
Tous les Israéliens sont-ils prêts à céder sans conditions au Hamas, quitte, par exemple, à sacrifier ensuite le même nombre de soldats pour reprendre le dessus sur le mouvement terroriste ?
Alors que les Israéliens s’apprêtaient à inonder les réseaux sociaux de photos d’enfants souriants, cartables sur le dos, la terrible nouvelle s’est abattue dès 6 heures du matin dimanche : six otages avaient été assassinés en captivité par le Hamas. Une mise à mort à bout portant. Ils étaient jeunes et encore en vie, selon les estimations des médecins légistes, pas plus tard que jeudi dernier, alors que Tsahal était lancée aux trousses de leurs bourreaux.
Certains d’entre eux, comme Hersh Goldberg Polin ou Carmel Gat, étaient devenus les symboles du combat pour leur libération. Ce qui explique certainement la vague d’émoi qui a saisi le pays, l’énorme manifestation qui a réuni plus de 250 000 personnes à Tel-Aviv et les différentes grèves prévues lundi.
Que réclament les manifestants ? Un accord de libération immédiat. « Archav! » (tout de suite), un terme très présent dans le vocabulaire israélien, issu d’une culture dominée par l’urgence et les catastrophes. Une urgence qui cache parfois les vrais débats et les questions qui méritent que l’on s’y arrête. Car tous les Israéliens sont-ils prêts à céder sans conditions au Hamas, quitte, par exemple, à sacrifier ensuite le même nombre de soldats pour reprendre le dessus sur le mouvement terroriste ? Pas si sûr.
Sauf que la question n’est jamais posée en ces termes et que les citoyens ne sont pas conviés au débat par leurs dirigeants, trop occupés à guerroyer entre eux. Les seules informations dont ils disposent sont celles qui filtrent – en permanence – de réunions ministérielles. Un scandale en soi et une vaste béance sécuritaire, comme Israël en a le secret. Mais ces déclarations en off et autres enregistrements secrets font trop souvent la « une » pour une raison supplémentaire : le silence à la tête de l’État.
Une rentrée particulière, à l’ombre de la guerre
Netanyahou se tait. Ou communique de trop loin, à coups de vidéos préenregistrées et de conférences de presse millimétrées. Ses rares interviews sont presque toujours en anglais, destinées à l’audience américaine. Son dernier grand effort oratoire – parfaitement réussi – était à l’intention des dignitaires de Washington, devant le Congrès. Bibi n’explique que très peu sa politique en hébreu. Les raisons de cette rareté sont connues : ses mauvaises relations notoires avec les grands médias israéliens qu’il considère, dans certains cas à raison, comme incapables d’objectivité à son égard. À l’exception de la chaîne 14, très largement partisane, il n’a donc pas accordé d’entretien à la presse hébréophone depuis… 2019. Cinq ans de silence. À l’ère des réseaux sociaux, il n’est d’ailleurs pas le seul dirigeant à chercher à s’épargner les désagréables questions des journalistes, en s’adressant directement à ses soutiens sur les différentes plateformes.
Mais l’heure est particulièrement cruciale. Miné par l’échec de son gouvernement à empêcher le 7 octobre, plombé par des sondages certes stabilisés mais toujours insuffisants pour espérer se faire réélire, Netanyahou demande néanmoins aux Israéliens de lui faire confiance non seulement au sujet de la guerre, qui fait largement consensus, mais aussi au sujet des otages.
Le sujet des otages – et c’était le sadique dessein de Yahya Sinwar – est un nerf trop sensible dans la société israélienne
Il leur demande de ne pas écouter les voix optimistes qui militent dans la presse pour aller à un accord coûte que coûte, et de croire que le prix à payer au Hamas est trop élevé, sans toutefois leur expliquer réellement la teneur des concessions exigées et leurs conséquences.
Estime-t-il que de telles explications nuiraient aux négociations en cours ? Possible. Il est tout aussi probable qu’il ait tout simplement abandonné l’idée d’un échange productif. Ses courts échanges en conférences de presse avec les grandes rédactions sont souvent particulièrement aigres.
Toujours est-il qu’il ne peut plus se permettre de rester dans sa tour d’ivoire. Le sujet des otages – et c’était le sadique dessein de Yahya Sinwar – est un nerf trop sensible dans la société israélienne, touchant de plein fouet aux instincts de solidarité, d’humanisme et de compassion qui définissent sa culture.
ll est possible que Netanyahou ait tout simplement abandonné l’idée d’un échange productif d’otages et prisonniers
Et Bibi traîne trop de casseroles, trop d’affaires judiciaires qui le dépeignent sous un mauvais jour, trop d’interactions où il apparaît froid et détaché, trop de difficultés familiales avec des fils absents du front et une épouse à la personnalité clivante – pour qu’une majorité d’Israéliens voient en lui ces valeurs à la fois chères à leur cœur, et indispensables pour rassurer les familles des otages et tous ceux qui défendent leur libération.
En des temps moins troublés, la rentrée, c’est des photos de bambins excités devant leurs établissements, mais aussi des grands entretiens du Premier ministre accordés à la presse à l’approche de Roch Hachana, le nouvel an juif. Si Netanyahou veut éviter que la guerre extérieure se propage à l’intérieur, il est impératif qu’il sorte de son silence.
Myriam Shermer ■ Journaliste, chroniqueuse de l’émission Politique sur i24NEWS