LES DERNIERS SECRETS DE JOSEPH KESSEL (6/7) – Le libraire de La Rose de Java déniche un roman de Kessel, paru sous pseudonyme, dans une collection populaire dans les années 1920.
En 1968, l’écrivain âgé de 70 ans et dont la vie est déjà légendaire, fait connaissance d’un lycéen, Hubert Bouccara, qui est passionné par son œuvre. Va s’en suivre une amitié inattendue entre Kessel et son cadet. Ensemble ils voyageront, par exemple au Pérou, ils séjourneront chez Brassens ou chez Marc Chagall . Jusqu’à la mort de Jef, le 23 juillet 1979, ils passeront de longues heures à discuter, permettant à Hubert de recueillir les derniers secrets de son ami.
Joseph Kessel est heureux. Il publie Les Temps sauvages. Un demi-siècle a passé depuis la parution de son premier livre, La Steppe rouge. Entre les deux, quatre-vingts titres, reportages, nouvelles, scénarios, romans. Pour la sortie de ce livre qu’il n’espérait plus, Jef organise une petite fête chez lui, avec quelques amis. Champagne ! Les fidèles sont là : Yves Courrière, Suzanne et Louis Nucéra, Moretti ; et même Romain Gary, et Hubert qui lui glisse :
« Tu ne crois pas que tu vas me la faire à l’envers ?
– De quoi parles-tu ?
– Ce nouveau livre, pourquoi tu dis qu’il est inédit ? Moi je l’ai déjà lu… Tu as repris Dames de Californie, et Les Nuits de Sibérie.
Les autres rient sous cape devant la tête de Jef. Personne n’ose faire de commentaire. Il prend le parti de s’en amuser :
– Tu es très impertinent, mon garçon. »
Hubert exagère : l’écrivain a repris le même thème, celui de son séjour à Vladivostok au lendemain de la Grande Guerre, mais il a tout réécrit. Il a toujours procédé ainsi. Son œuvre est un fleuve puissant constitué d’affluents et de rivières souterraines. Des textes paraissent, sont oubliés et réapparaissent souvent sous une autre forme, un autre titre, un peu plus loin, un peu plus tard.
Son œuvre est ainsi composée. Un reportage peut donner lieu à un recueil d’articles puis à des nouvelles et à un roman. Ainsi de son séjour en Syrie en 1926, Jef a tiré La Règle de l’homme, Le Coup de grâce, Un drôle de Noël, Le Bouc, et encore La Femme de maison, Mariette dans le désert. Un drôle de Noël sera repris, in extenso sous le titre Merci mon lieutenant dans Nuits de Montmartre. Et on retrouvera Le Bouc en 1963 dans Tous n’étaient pas des anges. Fil rouge de toutes ces versions, le personnage d’Hippolyte, mi-souteneur mi-soldat perdu.
Et parce que, dit-on, on ne prête qu’aux riches, il est mentionné çà et là un livre de Kessel qui n’a jamais existé : Le Grand Sérail.
« Il est cité dans plusieurs de ses livres, dans la biographie de Courrière et même sur le site de l’Académie. C’est probablement le titre provisoire de ce qui deviendra Le Coup de grâce », explique le libraire.
« L’armée des ombres » de Joseph Kessel
Plaisir des collectionneurs et des lecteurs
Dans son magasin de la rue Campagne-Première, Hubert Bouccara a tenu entre ses mains tous les livres de Kessel. Parmi lesquels quelques trésors. Jef aimait les grands papiers, qui font aujourd’hui le bonheur des collectionneurs : « Il a très vite eu l’intuition que le marché des éditions de luxe était très lucratif. Petits tirages, beaux papiers, illustrés parfois par de grands noms. »
Ainsi, ce texte, paru en 1925 sous le titre Mémoires d’un commissaire du peuple. Il a d’abord été imprimé en dix exemplaires sur japon et en cent vingt sur vélin, tous signés et numérotés par l’auteur. Il ressortira, intitulé La Rage au ventre, chez Eos tiré à cinquante exemplaires sur hollande numérotés. Il en existe même des tirages sur arches ou sur vélin pur fil Lafuma ou sur madagascar Lafuma.
Aujourd’hui, l’œuvre de Kessel fait le plaisir des collectionneurs autant que des lecteurs. Ils recherchent, comme un graal Le Triplace paru en 1926 avec un frontispice de Bécan (l’illustrateur Bernard Kahn), dans un tirage limité à vingt exemplaires sur japon. Et, on ne sait pourquoi, signé Jacques Kessel. Ou la Coupe fêlée ou Six Contes paru chez Edouard Champion dans la collection « Les 49 Ronins du quai Malaquais » (un ronin est un samouraï déchu, un homme errant) : une édition de 49 exemplaires signés par l’auteur, un sur vieux japon, quatre sur whatman, et quarante-quatre sur japon impérial…
Les envois à ses amis, souvent d’illustres personnalités, ajoutent à la valeur de ses livres. Hubert Bouccara se souvient de cet exemplaire de Stavisky l’homme que l’ai connu « imprimé spécialement pour Monsieur Jean Mermoz ». Il contenait ce mot manuscrit : « Mon cher Jean, voici une curieuse histoire. Je t’embrasse. Jef. » Et Une balle perdue, dédicacé à Malraux en souvenir de leur séjour en Espagne, et L’Armée des ombres à de Gaulle qui lui en avait soufflé l’idée.
© Etienne de Montety
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