Quand Ben Gourion tricote sionisme et messianisme. Yves Mamou a lu « L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple juif » de Ben Gourion

La bibliothèque de textes sionistes que Pierre Lurçat traduit et publie en français depuis quelques années – qu’il en soit remercié – vient de s’enrichir d’un petit volume tout à fait bienvenu intitulé : « L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple juif » dont l’auteur est David Ben Gourion. 

Lire en 2024 « L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple juif », un texte écrit il y a plus de soixante ans, par David Ben Gourion, ne laisse pas indifférent. En raison du contexte historique principalement. En 1957, date de la publication, l’Etat hébreu vit une accalmie. Le monde arabe, terrassé, ne se remet pas de sa défaite de la guerre d’indépendance en 1948. Comment Allah a-t-il pu permettre à une bande de juifs dépenaillés de flanquer une dérouillée à cinq armées arabes ? 

Plus de soixante ans plus tard, c’est l’inverse : Israel ne se remet pas d’avoir été envahi par une bande de terroristes dépenaillés. Le raid du 7 octobre 2023, a ébranlé la belle assurance qu’Israel avait de son éternité. Et les réflexions de Ben Gourion sur le messianisme qui a porté le mouvement sioniste, et a rendu possible la création d’un Etat pour les juifs sur une terre qui avait cessé d’être juive depuis des siècles, obligent à poser une question qui fâche : si le messianisme a été au fondement de l’émergence d’un Etat hébreu, ce dernier est-il une condition de la survie de la société israélienne ? 

Pour Ben Gourion, la création d’Israël est un évènement de type messianique. Messianisme et rédemption sont des mots qui marchent ensemble dans l’analyse de Ben Gourion. Mais ces deux notions ne sont pas réellement définies, sans doute parce que leur charge mystique en rend le maniement difficile. 

Ben Gourion reconnait et accepte l’idée que le retour des juifs en Eretz Israel a été porté par une mystique de type messianique. Mais ce messianisme sioniste n’a pas été la répétition des tragédies messianiques du passé (Sabbatai Zevi, Jacok Frank…).  Sans doute parce qu’il a été un messianisme sans Messie. Les sionistes n’ont pas créé Israel pour hâter l’avènement du Messie, mais pour s’extirper des contraintes et souffrances liées à l’exil. Les juifs auraient volontiers continué de vivre chez les autres, mais l’intolérance de ces autres a rendu la cohabitation difficile. 

Pour Ben Gourion, la « rédemption » est la conséquence du messianisme. Elle ne signifie pas le « rachat » individuel de fautes ou péchés commis dans le passé. Cette définition chrétienne n’est pas de mise ici. Rédemption au sens juif signifie ici libération collective des contraintes de l’exil. La rédemption se produit parce que les juifs ne sont plus l’objet brinquebalé de l’Histoire des non juifs. En devenant souverains et majoritaires sur une terre qu’ils définissent comme la leur, les juifs sont redevenus un sujet de l’Histoire. Ils sont redevenus le sujet de leur propre Histoire. 

L’aspiration à la souveraineté a existé de tout temps au sein du peuple juif en exil. Mais cette « rédemption » a été rendue possible parce qu’elle a bénéficié, au milieu du 19ème siècle, d’un contexte favorable. Ben Gourion explique que ce sont les « mouvements de renaissance nationale qui ont surgi au sein de plusieurs peuples d’Europe » et le « réveil de la classe ouvrière luttant pour instaurer un nouveau régime social » (un messianisme ouvrier en quelque sorte) qui ont donné aux juifs un élan pour concrétiser leur propre aspiration au changement. 

En d’autres termes, le messianisme sans messie des juifs a été rendu possible par les messianismes sans messie des Européens non juifs. Selon Ben Gourion, le messianisme qui sommeille dans le judaïsme a donné naissance à un projet d’autonomie nationale parce qu’au XIXème siècle, les peuples européens et la classe ouvrière ont été portés eux-mêmes par un souffle qui leur a fait souhaiter une transformation radicale de leurs conditions de vie, nationale, sociales et politiques. Le messianisme juif a pris appui sur les utopies révolutionnaires européennes pour devenir sioniste et concrétiser le retour à Sion. 

Pourquoi l’utopie sioniste n’a -t-elle pas sinistrement échoué comme les messianismes juifs précédents ou comme les messianismes non juifs ? Sans doute parce que l’utopie sioniste a tout de suite entrepris de s’ancrer dans le travail. « Sans retour en masse à la terre et au travail, sans changement de la structuration économique et sociale de la collectivité juive en Eretz Israel, nous ne serions jamais parvenus à fonder un Etat juif, car il n’est pas possible d’édifier un Etat dont la majorité de la population ne travaille pas la terre » écrit Ben Gourion. Quand Lénine affirmait que le communisme c’étaient les soviets plus l’électricité, Ben Gourion expliquait que le sionisme c’était le messianisme et le retour à la terre. A l’évidence, le binôme Ben Gourion a été plus efficace que le binôme bolchevik.

C’est à ce stade que la préface de Pierre Lurçat est particulièrement éclairante. On ne va pas la déflorer en la citant toute. Mais, Pierre Lurçat montre avec brio que la crise politique et judiciaire qu’Israel a traversé avant la guerre déclenchée par le Hamas en octobre 2023 a à voir avec le messianisme et la rédemption. La gauche qui accuse Benjamin Netanyahou de brader la « démocratie » et de faire alliance avec l’ « extrême droite » messianique n’est pas très différente de la gauche juive des années 40 qui brandissait la « démocratie » pour attaquer le projet sioniste d’un Etat pour les juifs et pour les juifs uniquement. 

Le message que (peut-être) Ben Gourion nous délivre à travers ce texte traduit et publié par Lurçat, est qu’un Etat pour les juifs qui n’a pour ambition que d’être une petite Californie hédoniste et high tech, loin de ses racines bibliques, est en danger de mort. Surtout face à un messianisme islamiste sur de son bon droit exterminateur. 

© Yves Mamou

« L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple Juif » 

 4 août 2024

de David Ben Gourion (Auteur), Pierre Lurçat (Préface et traduction)

La Bibliothèque sioniste

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1 Comment

  1. Merci Mr Mamou d’avoir partagé cet article. On peut ne pas être juive et passionnée par l’histoire et la destinée de ce pays Israël. J’ai déjà lu deux biographies concernant Golda Meïr. Je me ferai un plaisir de me procurer son livre « la maison de mon père » et « l’Etat d’Israël et l’avenir du peuple juif »(David Ben Gourion).Cordialement.

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