A Deauville, les cookies de la discorde. Par Zoé Moreau

Une petite pâtisserie familiale a été victime de boycott, après qu’un passant a noté la présence d’un gâteau aux couleurs du drapeau palestinien au milieu de sa vitrine consacrée aux Jeux olympiques de Paris.

La vitrine de la boutique Cookies Richard, à Deauville, fin août. EMMANUEL ORTIZ /DIVERGENCE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

La recette du succès semblait toute trouvée. Des œufs, de la farine et du sucre, pour la pâte. Du Nutella, des Kinder Bueno, et quelques brisures de spéculoos en guise de topping. Avec sa belle vitrine, Cookies Richard avait tout pour plaire aux habitants de Deauville. Pourtant, dans cette mini-boutique de la rue Désiré-le-Hoc, les clients ne se bousculent pas vraiment en ce matin du 21 août. Et ceux qui s’y risquent, des touristes pour la plupart, ignorent probablement tout de l’a!aire qui occupe la ville depuis le début des Jeux olympiques de Paris. Il y a près d’un mois, une vague de boycott et de haine s’est brutalement abattue sur la petite entreprise artisanale. Orchestrée, dans un premier temps, par des inconnus sans visage sur les réseaux sociaux, elle a émergé après que la boutique a décoré ses cookies avec des drapeaux aux couleurs de la plupart des pays participant aux JO, dont la Palestine.

Cookies Richard, c’est d’abord une famille. La famille Forest, composée des parents, Isabelle et Pierre, qui conçoivent les biscuits depuis leur maison de Pont-L’Evêque. Ce sont aussi Alexia et Eliot, les enfants, qui s’occupent de la vente depuis les boutiques de Deauville et de Caen. Et le chien Richard, qui a donné le nom à l’entreprise. Quelques jours avant le bad buzz, la famille a donc commandé environ deux cent cinquante mini-drapeaux aux couleurs des principales délégations : Allemagne, Belgique, Finlande, Israël… mais aussi Palestine. Bien que non reconnue en tant qu’État par l’ONU, elle est représentée par plusieurs athlètes aux Jeux de Paris. Dans la vitrine, chaque pays est représenté deux fois. « À aucun moment, nous n’avons pensé que cela pouvait poser problème… Nous voulions simplement décorer nos cookies en référence à l’événement du moment », assure Eliot, le fils.

Sauf que le lendemain, une photo montrant l’un des cookies aux couleurs de la Palestine est publiée par une internaute sur Facebook, accompagnée de la légende : « Vu à Deauville ! A boycotter et partager. » Le 25 juillet au soir, veille de la cérémonie d’ouverture, une pluie de commentaires sur Google se met à dénigrer la boutique et la qualité de ses produits.

« Nous avions beau répondre aux commentaires en expliquant que ce n’était pas un geste politique, les gens ne voulaient pas comprendre », raconte Alexia.

Fausses commandes et menaces sur les réseaux

Dans les jours qui suivent, des jeunes s’amusent à passer devant la boutique en criant : « Boycott ! Boycott ! » « On va vous faire fermer », promet un jour un avocat de passage.

La grand-mère, seule membre de la famille à résider à Deauville, est prise à partie dans un café. Depuis, elle ne « sort plus de chez elle »racontent ses enfants. Louise, la jeune saisonnière de 17 ans, reste probablement la plus marquée de tous.

Le 26 juillet, elle reçoit la visite de plusieurs groupes qui viennent la menacer tour à tour. « Ils ont dit qu’ils allaient me retrouver. Que ça ne se passerait pas comme ça. Que j’étais inconsciente et que je devais avoir honte », raconte-t-elle. Le « pire », c’est cette phrase que lui adresse l’une des femmes d’un groupe de sept personnes : « As-tu des sœurs ? Car ça pourrait être vous, en train de vous faire violer en ce moment même. » Elle se rend au commissariat le mercredi suivant pour y déposer une main courante.

Fausses commandes passées par téléphone, comptes Facebook anonymes spécialement créés pour menacer les gérants… La famille dépose elle aussi une main courante pour cyberharcèlement. Et fait appel au rabbin de Deauville, espérant qu’il puisse apaiser la situation. Dans une lettre adressée à l’ensemble de la communauté juive de Deauville, Yehouda Elbilia appelle ses

« coreligionnaires et citoyens à s’élever au- dessus des di!érends, pour qu’ils prônent la bonne entente et la paix ». Par téléphone, il confie cependant avoir des doutes sur la réelle responsabilité des juifs de Deauville dans cette a!aire.

Campagne de soutien

Depuis le 25 juillet, l’entreprise familiale aurait perdu de 30 % à 35 % de son chi!re d’a!aires. « Le jour où le boycott a commencé, toute la communauté juive de Deauville nous a tourné le dos. Et c’était une part très importante de notre clientèle », explique Alexia, persuadée que Cookies Richard ne vivra plus très longtemps. A moins, peut-être, qu’une cagnotte de soutien ne permette de combler les pertes… Car depuis que l’a!aire a été médiatisée par quelques titres de presse de la région, le vent a tourné.

Le 12 août, un créateur de contenu politique de gauche radicale et propalestinien, dénommé
« Contre-Attaque » sur Instagram, dénonce auprès de ses 213 000 abonnés la « campagne de harcèlement » dont fait l’objet le fabricant de cookies. En l’espace de quelques jours, la page Cookies Richard pulvérise son record d’abonnés, qui passent de trois cents à deux mille neuf cents. Sur l’écran de son téléphone, Isabelle, la mère, peine à compter tous les messages, tellement ils sont nombreux. Sous la vidéo de recette du « brookie » – savant mélange de brownie et de cookie – des commentaires, par centaines. « Soutien à vous ! Vive les cookies de la Résistance et de la République Libre »écrivent certains. « Je passerai à l’occasion », « Free Palestine », renchérissent d’autres.

Mais aux messages de soutien, la famille ne compte pas répondre. « Cela nous fait chaud au cœur, bien sûr. Mais nous ne voulons pas faire de la politique, ni prendre parti dans ce conflit qui n’a absolument rien à voir avec des cookies, conclut la mère. Cette histoire, c’est simplement celle d’une famille qui a été jetée en pâture sur les réseaux alors qu’elle voulait juste célébrer les valeurs du sport et de la fête. »

Zoé Moreau Pour “Le Monde”

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4 Comments

  1. il faut être mal intentionné ou alors très bête pour afficher le drapeau d’un pays qui n’existe pas quand on a un tiers de ses clients mortifiés par des terroristes assassins de juifs ! S’apitoyer ou soutenir ces pâtissiers inconscients ( peut être pas)
    c’est trop demander et Le Monde hypocrite révèle une fois de plus son hostilité à l’égard des Français juifs ! Que diriez vous d’un commerçant qui afficherait les fanions de la division Das Reich après ses exploits à Oradour sur Glane ?

    • Ils espéraient peut-être se trouver ainsi de nouveaux clients ?
      Apparemment ça n’a pas marché. Ils n’ont réussi qu’à offenser des habitués, de fidèles clients.
      Je ne suis pas d’accord pour les menaces et les dénonciations sur le Net. Mais ne plus fréquenter un commerçant qui se fiche de vous, c’est tout à fait compréhensible.

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