds de l’ISESCO? ( Organisation du monde islamique pour l’éducation , la science et la culture)
J’émets cette hypothèse pour la raison suivante. La traduction anglaise du grand roman de Sinwar que j’ai consultée, commence par une dédicace :
« Je dédie ce livre à tous ceux dont les cœurs battent pour la terre de Isra et Mir’aj, de l’océan jusqu’au Golf, vraiment, de l’océan jusqu’à l’océan »[3].
Isra et Mir’aj est le voyage nocturne, suivi de l’ascension du prophète Mouhamed (voir la sourate . Selon la légende, ces évènements ont eu lieu sur le Mont du Temple. Le calife Omar aurait construit deux bâtisses sur le Mont du Temple à Jérusalem. Il n’y a pas de preuves archéologiques de leur existence ainsi que de leur inexistence. Il fallait un récit appuyé que l’autorité du grand calife, pour légitimer leur construction. Ce fut le calife Abd al Malik qui construit le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa sur les ruines du Temple juif, à la toute fin du 7 siècle.
Et c’est également lui qui a lié la construction de cet ensemble à la légende. (Il s’agit de la mosquée d’Omar (qubbat as-sakhra) qui n’est pas une mosquée et qui n’a rien à voir avec Omar -4) et la mosquée Al-Aqsa -5). Cet évènement est commémoré tous les ans par les musulmans ; et cette année, ce fut du 7 à 8 février. La proximité de la sortie du livre en France par rapport à la date de cette commémoration peut et doit interroger.
Force est de constater que par suite des réactions sur les réseaux sociaux, le livre a été retiré des enseignes françaises qui vantaient ses qualités profondément « touchantes » : La Fnac et Décitre. Pour marquer le coup, le site Actualitté[4] a décidé de publier un article qui s’inspire en partie des contributeurs de chroniquepalestine cité ci-dessus.
« Mais qu’y a-t-il dans l’ouvrage du très sulfureux (sic!)Yahya Sinwar ? D’abord, il s’agit d’une autobiographie. Le chef du Hamas à Gaza y décrit son engagement dans la construction d’une infrastructure de résistanceà Gaza. Publié initialement en 2004 et écrit en prison, il présente les réflexions et expériences tirées d’une vie marquée par la résistance armée. Il explore en outre les défis de la résistance face à l’occupation israélienne et la dynamique entre les différentes factions palestiniennes. Le livre offre notamment un aperçu des tensions internes et des aspirations palestiniennes. Il s’y décrit comme un homme de foi, dédié à la cause palestinienne, et qui évite tous les sentiments antisémites, se concentrant sur la lutte contre l’occupation. À chacun de juger si on doit le croire ou non, en fonction de ses actes… »
Sinwar appelé « sulfureux » et les syntagmes « la résistance » et « l’occupation israélienne » sont utilisés sans guillemets, l’auteur de l’article semblant adhérer à l’idée que l’organisation d’assassinats de Juifs et de Palestiniens qui collaborent avec le Hamas était de la résistance. Et laisse pudiquement et démocratiquement le choix aux lecteurs : « à chacun de juger… » si oui ou non Sinwar est antisémite. Je dirais plutôt « antijuif », car « antisémitisme » est un terme plus pertinent pour la modernité, alors que l’islam est traversé par les sentiments antijuifs depuis sa canonisation, et Sinwar est un musulman fervent. On s’émeut de tant d’impartialité.
Par ailleurs, notre Gibert-Jeune national a décidé d’épauler la Fnac en affichant un stand de la rentrée avec les ouvrages d’Ilan Pappé et de Shlomo Sand
La photo est faite par Samuel Athlan https://x.com/samuelathlan/status/1831780654926954575
Ilan Pappé, ce petit épigone israélien de l’apôtre Paul de Tarse, qui a l’habitude connue de tous ceux qui s’intéressent à ses « travaux » -il falsifie souvent les citations[5] -a été à plusieurs reprises sévèrement critiqué par Benny Morris[6], pourtant « nouvel historien » lui-même:
et Ephraim Karsh (https://www.meforum.org/middle-east-quarterly/the-unbearable-lightness-of-my-critics), même par le très gauchiste journal Haarez [7] et, tenez-vous bien, par Journal of Palestinian Studies, qui a dû reconnaitre que les citations données par Pappé sont inventées. On y trouve également l’ineffable Shlomo Sand, dont les écrits sont bourrés de fautes historiques et linguistiques démontrées par M. Hadas-Lebel, I. Bart, G.-E. Sarfati, Sh. Trigano et l’auteure de ce texte. Voir la synthèse ici. Quoi de mieux que les juifs révisionnistes, manipulateurs, imposteurs et falsificateurs !?
La rentrée littéraire est bien partie. Les librairies sont en forme. Désormais nous attendons impatiemment les œuvres complètes de l’ayatollah Khamenei avec la préface de Rima Hassan et la postface de Sébastien Délogu. Le concours est ouvert entre la Fnac, Décitre et Gibert Jeune.
© Yana Grinshpun
Notes
[1] https://ynetnews.com/articles/0,7340,L-5364286,00.html
[2] https://www.chroniquepalestine.com/la-philosophie-de-la-resistance-par-yahya-sinwar/)
[3]I dedicate this to those whose hearts cling to the land of Isra and Mir’aj, from the Ocean to the Gulf, indeed, from ocean to ocean.
[4] https://actualitte.com/article/118817/librairie/la-fnac-vend-l-autobiographie-du-chef-du-hamas-avant-de-la-retirer
[5] https://www.camera.org/article/university-of-exeter-gives-pappe-a-pass-on-invented-ben-gurion-quote/
[6] Benny Morris a écrit plusieurs textes critiques à l’égard de I. Pappé, notamment « The Lier as a Hero» https://militero.wordpress.com/wp-content/uploads/2011/06/the-liar-as-a-hero.pdf et s’est expliqué ici https://www.youtube.com/watch?v=7jGhC5vMY6s&t=147s
[7] https://www.haaretz.co.il/literature/study/2021-08-05/ty-article-review/.premium/0000017f-e176-d9aa-afff-f97e11400000
Comme d’autres l’ont fait avant moi, je me permets de rappeler que le monde éditorial (tout comme les universités et le showbiz) est gangrené par la mouvance d’extrême-droite indigéniste, cad les nazis islamistes et pro Hamas.
Il faudrait dénazifier c’est-à-dire désindigéniser et démélenchoniser le monde éditorial, culturel, universitaire, journalistique français…Faire le ménage par le vide.