La guerre et ses mots qui tuent comme les armes

Paris, le 1er septembre 2024.

On ne s’habitue pas à la guerre, surtout quand on est comme moi d’une génération qui ne l’a connue quasiment que dans les films et les jeux vidéo et qui a vécu dans une France épargnée sur son sol, grosso modo depuis le début des années 60. 
On ne s’habitue pas aux désastres, aux victimes civiles directes ou collatérales, aux souffrances ici et là filmées en gros plan, voire manipulées ou montées en épingle pour servir un camp.

On ne s’habitue pas à la tristesse débordante et tragique, intolérable, des parents enterrant leur enfant mort au combat ou mort du combat. 

On ne s’habitue pas plus à la détresse des populations civiles prises en otage quand elles sont en quête de paix et de sécurité et se voient systématiquement débordés par les haineux et les faiseurs (j’avais envie de dire vulgairement “les fouteurs”) de guerre… 

Détachement ou désinvolture

On ne s’habitue pas, mais les grands médias nationaux – notamment les deux premières chaines de télé françaises – y arrivent eux très bien, merci. 

Au point de traiter ce 1er septembre au soir, dans leurs grands mess du 20h, la mort de six israéliens (deux femmes et quatre hommes), assassinés de frais par leurs geôliers sanguinaires après les avoir séquestrés et violentés dans l’enfer des tunnels pendant plus de 11 mois, avec un détachement coupable ou beaucoup de désinvolture. 
Sujet de 20 secondes pour l’une des deux chaines, alors même qu’elle a accordé quatre minutes aux arnaques aux panneaux solaires et 2 minutes 30 aux errements de madame la maire de Paris qui veut conserver de façon pérenne les anneaux olympiques accrochés à la Tour Eiffel et qui souhaite réduire de 20 km/h la vitesse des véhicules sur le périphérique. 
Pas de sujet du tout sur l’autre chaine – ou alors ça m’aura échappé – avec un journal qui accorde plus de 12 minutes aux exploits, certes magnifiques, de nos athlètes paralympiques…  

Mais enfin ? Plus tôt dans la journée, cette chaine publique – puisque c’est d’elle dont il s’agit – avait communiqué sur ce drame, via son site Web, dans ces termes “L’armée israélienne DIT avoir retrouvé six morts qui AURAIENT été assassinés par le Hamas“. Précautions oratoires et dilution de la puissance symbolique du message dans un verbiage qui installe le doute. Qui l’insinue même quand il n’existe pas. Quand il n’existe plus, puisqu’à ce moment-là tous les autres médias, y compris les chaines d’info en continu, ne recourent plus au conditionnel et n’assimilent pas l’événement à une communication de l’état-major de Tsahal… 

Je ne m’habitue pas

Je ne m’habitue pas. La tristesse, le dégoût et la colère sont les sentiments qui m’habitent, comme j’imagine beaucoup d’entre vous, depuis l’annonce de l’assassinat de ces six jeunes femmes et hommes retrouvés enterrés à 200 mètres sous la surface, dans un tunnel de Rafah. Des enfants d’Israël kidnappés puis assassinés parce que Juifs, après presque un an de captivité. On croit savoir, nous a-t-on précisé, qu’une opération était en cours pour les libérer et qu’au moins trois d’entre eux auraient dû être précédemment libérés si, une fois encore, les terroristes du Hamas ne s’étaient pas moqués de négociateurs stériles luttant opiniâtrement, mais sans grandes illusions sur le sort de leurs palabres, et tentant d’obtenir un accord de cessez-le-feu, de pause dans les combats, de fin provisoire des hostilités… Peu importent les mots.

Depuis le 7 octobre, les mots semblent avoir du reste perdu tout crédit. Démonétisés, les mots. Rendus “caduques” comme l’avait dit autrefois un Yasser à qui un Roland complice avait glissé, en bon tacticien machiavélique, cette épithète française qu’il ignorait une heure plus tôt. 

Aujourd’hui les mots s’échangent et s’entrechoquent sans fin. Les insultes ici et là-bas ont pris tout l’espace de la communication, ne laissant plus aucune place à la nuance et à la conscience, à l’intelligence et – osons un mot qui semble définitivement “has been” – à la bienveillance. 

Israël attaqué sur tous les fronts, menacé par l’Iran et ses HHH complices (Hamas, Hezbollah, Houtis), l’est tout autant à l’international où, à l’exception de quelques nouveaux “Justes” parmi les nations, le consensus s’opère contre lui et non pas seulement contre ses dirigeants qui, il est vrai, semblent au mieux dépassés par les événements, au pire faire du sort des quelques dizaines d’otages encore aux mains des terroristes une simple variable parmi d’autres du combat final et radical contre le Hamas.     

L’ami disparu…

Je parlais des mots et de leur démonétisation, des insultes qui avaient pris tout l’espace de la communication. Je l’ai personnellement vécu le 31 août au soir avec un ancien collègue, resté “ami” sur Facebook. A la suite d’un échange violent sur Messenger autour de deux conceptions radicalement opposées, et pour tout dire inconciliables, de la liberté d’expression, j’ai perdu hier cet “ami “. Enfin disons quelqu’un que j’appréciais et estimais depuis longtemps. 

La faute à son agression d’abord sur mon mur Facebook. J’y avais écrit, dans un post, un poème d’hommage à une jeune femme assassinée au festival Nova pour qui s’ouvrait un compte de financement participatif afin de créer un jardin à la japonaise à son nom. 
Ce qui avait provoqué son courroux ? Que je puisse faire un lien dans mon introduction avec le mot Nova et la radio FM éponyme qui accueille en cette rentrée un quarteron de “comiques”, dont Meurice et Lompret, que je qualifiais d’antijuifs (avant de rétropédaler et d’effacer ce passage). Sans doute étais-je allé un peu loin… Non, c’est vrai, avais-je des preuves de ce que j’avançais, hormis un petit sketch ridicule et ricanant qui renvoyait le premier ministre israélien à son nazisme et à son sexe circoncis et un autre où l’autre “comique”, interviewant une oie blanche qui semblait découvrir son antisémitisme, avait fait répéter par tous les spectateurs qu’eux aussi étaient des antisémites, tandis que l’oie blanche enfonçait le clou en mettant une cible (une de plus) dans le dos de la courageuse Sophia Aram et son Molière acquis comme on sait… ?

Venu donc défendre vertement cette bande d’anges malfaisants, nourris pour l’essentiel aux frais du contribuable jusqu’à qu’ils soient virés ou qu’ils suivent le viré, “l’ami” se voyait retirer, par mon talent de censeur immanent, son commentaire violent. Il recevait en outre de ma part, en message privé, une demande d’explications, il est vrai sans nuances… 
Je recevais en retour une logorrhée bien connue désormais, mais risible quand on me connait, faisant de moi un suppôt du diable Netanyahou, un “museleur” de la liberté d’expression et de la faculté de rire de tout, et surtout, surtout, j’étais devenu – moi qui autrefois “représentait à ses yeux la mesure et l’intelligence“, un soutien patenté du double standard (sous-entendu classique : “On peut rire de tout, sauf des Juifs et d’Israël“). Ben voyons… 


Il ajoutait qu’avec mon poème, “j’avais fait jouer les violons pour attendrir les foules et faire passer ce propos dégueulasse qui desservait la cause des Juifs” (sic) avant d’affirmer que, du coup, je le pensais sans doute antisémite (ce qui ne m’avait pas effleuré jusqu’ici mais prenait en effet sur l’instant la consistance d’une bonne grosse gifle). 

Je dois avouer qu’après nous être mutuellement et définitivement dit ciao, et nous être bloqués tout aussi mutuellement, je ressortais de cet épisode des plus dépités. À l’heure même où l’on apprenait la mort des six à Rafah… 

Cependant, à bien y réfléchir, cette “clarification” m’a paru nécessaire. Je n’aurais jamais voulu continuer à entretenir des liens conviviaux avec quelqu’un qui s’était révélé capable de se moquer à ce point de qui je suis et qui posait un regard odieux et hostile sur qui nous sommes et notre infernale souffrance à être des victimes cataloguées bourreaux… 

On venait donc d’apprendre pour les six jeunes exécutés froidement à Rafah.  Ma tristesse de perdre un “ami” était somme toute bien peu de choses à côté de cette énième tragédie parmi les tragédies du 7 octobre 2023. Bientôt un an… 

Dans son livre, Bernard-Henri Lévy évoquait il y a quelques mois la solitude d’Israël et des Juifs de la diaspora impactés, dans leur immense majorité, par la vague de haine, le tsunami qui venait de plus de 4 000 km et n’en finissait pas de nous noyer sous les attaques en tous genres. Il avait été massivement incompris, voire projeté dans les cordes, par les médias du système (l’épisode avec Natacha Polony chez Léa Salamé constituant de ce point de vue une sorte de summum indépassable). 

Je parlerais pour ma part d’une impression entêtante de jour sans fin. De cauchemar sans cesse réactivé dont chaque jour on attend, le cœur lourd et le souffle court, les mains tremblantes et l’œil humide, le prochain épisode, en craignant qu’il ne soit pire encore que celui qui l’a précédé…  

Quels mots seraient à notre disposition pour faire comprendre ce profond malaise, cette immense déréliction, qui nous étreint et ne nous lâche pas depuis près de onze mois ? 

© Gérard Kleczewski

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1 Comment

  1. Votre dégout est bien là mais je ne suis pas d’accord avec vous
    écoutez Europe l et regardez CNews vous verrez que le traitement de l’info
    n’a rien à voir avec les autres chaines que vous regardez
    Je suis une enfant de l’autre guerre et je ne m’habitue pas à cette angoisse
    qui m’assaille lorsque je pense au 7 octobre et aux crimes du hamas

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