Otages et tunnels. Par Richard Prasquier

Le 20 août, l’armée annonçait la découverte dans les tunnels de Khan Younes des corps de six otages israéliens, Yoram Metzger, Haim Peri, Alex Dancyg, Nadav Popplewell, Yagev Buchshtab, et Avraham Munder. Leur mort n’était pas récente et avait déjà été annoncée au préalable par l’armée israélienne pour cinq d’entre eux. 

Puis, le 27 août, le bédouin israélien Kaid Farhan Alkadi était libéré dans un tunnel, lors d’une opération militaire complexe. Celle-ci, survenant après une série d’éliminations spectaculaires de dirigeants du Hamas ou du Hezbollah, avait redonné aux Israéliens confiance et admiration dans leurs services de renseignement. 

Mais quatre jours plus tard, le 31 août, l’armée découvre dans les tunnels de Rafah les corps de six autres otages. Il apparait vite qu’ils ont été assassinés 48 heures auparavant.Et beaucoup d’Israéliens sont en état de choc.

Le Hamas, après avoir prétendu qu’il n’était pour rien dans leur mort, s’en vante et  déclare que si les Israéliens s’approchent des otages, ils ne récupèreront que des cadavres.i 

Ces otages qui ont subi un calvaire de 11 mois  avant d’être tués de sang froid par leurs geôliers, qui étaient-ils?

Carmel Got a été enlevée au kibboutz Beeri, où elle a vu sa mère assassinée. C’était une physiothérapeute que certains otages libérés en novembre ont qualifiée d’”ange” car elle leur enseignait la méditation pour supporter leur épreuve. Sa famille a refusé la présence des medias à son enterrement et a très durement critiqué Netanyahu.

Les cinq autres ont été enlevés au Festival Nova:

Eden Yerushalmi, qui travaillait au bar, a gardé plusieurs heures  un contact téléphonique avec sa soeur  avant de tomber dans les griffes des ravisseurs. Le Hamas a diffusé, après l’avoir assassinée, une video où elle suppliait d’accepter l’échange de prisonniers.

Almog Sarusi de Raanana était musicien.

Le sergent chef Ori Danino a sauvé plusieurs participants, est retourné au combat et a été enlevé.

Alexandre Lebanov, dont un enfant est né pendant son incarcération, avait la nationalité russe, mais n’a pas eu la chance d’un autre otage russo-israélien qui avait été libéré par égard pour Poutine.

Hersch Goldverg Polin, gravement blessé à la main, avait laissé une impression lumineuse chez ses amis de Jérusalem. Il était devenu un des otages les plus connus car ses parents israélo-américains avaient remué ciel et terre, à l’ONU, à la Maison Blanche et à la Convention démocrate. Les paroles de sa mère au cimetière Givat Shaoul étaient bouleversantes  de tendresse et de dignité. Elles auront probablement un retentissement profond aux Etats Unis.

Les forces israéliennes, qui sont manifestement en train de détruire le Hamas, ont effectué quelques sauvetages d’otages et même ceux qui constataient  que ces libérations étaient minimes par rapport à celles qui étaient survenues lors des négociations de novembre pouvaient espérer  que la victoire militaire s’accompagnerait du retour des otages, ou de beaucoup des otages “à la maison”. 

Malheureusement Gaza n’est pas Entebbé, dont le souvenir hante probablement Benjamin Netanyahu, étant donné le rôle qu’y a joué son frère. Et désormais, depuis la découverte macabre des six corps et les annonces du Hamas, les deux objectifs de destruction du Hamas et de libération des otages se télescopent.

Israël, où une merveilleuse jeunesse se bat sans répit depuis près d’un an pour accomplir ces deux objectifs, se divise de nouveau fortement et les manifestants sont dans la rue. Le gouvernement est-il en train de sacrifier les otages? Evénement extraordinaire, le Premier Ministre accepte une Conférence de presse, événement encore plus extraordinaire, il s’excuse auprès des familles des otages assassinés. Mais les familles ne retiennent que son insistance sur le Corridor de Philadelphie.

La découverte des cadavres est survenue au moment-même où le Cabinet de guerre, contre l’avis du Ministre de la défense, a exigé de garder le contrôle israélien du corridor de Philadelphie. En fait les négociations étaient au point mort du fait des revendications  du Hamas qui prétendait transformer les propositions de Biden d’un plan en étapes en un cessez-le-feu permanent, avec le retrait complet des troupes israéliennes de Gaza. Autrement dit, le Hamas se présenterait comme  le héros invaincu d’une guerre de près d’un an menée par lui seul contre la surpuissante armée israélienne. 

Pour le public occidental, les exigences démesurées d’un Hamas proche de la déroute ont un immense attrait : il pense qu’elles conduiront à une paix complète.  Qui peut être contre la paix?

Mais Qui est assez ignorant et naïf pour penser qu’on peut être en paix avec le Hamas?

En Israël, il n’y a pas que les électeurs d’extrême droite qui ne font pas la moindre confiance au Hamas et qui pensent qu’il doit être mis hors d’état de nuire. Ce sentiment est général dans la société.

Mais alors que deviendront les otages? “Qui sauve un homme sauve un monde”. La formule est répétée comme un mantra. Pour beaucoup d’Israéliens c’est le moment de l’appliquer, ce n’est pas une élégance d’ostentation et cela réfère à des valeurs centrales dans l’idée qu’ils se font de la morale juive. Il s’agit en outre de libérer des citoyens à l’égard desquels le gouvernement a failli à son devoir de protection. 

La question est de savoir où placer le balancier. Une partie  au moins  des professionnels de la guerre ou des renseignements semble partager l’avis de Gallant que la présence physique permanente des Israéliens sur Philadelphie n’est pas actuellement indispensable, et il est impensable que le Ministre de la Défense ait émis un tel avis s’il n’était pas soutenu par les grands militaires. Benny Gantz et Gadi Eisenkot dans leur Conférence de presse commune soulignent que le contrôle direct du Corridor de Philadelphie n’a pas un caractère existentiel pour Israël.

Pendant trente ans,  a transité sous le Corridor de Philadelphie un immense arsenal militaire et de construction, qui à lui seul rend la phrase de Gaza “camp de concentration à ciel ouvert” ridicule. À moins que, vicieusement, Dominique de Villepin rappelle que les tunnels ne sont justement pas à ciel ouvert… Il restera à savoir comment Israël s’est accommodé de ces passages, ou pire encore, comment il a pu les ignorer. 

Mais aujourd’hui, si les spécialistes pensent que ces tunnels, ou plutôt ce qui en reste, présentent un risque contrôlable, ce n’est pas aux amateurs comme Ben Gvir de peser sur la décision. Cette décision peut signifier la mort pour des otages survivants. Le pays a des devoirs à leur égard et le Premier Ministre israélien ne devrait pas y mêler des considérations d’alliances politiciennes.

On a le droit de rêver…

© Richard Prasquier

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1 Comment

  1. Les adversaires de Netanyahou dans ce débat, notamment Gantz, Eisenkott, les familles des otages et leurs nombreux soutiens maintiennent que l’importance de la voie Phiadelphi est secondaire et que, quoi qu’il en soit, évacuée par Israël dans l’immédiat afin de libérer des otages dans le cadre d’un accord négocié, elle pourrait être reprise par Tsahal ultérieurement au besoin.
    MAIS l’argument de « reprendre Philadelphi » après la « libération des otages » passe outre la question « à quel prix » ? De combien de vie de soldats israéliens couterait la « reprise ultérieure » de Philadelphi ? De combien de blessés ? Ce nombre ne pourrait-il pas être supérieur au nombre des otages vivants (éventuellement) libérés ? Auquel cas, de quel droit libère-t-on un otage au prix de la vie d’un (plusieurs ?) soldat israélien ?
    Et surtout ATTENTION : un terme important est absent, et pour cause, du débat en Israël et ailleurs : « la procédure Hannibal ». Pour qui cela intéresse voir Wikipedia en Hébreu mais aussi, entre autres, en Français : « Directive Hannibal ».
    Il s’agit d’un mode opératoire informel, jamais avoué, encore moins officialisé, de l’armée israélienne pratiqué en cas de prise d’otages (en principe, des militaires israéliens) par des « terroristes » (palestiniens ou assimilés).
    Le principe Hannibal étant qu’il ne faut jamais céder au chantage et donc ne pas payer une rançon ; vu que cela libérerait peut-être des otages mais encouragerait la prochaine prise d’otages. En revanche, les preneurs d’otages sont condamnés à mort ; et dès que possible.
    Quitte donc à la limite, si possible et nécessaire, de les tuer en prenant le risque de tuer des otages qui se trouvent avec et qui servent de bouclier humain.
    L’exemple le plus flagrant de non-respect de la procédure Hannibal est donc l’affaire Gilead Shalit qui a vu la libération, en contrepartie de ce seul soldat israélien, d’un millier de prisonniers palestiniens dont le dénommé Yahya Sinwar ; lui-même à l’origine du 7 octobre dont la prise d’otages…
    Netanyahou et ceux qui le suivent sont guidés, sans jamais se permettre de le dire, par le principe Hannibal dont personne ne parle ; le refus de payer une rançon. Donc le renoncement à « libérer » des otages en payant un prix.
    D’où les obstacles à toute négociation posés par Israël (en vérité, par Netanyahou) ; Philadelphi ou pas est, en vérité, secondaire voire hors sujet.

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