Conformément à sa charte fondatrice, le Hamas soigne sa présence médiatique et son récit, uniforme, pour rallier sa base et monter le monde entier contre Israël
Le 19 août, le Hamas a revendiqué une explosion à Tel Aviv la veille, un attentat-suicide mené dans le cadre d’une opération conjointe avec le Jihad islamique palestinien. L’organisation terroriste a dit son intention de perpétrer à nouveau de telles attaques.
L’attaque n’a échoué que parce que la bombe portée par le terroriste dans un sac à dos a explosé avant qu’il n’arrive à sa destination, ce qui l’a tué et a blessé modérément un passant.
Suite à cette déclaration, le Hamas a diffusé sur les réseaux sociaux des affiches montrant des images de bus de Tel Aviv éventrés par des explosions. Les légendes, écrites en arabe, en hébreu et en anglais, disaient avec audace : « Nous arrivons. »
Le message était clair : le Hamas signalait le début d’une nouvelle vague d’attentats-suicides rappelant celle qui a endeuillé Israël dans les années 1990 et qui a culminé lors de la Seconde Intifada, au début des années 2000.
Ces affiches ont été soigneusement conçues, avec leurs terroristes portant keffieh palestinien et ceintures d’explosifs, debout à côté de bus semblables à ceux qui circulaient en Israël il y a de cela des décennies.
Une de ces affiches donne à voir Yahya Ayyash, plus connu sous le nom « l’Ingénieur », le cerveau à l’origine de plusieurs attentats meurtriers au milieu des années 1990. Ayyash a été tué par Israël en 1996. La légende en arabe, sous son portrait, dit : « Qui ramènera la gloire d’Ayyash ? »
Selon les experts de la question, la propagande du Hamas est une machine bien huilée, qui vise d’un côté à instiller la peur parmi les Israéliens et d’autre part à rallier le soutien de ses bases palestiniennes et étrangères.
Guy Aviad, ex-responsable du département d’histoire de Tsahal et auteur de The Politics of Terror – An Essential Hamas Lexicon (2014), rappelle que l’organisation terroriste considère ses opérations médiatiques comme « un autre champ de bataille qui s’ajoute à la guerre physique ».
Pour y parvenir, le Hamas emploie des professionnels des médias hautement qualifiés : nombre d’entre eux se sont d’ailleurs formés en Occident.
« Leur production est, sur le plan technique, d’une très bonne qualité », estime Aviad. « Ce niveau de sophistication est également visible dans les médias du Hezbollah, comme dans leur récente vidéo haute définition présentant leur réseau de tunnels. Les organisations djihadistes apprennent souvent les unes des autres. »
Les racines de la propagande du Hamas
Dès ses débuts, à la fin des années 1980, durant la première Intifada, le Hamas prend conscience du pouvoir des relations publiques. Sur les 36 articles que compte sa charte fondatrice, deux sont explicitement consacrés à la propagande.
L’article 29 souligne la nécessité de recueillir des soutiens au sein du monde arabe et musulman via des « conférences de solidarité, la publication de bulletins explicatifs, d’articles et de brochures, sans oublier l’éducation des masses sur la question palestinienne ».
L’article 30 traite du rôle crucial des « écrivains, des intellectuels, des gens des médias, des orateurs, des éducateurs et des enseignants » dans la lutte contre « l’influence sioniste » à l’échelle mondiale.
« La parole efficace, le bon article, le livre utile… tous ces éléments sont des éléments du jihad », peut-on lire à l’article 30 de la Charte.
Très tôt, le Hamas développe un système sophistiqué de daawah à Gaza et en Cisjordanie. Ce terme arabe, qui signifie « invitation à l’islam », fait référence à l’action civile d’une organisation islamiste en matière de bien-être social – écoles, hôpitaux et organisations caritatives – qui lui permet de gagner les cœurs et les esprits.
Mais le principal canal par lequel le Hamas endoctrine les Palestiniens est la mosquée, où les prédicateurs intègrent leur récit dans les textes sacrés musulmans.
Au moment de la première Intifada, le Hamas se rend rapidement compte de l’importance de la couverture médiatique étrangère et apprend à publier ses communiqués de manière stratégique, juste avant les journaux télévisés du soir en Israël ou aux États-Unis, explique Aviad.
Au cours de ces années, l’une des figures les plus en vue de l’organisation terroriste est Abdelaziz Rantisi, l’un des cofondateurs et des premiers dirigeants du politburo. Lorsqu’en 1992, Israël l’expulse vers le sud-Liban avec 415 autres membres du Hamas, Rantisi devient porte-parole du groupe.
« L’expulsion vers le Liban a été l’une des plus grandes erreurs jamais commises par Israël, car elle a ouvert au Hamas les portes des médias internationaux », estime Aviad. « Le Hamas a commencé à faire la une des journaux un peu partout dans le monde. Ils avaient suffisamment de membres de bon niveau, comme Rantisi, qui parlaient bien anglais, ce qui leur a permis de présenter leur récit efficacement. »
Une stratégie média diversifiée et à la pointe de la technologie
La propagande du Hamas suit les évolutions technologiques du milieu des années 1990. L’organisation se dote rapidement d’une forte présence en ligne sur plusieurs plateformes.
Michael Milshtein, directeur du Forum d’études palestiniennes au Centre Moshe Dayan de l’Université de Tel Aviv, donne au Times of Israel un aperçu très détaillé des nombreux médias gérés par l’organisation terroriste, qui publient des informations 24 heures sur 24.
À côté du site officiel du Hamas, Hamas.info, sa plate-forme d’information la plus importante est Palinfo.com, qui signifie « Centre d’information palestinien ». Le site est disponible en plusieurs langues – anglais, arabe, français, russe, turc, ourdou, farsi et malaisien – pour un public de centaines de millions de personnes dans tout le monde musulman.
Le Hamas exploite également plusieurs sites d’information exclusivement arabes, comme Felasteen.news, Shehabnews.com, Safa.ps ou encore Alresalah.ps. Nombre de ces médias sont actifs sur des plateformes de réseaux sociaux comme X ou Telegram.
Alresalah (« le message » en arabe) et Felasteen (« Palestine ») étaient également des journaux imprimés qui circulaient dans la bande de Gaza avant le 7 octobre 2023.
Le Hamas sait adapter ses messages à ses différents publics. Shehabnews, par exemple, se concentre sur les jeunes générations avec des messages, des slogans et des chansons simples, tandis que des médias comme Felasteen et Alresalah, plus sophistiqués, proposent des articles approfondis, des analyses et des éditoriaux.
Avant le 7 octobre, le Hamas exploitait également la chaîne de télévision et de radio populaire Al-Aqsa à Gaza, bombardée depuis. Pendant longtemps, Al-Aqsa TV a été la chaîne palestinienne la plus populaire.
Selon un sondage réalisé en mars 2023 par le Centre palestinien de recherche sur les enquêtes politiques (PCPSR), elle a eu une audience plus importante que la télévision palestinienne de Ramallah (14 % contre 11 %), contrôlée par le Fatah, parti rival du Hamas.
La stratégie médiatique du Fatah n’est rien en comparaison, commente Milshtein.
Bien que le logo du Hamas n’apparaisse pas sur ces sites Internet, Milshtein explique qu’« aucun Palestinien n’ignore qu’ils sont dirigés par le Hamas ». Certains médias, comme Safa.ps, peuvent ne pas sembler liés à l’organisation terroriste, mais leur couverture de l’actualité est indubitablement alignée sur le Hamas.
Al Jazeera : un porte-parole du Hamas
Al Jazeera, la chaîne d’information qatarie, joue également un rôle crucial dans la stratégie médiatique du Hamas. La chaîne a une audience bien plus importante dans les territoires palestiniens que n’importe quelle chaîne locale. En mars 2023, sa part de marché s’élevait à 28 % et elle n’a cessé d’augmenter depuis pour atteindre 82 %, selon un sondage réalisé par le PCPSR en juin de cette année.
La chaîne qatarie entretient une relation déjà ancienne avec l’organisation terroriste, qui sert souvent de plate-forme pour ses messages.
Le 7 octobre, elle a diffusé un discours du porte-parole militaire du Hamas, Abou Obeida, geste que certains commentateurs ont analysé comme preuve de son statut de porte-parole de l’organisation terroriste. « Si l’on cherche les dernières vidéos ou déclarations officielles du Hamas, on les trouvera facilement sur Al Jazeera », explique Aviad.
D’autres ressources médiatiques, comme les biographies de ses membres « martyrs », les vidéos des séances d’entraînement ou des attaques récentes, sans oublier les archives des opérations passées, sont faciles à trouver sur le site officiel du Hamas et celui de son aile militaire, les Brigades Al-Qassam.
« Le Hamas accorde une très grande importance à la mémoire », analyse Aviad.
Un message unique pour plusieurs porte-parole
Le Hamas dispose de plusieurs porte-parole, installés au Qatar, au Liban, en Turquie et ailleurs. Nombre d’entre eux sont par ailleurs membres du politburo.
En dépit de leur nombre, le message de l’organisation reste cohérent. Le bureau politique définit la stratégie de communication, qui est ensuite transmise de manière uniforme par ses porte-parole.
« C’est un système très sophistiqué », analyse Milshtein. « Ils délivrent tous le même message, avec un haut degré de coordination, sans aucune différence. Le consensus est l’un des piliers fondamentaux du Hamas. Les membres du politburo peuvent argumenter à huis clos, mais lorsqu’ils prennent une décision, alors tout le monde la respecte. Il n’y a pas de place pour les opinions personnelles. »
« C’est très différent de ce qui se passe en Israël, où les dirigeants peuvent faire passer des messages contradictoires. Il n’est pas rare d’entendre le ministre de la Défense Yoav Gallant dire une chose, et le Premier ministre Benjamin Netanyahu autre chose. Au Hamas, de telles divergences sont quasi-inexistantes», résume Milshtein.
Aviad abonde dans son sens et ajoute que le Hamas est, depuis le début de la guerre, plus efficace qu’Israël au niveau de sa stratégie médiatique. « Le Hamas est bien meilleur. Ils savent utiliser les plateformes internationales, pas seulement Al Jazeera. »
« En Israël, les communications officielles proviennent principalement du porte-parole de l’armée, mais le gouvernement néglige cet aspect de la communication publique », estime Aviad.
Dans les premiers mois de la guerre, des membres du politburo du Hamas, Osama Hamdan et Ghazi Hamad, ont tenu des conférences de presse hebdomadaires depuis Beyrouth pour informer la presse internationale de la situation à Gaza et des négociations de trêve avec Israël.
En outre, des dizaines de journalistes indépendants – pas toujours nécessairement affiliés au Hamas – font des reportages quotidiens depuis Gaza : ils enregistrent et diffusent des scènes des mort et des destructions sans filtres.
« En Israël, la plupart de ces scènes ne sont pas montrées, mais le reste du monde les voit, et elles ont un impact », analyse Aviad. « Pendant ce temps, les Israéliens regardent des émissions de télé-réalité aux heures de grande écoute, comme si nous vivions dans un monde parallèle. »
© Gianluca Pacchiani
http://www.nuitdorient.com/n21200.htm
Merci à Albert Soued
MSite biblique et littéraire
http://symbole.chez.com/conf.htm
Site politique Moyen Orient
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