Guillaume Maurice, le pauvre type qui ne mérite même pas que nous nous interrogions sur l’humour

Desproges l’aurait-il fait? Ou encore Stéphane Guillon? Peut-être. Peut-être pas.

Si oui, aurions-nous mieux toléré ce que celui-là qualifie d’humour.

Nous pourrions gloser sur les nuances entre humour et ironie. Sur la frontière au-delà de laquelle nous n’avons plus envie de rire.

Mais comme nous n’aurons jamais envie de rire “avec” celui-là, le débat s’arrête.

Un mot encore: Jamais nous n’avons ri de la Shoah. Jamais nous ne rirons du 7 octobre.

Un mot encore: Desproges et Guillon, outre qu’ils avaient, eux, du talent, n’étaient pas antisémites

***

Guillaume Meurice ou la “joie mauvaise” de l’antisémitisme

« Cela fait un certain temps que je cherchais à comprendre le ressort de l’antisémitisme nouveau qui s’abat sur les Juifs et Israël depuis que l’État hébreu a lancé sa funeste guerre contre Gaza. Et là, grâce à l’humoriste de France Inter et à sa sortie sur Netanyahou, qualifié de “nazi sans prépuce”, je crois avoir enfin compris. Il réactive ce que les Grecs appelaient épichairekakia et les Allemands Schadenfreude, la joie mauvaise qui trouve du plaisir dans le malheur des autres. Avec cette finesse inédite dans l’attaque – les Juifs méritent des égards spécifiques – qu’il s’agit de retourner contre eux toutes les blessures avec lesquels ils avaient eu l’indécence, jusqu’ici, de se présenter à nous.

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Les Grecs l’appelait épichairekakia (ἐπιχαιρεκακία), d’épi (ἐπι),“sur”, khará (χαρά), “la joie”, et kakós (κακός), “mauvais” ; les Anglais du XVIIIe siècle, “epicaricacy”, et les Allemands du XIXe, “Schadenfreude” – de Schaden (“mal”, “dommage”) et Freude (“joie”). Soit la joie éprouvée au malheur des autres. Bizarrement, alors que la notion existe dans de très nombreuses langues européennes, elle est absente du français. Mais l’absence du mot ne l’empêche pas de s’exercer et même de prospérer. Comment se définit-elle ? Et quel est son ressort ?

Dans la Rhétorique, Aristote en propose une première approche. Alors qu’il se penche sur les règles du discours susceptibles de persuader un juge ou une assemblée par des “preuves”, qui vont du raisonnement à “l’attaque personnelle, l’excitation à la colère et autres passions analogues”, Aristote parcourt les affects éthiques fondamentaux (pitié, indignation, envie) qui doivent soutenir la parole du rhéteur. La pitié est le chagrin que nous éprouvons devant le malheur immérité d’un semblable. L’indignation, son opposé, est la colère que nous éprouvons devant le succès immérité d’un semblable. Enfin, l’envie est l’amertume éprouvée devant le succès mérité d’un semblable. Or Aristote se voit obligé de reconnaître un dernier affect, plus obscur, qui trouble ces belles distinctions. Déjà la pitié, qu’on croyait purement positive, se révèle ambivalente : la peine partagée pour le malheur du semblable est aussi motivée par la crainte d’être victime d’un même sort. Mais le trouble s’épaissit avec la découverte d’un nouvel affect, où l’indignation se mêle à l’envie : “Celui qu’afflige la réussite de gens qui n’en sont pas dignes se réjouira ou, du moins, ne sera pas péniblement affecté de l’échec des gens placés dans une situation contraire. Par exemple, à la vue de parricides ou d’assassins quelconques subissant leur châtiment, personne, parmi les gens de bien, ne pourrait éprouver de peine ; car on doit plutôt se réjouir d’un tel dénouement.”

Ainsi, il peut nous arriver d’éprouver de la joie, ou a minima une “absence de peine” devant le malheur d’autrui, dès lors que nous jugeons qu’il l’a “bien cherché”. Mais en prenant l’exemple du châtiment légitime infligé au criminel, Aristote referme assez prudemment la porte qu’il vient d’ouvrir. Les Modernes, scrutateurs des passions tristes, n’auront pas cette prudence. Dans Humain, trop humain (1878), Nietzsche fait de la Schadenfreude l’un des ressorts de la vie démocratique qui induit les égaux à se comparer et à se jalouser. “Si l’homme a des raisons momentanées pour être heureux lui-même, il n’en accumule pas moins les malheurs du prochain, comme un capital dans sa mémoire, pour le faire valoir dès que sur lui aussi le malheur se met à fondre : c’est là également une façon d’avoir une ‘joie maligne’(‘Schadenfreude’) (Humain, trop humain, “Le voyageur et son ombre”, §27). Tandis que Freud y voit l’un des fondements, infantile, du rire : “Lorsque nous voyons dans la rue quelqu’un glisser et tomber, nous rions car, sans qu’on sache pourquoi, cette impression est comique. L’enfant rit dans les mêmes conditions par sentiment de supériorité́ ou par joie maligne (‘Schadenfreude’) : ‘Tu es tombé, et moi pas’” (Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, 1905). Mais c’est Schopenhauer qui creuse le plus profond. La Schadenfreude est pour lui le révélateur d’une méchanceté humaine fondamentale, car gratuite : “Aucun animal ne torture uniquement pour torturer, mais l’homme le fait.” Habité par un “mal radical”, l’homme est en outre capable d’y trouver du plaisir et même l’occasion de s’amuser. Ainsi, l’humour et la moquerie lorsqu’ils s’en prennent aux dons et traits naturels des êtres pour les rabaisser, exprime, selon Arthur Schopenhauer, une forme de haine pure, amère et implacable, dont le seul désir est “d’exercer une vengeance sur son objet”“Le plaisir de nuire est diabolique, et sa moquerie est le rire de l’enfer” (“Éthique, droit et politique”, in Parerga et Paralipomena1851).

En quoi, me direz-vous, la joie mauvaise permet-elle de comprendre le retour de l’antisémitisme ? Et pourquoi un tel détour par l’histoire du concept ? C’est qu’il me semble que s’exercent aujourd’hui à l’endroit des Juifs tous les mécanismes affectifs et intellectuels que les philosophes, d’Aristote à Schopenhauer, ont diagnostiqué à propos de la joie mauvaise. Je m’explique. Depuis la Shoah, la figure du Juif incarnait très légitimement, du moins en Occident, celui du peuple victime d’une tentative d’extermination radicale, d’effacement de la surface de la terre. Face à ce crime sans précédent s’était installé, en Europe du moins, une dette et une responsabilité : un mal inédit, impunissable et impardonnable, comme le formule Arendt, avait été expérimenté par les bourreaux et par les victimes, dont l’humanité en tant que personne morale était chargée.

Lorsqu’on se met à tracer avec frénésie le mot génocide sur le drapeau israélien ou à dessiner des cartes de la région où cet État n’existe plus, lorsqu’on compare les interdictions administratives de certaines manifestations de soutien aux Palestiniens aux crimes du fonctionnaire en chef de la déportation des Juifs Adolf Eichmann, ou lorsqu’on s’amuse à caractériser le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou de “nazi sans prépuce”, quelle que soit la pertinence des questions très légitimes que pose cette guerre, je vois à l’œuvre une volonté farouche et répétée d’effacer la dette – politique, morale et même métaphysique – dont nous sommes porteurs, en Europe, depuis la Shoah, vis-à-vis de la figure du Juif. Comme si l’on cherchait par là à réintégrer dans l’histoire commune ce qui y a fait effraction. À retourner contre les Juifs, de manière perverse, tous les stigmates hérités de cette histoire, en vue d’effacer, d’égaliser ou de banaliser le crime – et l’on sait qu’il a été dès le départ conçu et réalisé dans l’optique de son effacement.

La joie mauvaise, soutient Aristote, est une disposition d’esprit qui suspend, retire ou empêche la pitié. Pour Nietzsche, elle est un “capital” qui s’accumule au cours de l’histoire vis-à-vis d’un semblable envié. Pour Schopenhauer, enfin, elle permet de se venger de l’autre, en retournant la sympathie en haine. C’est ce qui transparaît selon moi dans l’épidémie de joie mauvaise dont les Juifs sont aujourd’hui l’objet. Face à cette épidémie, la question n’est pas d’empêcher qu’elle s’exprime – cela ne peut aboutir qu’à transformer les impénitents en martyrs de la liberté d’expression et à avaliser par là-même leurs propos. Dans le cas de Guillaume Meurice, l’intéressé semble ainsi considérer, depuis l’abandon des poursuites judiciaires contre lui, qu’il est dorénavant “bon” de faire des blagues antisémites – convaincu d’avoir ainsi inventé “la première blague autorisée par la loi”. Non, la question est de savoir si ceux, majoritaires à mon avis, que cette joie mauvaise trouble ou désole, et ne fait pas rire, ont les ressources morales pour s’y opposer. »

© Martin Legros

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10 Comments

  1. Guillaume Meurice digne héritier de Goebbels. Meurice c’est la nouvelle propagande antisémite. C’est une ordure, il cite “la fête des voisins” le pogrom du 7 octobre. On souhaite qu’il fasse une mauvaise rencontre.

  2. @Nathalie Vous avez raison. Mais cette ordure ne fait que dire tout haut ce que la plupart de ses collègues des médias français pensent tout bas. Ces nazis représentent aujourd’hui la force politique au pouvoir. Quand on jette un coup d’œil sur les forums YT de France Inter ou Le Monde, on se rend compte que leur public est presque exclusivement composé d’ordures mélenchonistes…La lie de l’humanité. Et c’est malheureusement elle qui dirige politiquement et médiatiquement (et “””culturellement”””) notre Europe et les USA dont la nazification est un fait incontestable. Même moi qui avais anticipé cette plongée du monde occidental dans les Ténèbres complètes (et définitives) il y a déjà maintes années et la considérais comme inéluctable, je ne pensais pas que les choses iraient aussi vite…Je croyais naïvement qu’il y aurait davantage de personnes comme vous et moi pour s’y opposer : or on n’est pas nombreux. Cordialement.

  3. @ Sylvain. Bonjour, oui en effet certains médias pensent exactement la même chose que ce monsieur. Donc je boycotte et je n’écoute pas que ce soit la radio ou la télévision. Heureusement nous avons Europe 1 et Cnews. Quant aux gens vous avez raison, lors de discussions si vous parlez d’israël, du conflit, vous vous apercevez avec certaines petites phrases, l’antisémitisme est bien présent. Moi j’essaie d’expliquer les choses avec des arguments, et pour certaines personnes les avis changent. Donc il est important de parler, même si certains ne veulent pas voir ou entendre. Nous sommes comme vous dîtes très peu de personnes qui avons ce discours. Voilà pourquoi je milite avec mes petits moyens. Quant à La france Insoumise et le niveau de débilité des députés pour exemple un certain Sébastien Delogu qui ne connaissait pas Pétain. Ce parti, je pense ne va pas durer, car on voit leur niveau intellectuel,ne pas connaitre l’histoire de France. Leur fonds de commerce, c’est la haine des juifs, de la France, des institutions. Je pense que les français ont pris conscience de cela. Après au niveau mondial, le monde occidental il faut un sursaut des citoyens, je garde espoir malgré tout. Bonne journée à vous. Cordialement.

    • @Nathalie, bonjour.
      “Quant à La france Insoumise et le niveau de débilité des députés”
      L’antisémitisme, principale case à cocher pour devenir député dans ce parti. Ni l’intelligence, ni la culture, même pas un minimum, ne sont requises.
      C’est une désolation de voir ce qu’est devenue l’Assemblée Nationale en tolérant de tels individus en son sein.

      • @Carole, Bonsoir. Oui c’est consternant que ces députés La France Insoumise siègent à l’Assemblée Nationale. J’espérais une dissolution de ce parti pour leurs propos odieux, hélàs rien n’est fait, ces individus sont la honte de la France. Bonne soirée. Cordialement.

    • Bonjour @Nathalie Je suis moins optimiste que vous. La FI n’est pas un effet de mode. Quand j’utilise le terme “Nazification” au sujet de la France et de l’occident (à l’instar de ce qui existe dans de nombreux pays d’Afrique et du Moyen-Orient) je pèse mes mots : l’idéologie raciste, antisémite et génocidaire de la FI et des indigènes de la République est l’idéologie dominante de nos pseudo démocraties : jusque dans les universités et les livres scolaires qui réécrivent l’histoire, jusque dans les médias et le système judiciaire qui étouffent des agressions ou des crimes racistes. Environ un tiers des électeurs français ont voté pour un parti Néo Nazi faisant de l’apologie de crimes contre l’humanité. Parti islamonazi soutenu par la plupart des médias et des personnalités du showbiz. Donc je ne vois pas comment un retour vers le monde civilisé serait possible, d’autant que cette plongée dans la Barbarie s’accompagne d’un decervelage massif de la population _ y compris (voire plus encore) chez les plus diplômés.

      La Nazification de la France, l’Angleterre et des pays semblables est un fait accompli. On ne peut pas vaincre le nazisme pacifiquement, avec des bouquet de fleurs ou des bulletins de vote : le mal est beaucoup trop profond et exigerait un remède radical. Et on ne peut pas non plus le renverser par la force quand les possibles résistants ne sont qu’une poignée et ne peuvent espérer aucune aide extérieure. Le Nazisme est devenu la Normalité aux yeux de la majorité des gens. Je pense donc qu’aucun sursaut ne viendra. Le seul sursaut possible, en fait, c’est l’exode. Et il a déjà commencé : de plus en plus d’Europeens Juifs et non-juifs fuient l’Europe pour raisons sécuritaires et politiques. Les décennies à venir vont être terribles pour ce pays ou ce qu’il en reste. Cordialement.

      • Bonsoir Sylvain. Je garde un peu d’optimisme car ce parti politique La France Insoumise qui a pour seul projet instaurer le chaos, diviser les citoyens, la haine et les insultes envers ceux qui ne partagent pas leurs idées, ce n’est pas un programme de gouvernement sérieux. Une partie des français sont anesthésiés et endoctrinés par les discours ambiants (médias, hommes politiques etc). Beaucoup de français sont conscients de l’insécurité et de notre civilisation judéo-chrétienne en danger. Il faut se battre et résister. Et puis partir, quitter son pays, il faut avoir les moyens financiers. Il y a encore quelques endroits en France, dans des petites villes, à la campagne où la vie est plus tranquille (Cantal, Creuse) peut-être des solutions pour l’avenir. Bonne soirée. Cordialement.

        • Bonjour @Nathalie En effet, les moyens financiers sont un frein pour de nombreux Français (moi inclus) qui rêvent de partir. Personnellement je n’ai pas d’enfants. Mais si l’on en a, il y a de quoi s’inquiéter pour leur avenir . Certains ne peuvent pas quitter la France mais font en sorte que leurs enfants aient la possibilité financière ou professionnelle de quitter le Titanic avant qu’il ne soit trop tard. Bonne journée.

          • Depuis le 7 octobre 2023, j’ai autant été frappé par la déficience cognitive de nos “”””intellectuels”””” ( à 2 ou 3 exceptions près) que par l’adhésion massive de la population au Nazisme islamiste. Les seules analyses profondes sont issues de commentateurs cultivés sur le net et les réseaux sociaux.
            @Carole Non. Desproges serait aujourd’hui boycotté par les médias et le showbiz. Traité comme un pestiféré, ce qui constitue désormais une marque de supériorité intellectuelle et morale.

  4. “Desproges l’aurait-il fait? Ou encore Stéphane Guillon? Peut-être. Peut-être pas. ”
    Mais Dieudonné aurait sans aucun doute pu le faire. Ils roulent dans la même catégorie, et encore car il est arrivé jadis à Dieudonné d’être drôle. Lui, non.
    Et cet individu a l’air tellement content de lui et de son humour douteux que d’une certaine façon il fait plutôt pitié.

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