Il y a un peu moins d’un an, j’écrivais dans ces colonnes la passion et l’admiration que m’avait inspiré le roman « Indigne » de Cécile Chabaud.
Un peu moins d’un an après donc, me revoilà pour dire combien le nouvel ouvrage de celle qui fut d’abord connue comme professeur de français en collège, en un temps où être prof était moins que jamais une sinécure, s’avère être un nouveau bonheur de lecteur. Un véritable bonheur.
Ce livre parle de la guerre et des femmes. Ou plutôt d’une guerre – celle de 1914-1918 – et d’une femme – Nicole Mangin, médecin – plongée dans ce conflit-boucherie qui aurait dû, qui aurait pu, dégouter à jamais les hommes de s’affronter et s’entretuer pour un bout de territoire, pour des idées ou pour une religion… Même de mort lente.
Contexte de guerre
On devrait toujours dire, a fortiori quand on se paye le luxe d’écrire une critique pour Tribune Juive, dans quel contexte on lit un livre…
Ce livre, titré « De femme et d’acier », je l’ai lu en vacances mais dans un contexte de guerre, en Ukraine et surtout en Israël. Je l’ai lu quelques jours avant sa sortie dans les bacs – prévue le 22 août – alors qu’Israël et les Juifs de la diaspora attendaient, le souffle court, que l’Iran et ses « proxies » passent à l’action dans une riposte annoncée qui, à l’heure où j’écris ces lignes, n’est pas encore venue.
Dans ce contexte, comment allais-je recevoir « De femme et d’acier » ?
Aurais-je le même coup de cœur que j’avais eu pour « Indigne » ?
Oui, la réponse est oui. Cent fois oui. Mille fois oui.
Mais pourquoi un tel emballement, alors que je venais de lire coup sur coup un excellent roman (« Ce que je sais de toi » d’Eric Chacour) et un excellent essai dont j’avais longtemps repoussé la lecture (« Solitude d’Israël » de Bernard-Henri Lévy) ?
J’ai réfléchi aux hypothèses de cet enthousiasme.
Bonheur de lecteur
La première : la puissance du personnage central. Cette femme, Nicole Mangin, digne et forte en dépit des vicissitudes de la vie, au cœur de la plus grande boucherie du 20ème siècle. Cette femme confrontée à la misogynie naturelle (on pourrait dire ontologique) de son temps. Cette féministe réelle, si on m’autorise l’expression, qui serait bien triste de voir ce qu’est devenue le combat, indispensable et nécessaire pourtant, pour les femmes. Cette femme-médecin plaçant le soin et le souci de l’autre au-dessus de tout, y compris de sa propre vie très tôt chahutée, cabossée, trahie par… un homme.
Il y a ensuite le style de Cécile Chabaud, bouleversant autant que ciselé. De la dentelle !
Que de belles tournures, de mots choisis avec soin ! Quel usage parfait de la ponctuation qui donne aux phrases un rythme vertigineux… ! Un style qui invite à lire des pages à haute voix, dans des endroits incongrus parfois… Un style qui fait la femme comme l’écrivain Chabaud, pas encore assez connue à mon avis, dont la plume est l’une des plus séduisantes et réjouissantes de ce 21ème siècle où, tout compte fait, il y a si peu d’occasions de se réjouir…
Je n’oublie pas la construction du roman, avec cette alternance entre de brefs passages écrits en juin 1919, alors que Nicole va mourir, et les épisodes vécus au cœur du conflit, au plus près de ses ravages, de ses atrocités et de ses effets collatéraux.
Episode après épisode, chapitre après chapitre, on va découvrir combien le courage ne saurait se limiter à monter au front, avaler des gaz de combat, se terrer dans une tranchée empuantie envahie par les rats avant de partir baïonnette en avant pour grignoter au mieux quelques mètres avant d’exploser parfois sur une mine ou un bombardement…
Il y avait eu Céline, Genevoix, Maria Remarque, Fournier, Giono, Barbusse, Cendrars et beaucoup d’autres pour nous conter ces atrocités… Que des hommes !
Cécile est cette femme-écrivain qui rend hommage à Nicole cette femme-médecin. A la clé, dans ce premier conflit que l’on dit moderne ? Bien plus que du courage. Une abnégation de chaque instant, un altruisme sans rien attendre en échange, une soif du service et un goût des autres, même quand ces autres sont réduits à presque rien. Je l’ai dit, le tout est porté chez elle (et nécessairement chez Cécile Chabaud) par de profondes convictions féministes qui n’exigent rien des hommes sinon qu’ils la considèrent à leur égal… Au moins leur égal !
On se félicitera enfin de la reconstitution historique si précise, si visiblement documentée, de Cécile Chabaud, qui rend si actuelle cette période, séparée de nous par un siècle, paraissant sous sa plume si proche de nous à bien des égards.
J’avais aimé « Indigne » et l’avais écrit ici. J’aime « De femme et d’acier » et lui souhaite le plus grand des succès. Puissent les lectrices et les lecteurs s’en emparer et alimenter un bouche-à-oreille puissant, de ceux qui arrivent aux oreilles de nos jurys littéraires prêts à sortir des sentiers battus…
Gérard Kleczewski
« De femme et d’acier », de Cécile Chabaud, éditions L’Archipel, 230 pages.
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