Georges-Elia Sarfati. La Chine à la recherche de l’unité palestinienne

Georges-Elia Sarfati

A la fin du mois de juillet 2024, la presse internationale a discrètement rendu compte d’un évènement passé presque inaperçu : la signature d’un Accord de réconciliation conclu à Pékin, le 23 du même mois. C’est sous l’égide du ministère chinois des Affaire étrangères, actuellement représenté par Mr Wang Yi, qu’a eu lieu la rencontre entre le Hamas et le Fatah, destinée à sceller une entente renouvelée. Cet Accord vient officiellement mettre fin à près de quinze années de dissension, y compris violente, depuis que le Hamas a chassé l’Autorité Palestinienne de Gaza, en 2007, soient deux ans après être sorti majoritaire d’un scrutin à la majorité[1].

Que le pouvoir chinois se soucie de réunir aux fins de les réunifier les différentes factions palestiniennes témoigne d’une attitude désormais constante des puissances du BRICS, qui est de vouloir jouer un rôle dans les grandes questions, non seulement économiques, mais encore géo-stratégiques du globe. Mais qu’il le fasse dans une période d’affrontement sanglant qui oppose le Hamas à Israël, depuis le 7 octobre 2023, en dit long sur la nature de son implication et de ses choix.

Sous l’égide de Pékin, les factions palestiniennes signent un accord politique d’unité nationale

Trois points principaux étaient à l’ordre du jour, qu’il s’agissait de ratifier, et qui de fait l’ont été, signe que le projet chinois a pleinement réussi : d’abord, l’engagement commun visant à établir un gouvernement intérimaire après la guerre de Gaza, ensuite l’exigence selon laquelle seuls des Palestiniens seraient en charge du gouvernement de la Palestine, enfin la revendication expresse que la Palestine devienne dans un délai bref un Etat membre des Nations Unies.

La formulation de cet Accord appelle plusieurs remarques. Les termes du premier point semblent entériner le principe du consensus international pour faire pression sur l’Etat d’Israël et lui imposer un mode d’administration politique de la bande de Gaza, sans se soucier d’obtenir son assentiment. Les termes du second point reposent sur certains présupposés relatifs à ce que sont les Palestiniens, et surtout relatifs à la définition même –notamment territoriale- de la Palestine. Ici deux questions se posent : sur la foi de quel critère le nombre des Palestiniens pressentis comme futurs citoyens dudit Etat de Palestine est-il comptabilisé ? Celui de la juridiction de l’UNRWA, qui accorde ipso facto le statut de réfugié palestinien à tout descendant des réfugiés de 1948 ? La question n’a jamais été posée par aucune autorité juridique, civile, ni politique depuis que cette juridiction dérogatoire a été mise en place à l’initiative de la Ligue Arabe en 1949. D’autre part, comment les 14 factions réunies à Pékin pour ratifier leur unité conçoivent-elles la Palestine ? A la manière du Hamas, pour qui la notion de frontière n’a pas de sens ? Ou bien à la manière de l’OLP, selon sa conception biaisée liée à la « stratégie des étapes » mises au point par Y. Arafat ? Ou encore, selon l’idéologie panarabe pour laquelle la Palestine est une province de la Syrie-Palestine antérieure au morcellement de l’Empire Ottoman ? Enfin, sur les termes du troisième point, souhaiter avec la Chine – qui est comme la Russie, membre du Conseil de sécurité- que l’Etat palestinien rejoigne le concert des nations, n’est-ce pas corroborer la vision actuelle de l’ordre mondial, ordre fondé sur la majorité automatique des antisionistes, doctrinaux ou munichois ?

Une dernière réflexion se laisse déduire de ce qui précède : rien dans l’esprit ni dans la lettre de l’Accord de Pékin ne fait état du moindre aggiornamento doctrinal du point de vue palestinien officiel et majoritaire. Il n’a ni été question de revenir le moins du monde sur le refus palestinien d’Israël, ni d’amender le moindre alinéa de la charte génocidaire du Hamas, ni d’envisager la moindre réforme des programmes d’enseignement de l’Autorité Palestinienne confiés à l’UNRWA. Le moment de cet Accord n’a pas même été l’occasion – qu’aurait pu saisir le représentant du Fatah- pour fut-ce nuancer le programme politique et idéologique du Hamas devant un tiers. De tout cela il n’a pas été question. ll n’a pas non plus été question, sous l’égide de la Chine, de suggérer aux factions palestiniennes réconciliées, que le moment de leur réconciliation pouvait aussi bien ouvrir une ère nouvelle, notamment de négociation sincère avec Israël. A aucun moment il n’a été question, du point de vue chinois, de conditionner la tenue de la conférence de Pékin au principe de la reconnaissance palestinienne de l’Etat d’Israël comme Etat-Nation du peuple juif… A l’inverse, les factions palestiniennes ont pu – du fait même de tous les implicites évoqués- au moins s’entendre sur l’esprit tacite d’un slogan commun : « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libérée »…

Le 23 juillet 2024, la Chine s’est contentée de tenir le rôle de médiatrice entre les alternatives du pire. Elle s’est surtout satisfaite de consolider le noyau doctrinal de la sensibilité la plus irrédentiste de l’antisionisme et de l’antisémitisme contemporains.

Ajoutons qu’étaient présents à cette cérémonie diplomatique les représentants de l’Egypte, l’Algérie, l’Arabie Saoudite, du Qatar, de la Jordanie, de Syrie, du Liban, de la Russie et de la Turquie. On peut s’étonner du caractère hétérogène d’un tel aéropage. A tout prendre, la présence de tous ces acteurs politiques reflète l’état des rapports de force au Proche Orient.

Il est visible que la Chine a eu à cœur de convier à la signature de cet accord les principaux représentants régionaux du soi-disant ‘’axe de la résistance’’ : au-delà des factions palestiniennes, la Syrie et le Liban (préposés de l’Iran), le Qatar et la Turquie – respectivement grand argentier et grand avocat des Frères musulmans- et l’inénarrable Algérie, qui n’a jamais reconnu Israël, et qui a fait de l’antisionisme  complotiste, tout comme l’Iran, une dimension substantielle de son idéologie d’Etat. Seules exceptions partielles : l’Egypte[2] et la Jordanie[3], en paix froide avec Israël, mais pour des raisons géographiques directement concernées par la guerre de Gaza.

Il y a fort à parier, que cet accord de réconciliation fortifie le camp de la haine antijuive, dans un geste primitif qui veut que la cohésion d’un groupe s’édifie sur la désignation d’un ennemi essentiel. 

© Georges-Elia Sarfati

Georges-Elia Sarfati : Philosophe, linguiste, psychanalyse existentielle. Fondateur de l’Université Populaire de Jérusalem. Poète, lauréat du Prix Louise Labbé.


[1] En l’état actuel des choses, la majorité des populations palestiniennes confessent une sensibilité favorable au Hamas. Pour sa part, l’Autorité Palestinienne n’a jamais désavoué les violences antijuives du Hamas, mais les a au contraire justifié et financé.

[2] Depuis le retrait israélien de Gaza, en 2005, l’Egypte a fait preuve d’une complaisance coupable envers le Hamas, en fermant les yeux sur la contrebande d’armes et la construction de tunnels frontaliers destinés à permettre cette contrebande. 

[3] La Jordanie se sent d’autant plus concernée par la question palestinienne, que près de 75% de sa population est d’origine palestinienne


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