EXCLUSIF – L’ancien patron du groupe M6 accorde au Figaro son premier entretien depuis son entrée en fonction chez l’armateur CMA CGM en tant que vice-président de CMA Media et PDG par intérim de BFM et RMC.
« Nouvelle maison pour une nouvelle vie »
Aujourd’hui encore, c’est peut-être le titre d’une émission de M6 qui résume le mieux la situation de Nicolas de Tavernost : « Nouvelle maison pour une nouvelle vie ». En mai dernier, après trente-sept ans passés à la barre du groupe M6, l’emblématique patron de 74 ans effectuait un changement d’adresse. Direction l’armateur CMA CGM, dirigé par l’industriel Rodolphe Saadé, dont l’appétit naissant pour le secteur des médias venait de se traduire de manière retentissante par le rachat d’Altice Media (BFMTV, RMC…) au tycoon des télécoms Patrick Drahi, moyennant 1,5 milliard d’euros.
Ce n’est qu’un début, assure au Figaro Nicolas de Tavernost, le vice-président de la filiale CMA Media, dirigée par Véronique Saadé, qui regroupe l’ensemble des activités de l’armateur dans cette industrie. « Rodolphe Saadé a dit de manière précise qu’il examinerait toutes les opportunités qui se présentent en France comme à l’international. L’ambition est bel et bien de constituer un groupe média d’envergure. »
Aujourd’hui, CMA Media regroupe deux activités. La presse, d’abord, avec La Tribune, La Tribune Dimanche, La Provence, ainsi que Corse Matin. Et l’audiovisuel, ensuite, composé de RMC et BFM – le groupe dispose de la troisième régie publicitaire privée du secteur audiovisuel. Auxquels s’ajoutent des participations dans Brut (15 %) et dans M6, à hauteur d’un peu plus de 10 %. « CMA Media compte plus de 2500 collaborateurs dont plus de 1000 journalistes. Nous sommes déjà l’un des premiers groupes français privés dans le domaine de l’information »,souligne Nicolas de Tavernost.
Le projet de Rodolphe Saadé n’est pas circonscrit au seul secteur de l’information. « Nous sommes attentifs à toutes les options, aussi bien dans la production audiovisuelle que le digital et la diffusion, insiste le vice-président de CMA Media. La consolidation est un élément en passe de devenir central dans l’équilibre du paysage audiovisuel. Nous serons très pragmatiques. » Y compris dans le cas où M6 serait de nouveau à vendre, d’ici à 2032, en l’état actuel de la législation ? « La question ne se pose pas actuellement », élude celui qui a toujours milité pour desserrer l’étau réglementaire. « En tout état de cause, il faudra examiner le cadre d’ensemble de cette réglementation de l’audiovisuel, extrêmement complexe dans les enchevêtrements de procédures anticoncentrations : loi des cinq ans sans changement de contrôle d’une chaîne, loi interdisant à un opérateur de détenir plus de 49 % du capital d’une chaîne hertzienne nationale. Il y a une remise à plat nécessaire à faire du corpus législatif et réglementaire français qui arrive à son paroxysme. »
« Une rentrée offensive » sur BFMTV
En attendant de pouvoir se développer via une stratégie de croissance externe, « CMA Media a une ambition de croissance interne. BFM, BFM Business, les dix chaînes BFM locales, dont huit sur la TNT, la radio RMC, RMC Story, RMC Découverte… Ce groupe possède des actifs significatifs et nous examinerons en 2025 un plan de développement afin de les renforcer. » Si CMA Media promet de « continuer à investir », Nicolas de Tavernost, qui a aussi été nommé PDG par intérim de BFM et RMC, ne perd pas de vue la rentabilité du groupe. « La marge est appréciable et restera supérieure à 20 %. »
Les fondamentaux du groupe sont solides, selon le dirigeant. « RMC, qui séduit chaque jour 3,2 millions d’auditeurs, est la radio la plus jeune avec 51 % de son public âgé entre 13 et 49 ans. » Cet été, sur le digital – la radio n’est pas mesurée l’été -, cette radio officielle des JO de Paris et des Paralympiques qui démarrent a aussi totalisé « plus de 19 millions d’écoutes sur la période des Jeux et 7 millions de podcasts téléchargés ».
BFMTV ne perdra pas son ADN, qui est d’être la chaîne des événements. Elle ne deviendra pas une chaîne d’opinion mais s’intéressera à toutes les opinionsNicolas deTavernost
Quant à BFMTV, talonnée et même dépassée à plusieurs reprises la saison dernière par CNews, « elle est leader des chaînes d’info sur l’année et sur les deux derniers mois en audience moyenne, rappelle-t-il.Si l’on parle d’audience cumulée, nous attirons chaque jour 12 millions de Français quand nos concurrents en comptabilisent entre 6 et 8 millions.Personne ne peut contester ce leadership. Et nous allons le confirmer, voire le développer, avec une rentrée offensive. » À la tête des avant-soirées, de 18 h 50 à 20 heures avec « Tout le monde veut savoir », Benjamin Duhamel, qui remplace Yves Calvi sur cette tranche, a par exemple opéré un très bon démarrage avec 523.000 téléspectateurs en moyenne lundi dernier, en hausse de 44 % comparé à l’émission de son prédécesseur.
Faire progresser les audiences ne sera pas synonyme de rupture dans la ligne éditoriale. « BFMTV ne perdra pas son ADN, qui est d’être la chaîne des événements. Elle ne deviendra pas une chaîne d’opinion mais s’intéressera à toutes les opinions. » Parmi les initiatives annoncées, « le développement important des régions », un renforcement de la couverture de l’actualité à l’international, la mise en place de synergies qui se traduiront, notamment, par « la constitution d’un pôle économique autour de BFM Business et La Tribune, avec des offres communes. Ce pôle est voué à devenir leader du secteur en France »,déclare Nicolas de Tavernost. Le rapprochement se concrétisera par l’arrivée, « dès le mois de décembre, de la rédaction de La Tribune dans les locaux de BFMTV, à Paris, dans le 15e arrondissement. De son côté, BFM Marseille devrait rejoindre les locaux de La Provence. Ces deux projets seront soumis aux CSE. »
Autre nouveauté, le lancement, le 25 septembre prochain, de BFM2, « une chaîne 100 % numérique, pensée comme une complémentarité de BFMTV, et qui permettra de retransmettre des événements supplémentaires en direct, comme prochainement les soirées électorales durant l’élection américaine ».
Vigilance sur la numérotation des chaînes d’info
Cet automne, BFM aura un point de vigilance. L’Arcom, qui vient de réattribuer 15 fréquences télé et de faire entrer dans le jeu deux nouveaux acteurs, Daniel Kretinsky et Ouest-France, à la place de C8 et NRJ12, se penchera sur les enjeux de la numérotation. Certains militent activement pour un regroupement des chaînes d’info au sein d’un même bloc. BFMTV est situé sur le canal 15, devant CNews (en 16), LCI (en 26) et Franceinfo (en 27). « Le respect du téléspectateur nécessite de changer le moins possible, sans compter les problèmes d’équité que cela poserait entre diffuseurs. Que certains veuillent profiter de gains d’opportunité, c’est une chose. Mais on serait bien inspiré d’effectuer le minimum de modifications. En tout cas, nous y serons très vigilants », prévient Nicolas de Tavernost.
Au-delà de l’arrivée d’Éric Brunet aux commandes de « Liberté, égalité, Brunet ! », avec Alice Darfeuille, du lundi au jeudi de 20 heures à 22 heures, et de celle d’Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction du Figaro, les vendredis entre 19 heures et 20 h 30, avec François Gapihan, la chaîne n’a pas vraiment agité le mercato. « Cela prouve bien qu’il y a déjà des incarnations fortes en interne, comme Apolline de Malherbe ou Benjamin Duhamel », balaye-t-il.
Je retrouve ici l’esprit d’entrepreneur qui animait M6 il y a vingt ans avec des équipes motivées, cette volonté très forte d’investiguer de nouveaux territoires, dans les accords avec les réseaux sociaux, les téléviseurs connectés, sur le digital en général…Nicolas deTavernost
S’agissant des changements au sein de l’état-major de la chaîne, les transferts sont en cours. Jean-Philippe Baille, l’ex-directeur de l’information de Radio France et directeur de Franceinfo, succédera à Hervé Béroud, en partance pour M6, au poste de directeur général délégué à l’information de RMC BFM « au plus tard le 1er octobre », assure Nicolas de Tavernost. Quant à Fabien Namias, jusqu’alors directeur général adjoint de LCI, qui doit reprendre le poste de directeur général de BFMTV occupé depuis cinq ans par Marc-Olivier Fogiel, aucune date n’est précisée. « Il sera bien là et nous sommes impatients de l’accueillir. Le plus tôt sera le mieux », confie Nicolas de Tavernost.
Et lui, PDG par intérim de BFM et RMC, compte-t-il céder prochainement sa place ? « J’ai l’habitude des mandats longs, sourit celui qui est resté quasiment quatre décennies à diriger le groupe M6… Et puis j’y prends goût. Je retrouve ici l’esprit d’entrepreneur qui animait M6 il y a vingt ans avec des équipes motivées, cette volonté très forte d’investiguer de nouveaux territoires, dans les accords avec les réseaux sociaux, les téléviseurs connectés, sur le digital en général… Rodolphe Saadé m’a demandé de poursuivre cette mission au sein de RMC et BFM. Pour le moment, il n’y a pas de terme à l’intérim », affirme Nicolas de Tavernost. Son projet de livre sur les médias attendra. La retraite aussi.
Caroline Sallé
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