Un phénomène nouveau (si l’on peut dire) dans la longue histoire de la haine des Juifs s’est manifesté récemment dans les campus universitaires américains, les rues européennes, notamment anglaises et françaises, sans oublier les rues arabes (Jordanie, Turquie, etc).
Ce phénomène, que je définis comme le « palestinisme », constitue une nouvelle forme idéologique[1] qu’il faut distinguer de l’antisionisme, devenu désormais « classique » et dépassé.
Les différentes ères de la haine des Juifs
Tout au long de l’histoire se sont en effet manifestées différentes formes de la haine et du projet d’extermination des Juifs : l’antijudaïsme chrétien, l’antijudaïsme musulman, l’antisémitisme de l’âge moderne et démocratique qui identifie le Juif à une race, l’antisionisme de l’âge contemporain (âge de l’Etat-nation) qui identifie l’Etat juif à une colonie de l’Occident.
Chacune de ces formes implique une théorie de la condition juive[2] et le projet de l’éradication des Juifs (plus crûment de leur « extermination ») au nom d’une cause sensée justifier moralement cette extermination. Elles déclinent chacune un enjeu spécifique.
Dans les formes historiques de la haine des Juifs, on opposa ainsi :
*le « Verus Israël », l’Église, à la Synagogue déchue
*la Oumma islamique au dhimmi,
* la nation moderne au complot juif mondial (un peuple de contrebande)
*la nation postcoloniale à l’Etat-nation juif (antisionisme)
*la « multitude » (Cf. Antonio Negri) globalisée à la nation juive singulière.
L’ère de l’antisémitisme global
On peut se demander à propos de cette dernière phase, si on est entré dans une nouvelle ère historique de la haine des Juifs : l’ère « post démocratique », postmoderniste ou globalisée. Remarquons qu’elle pourrait être étroitement liée à l’apparition récente en Israël même d’un Israël postnational (issu du post-sionisme de la gauche israélienne), dont les premiers effets se sont faits sentir dans la « protestation » qui a secoué Israël tout au long de l’année 2023[3].
En somme, l’antisionisme qui vise l’État-nation juif démocratique classique serait aujourd’hui « dépassé » comme forme idéologique de la haine des Juifs, du fait de la fin[4] (?) de l’ère de l’Etat nation, y compris dans sa version israélienne.
Quelle forme prendra(it) cette mutation postnationale (c’est-à-dire « par-delà de la nation »), d’une haine qui, aux dernières nouvelles, était antisioniste (contre le Juif comme Etat-nation moderne) ? Il n’y aurait plus dans cette version de référent collectif concret – peuple, nation, synagogue (postmodernisme oblige) – sinon « la multitude » décérébrée, confuse et erratique, qui, chez Antonio Negri, désigne la nouvelle figure de la condition collective englobant chaotiquement toute l’humanité à l’âge de la globalisation et qui aurait pour figure mondiale « le peuple palestinien », comme l’illustrent les manifestations mondiales actuelles de la haine des juifs.
Les Juifs (figure globale de l’Etat d’Israël), seraient ainsi doublement attaqués : comme survivance archaïque de l’Etat-nation, fossile de l’ère coloniale, et comme obstacle à la mondialisation. L’enjeu de cette haine opposerait désormais une nouvelle entité, mondialisée elle aussi, représentant le monde globalisé, soit « le peuple palestinien », aux Juifs du monde entier, qui ne sont plus désormais qualifiés de « peuple ».
Bien évidemment, « le peuple palestinien», qui figure une réalité censée être menacée et persécutée (apartheid),[5] s’il désigne les Palestiniens réels est dans ce cas construit comme
une figure transcendante, malléable, qui relève du mythe, comme le montre le soulèvement contre les Juifs qui a frappé les universités de plusieurs pays du monde occidental et montré l’ignorance crasse de ses « idiots utiles » européens et américains en matière d’histoire et de géographie du Proche Orient : ils clament le slogan « du fleuve à la mer » sans savoir de quel fleuve ni de quelle mer ils parlent … C’est désormais le « peuple palestinien » contre « les Juifs », partout, n’importe où. Les femmes battues (d’Occident seulement) peuvent désormais défendre leur cause en s’en prenant à « Israël »… C’est ce que permet rationnellement) le délire conceptuel de la doctrine postmoderniste de « l’intersectionnalité ». Femmes battues, ex-colonisés persécutés, handicapés, Africains, Indiens, ex-esclaves : haro sur les Juifs coupables de votre souffrance !
Dans la mesure où le « peuple palestinien » devient le référent universel et abstrait, décollé de la réalité historique et sociologique, d’une haine antijuive débridée, je nommerai cette dernière le « palestinisme ». Ce terme désigne l’idéologie qui motive le déferlement antisémite actuel dans le monde, sur la base d’une messianisation quasi religieuse (en fait islamisée) d’un peuple palestinien « souffrant » victime de toute la culpabilité du monde « blanc », et « occidental ». Ce n’est plus le Juif comme nation, synagogue, communauté qui est visé mais le Juif comme genre humain, autant collectif qu’individuel qui se voit dénier sa qualité d’homme comme l’a montré le massacre du 7 octobre[6]. En ce sens, c’est une résurgence de l’intention nazie.
La Palestine : Empire ou Etat ?
Cet état de fait confère un statut inédit aux Palestiniens, un pouvoir inédit, celui d’un « Empire global ». J’emprunte ce terme à un auteur américain, Lee Smith[7], les Palestiniens ont quelque chose de mieux qu’un Etat, écrit-il, ils sont soutenus par les pouvoirs dominants actuels et inscrits dans toutes les scènes des institutions internationales. Le soulèvement des campus et des villes occidentales a montré leur force et l’envergure de leur pouvoir. Quel besoin ont-ils de s’encombrer de la charge d’un petit Etat que serait « la Palestine » aux frontières étriquées : ils jouent déjà dans la cour des grands et caracolent dans toutes les scènes internationales, à la cour pénale internationale (qui montrent à l’occasion leur corruption morale et leur mauvaise foi). L’enjeu de la haine d’Israël, du coup, n’a plus objectivement pour horizon la création d’un « État palestinien » ni un « peuple palestinien ». Il se voit confronté à l’humanité réunie dans « la communauté internationale ». Il n’a plus à faire avec les terroristes palestiniens, au Hamas, etc, mais aux instances mondiales de l’humanité.
Les trois socles du palestinisme
Le palestinisme comme idéologie se développe dans trois groupes de population :les immigrés arabo-musulmans d’Occident, les Palestiniens du Proche Orient, les populations occidentales, à cela il faudrait rajouter les milieux internationaux (en particulier l’Union Européenne). A chaque fois pour des motifs différents.
Pour les communautés de l’immigration le souci pour la « Palestine » joue, depuis la deuxième intifada, le rôle d’un « cheval de Troie » qui leur confère une occasion « distinguée », légitimante, d’intervenir pour la première fois sur la scène politique des pays dans lesquels elles se trouvent en tant que communauté distincte (la oumma) de la communauté nationale. Le fait d’intervenir spécifiquement contre les Juifs sur la scène politique limite en effet la « gravité » de leur intervention politique sur la scène nationale. C’est ce qui a ouvert la porte à l’idée qu’il y a là un « conflit importé » et donc extra-français. On évoque même l’antisémitisme « endémique » des pays (musulmans) d’où viennent les immigrés comme une fatalité contre laquelle il n’y a rien à faire… « Antisémitisme d’atmosphère », dit-on, pour ne rien faire contre lui.
On sait qu’après et par-delà les Juifs, comme le montre l’extension du terrorisme en France après les meurtres commis à Toulouse par Mohamed Merah, c’est le reste de la population française qui est visée. L’intervention pour le peuple palestinien souffrant (dixit Merah : « venger les enfants de Gaza » sur des enfants … juifs français) cachait l’intervention des immigrés dans la politique française, au nom de l’islam et de l’islam violent.
Les figures qui ont accompagné les manifestations européennes et américaines sont très significatives : en tête des cortèges on voit que les leaders sont des musulmans locaux, immigrés : femmes voilées et keffieh pour les hommes, ils drainent la foule des « idiots utiles » séduits dans leur manque de savoir par une cause réputée noble : apartheid, génocide et autres bluffs.
Le socle des populations occidentales
Une des caractéristiques du palestinisme est en effet de se cacher dans une cause souffrante pour avancer sur la scène de la société occidentale (pas besoin de ce bluff en monde musulman, l’intention antijuive archaïque est claire pour tout le monde : la seule condition d’exister pour un non musulman c’est la condition de dhimmi !). On invente ainsi une saga victimaire, une histoire fausse du début à la fin, qui ignore les faits historiques et les distord, profitant de l’ignorance des palestinistes en se centrant sur des mots valises : apartheid, génocide, colons, pour détourner l’attention et pomper la légitimité qui découlerait de ces souffrances au profit des Palestiniens. Ici la manipulation des symboles de la Shoah est évidente[8]. Elle vise le sentiment de culpabilité qui habite ceux qui ont commis la Shoah (et qui ont produit le colonialisme, les Occidentaux.
Pour séduire ces derniers, la légende, le story telling, du palestinisme, son credo exaltent le peuple absolu dont des dizaines de milliers d’enfants seraient intentionnellement tués par Israël, un génocide mettant en jeu toute l’humanité, la quintessence de l’humain, l’innocence. Des chiffres astronomiques de victimes circulent, fabriqués par le Hamas et que reprennent scandaleusement les instruments d’information, voire des États occidentaux, sans prendre la peine de les vérifier « Ce que la Palestine apporte au monde » titrait récemment l’Institut du monde arabe de Paris pour une exposition sur la « créativité » ( !) palestinienne…
Cette messianisation d’une Palestine fantasmatique a une longue histoire. Elle commence avec la manipulation de ses signifiants par l’URSS des années 1960 et notamment le KGB qui construisit les populations du territoire mandataire de la SDN en mouvement national tiers-mondiste luttant contre le colonialisme occidental. Signalons que les populations en question n’ont jamais eu d’Etat ni de spécificité nationale locale à travers l’histoire si ce n’est depuis qu’Israël existe. L’objectif de cette transmutation visait à trouver un moyen de séduire et d’embrigader, la gauche occidentale, dans le combat communiste contre l’Occident démocratique et capitaliste, le monde libre. C’est ce que raconte Jan Pacepa, un espion du KGB passé à l’ouest. Ce changement de stratégie se produisit en 1964 dans la Roumanie de Ceausescu.
Le palestinisme est l’idéologie de cette nouvelle stratégie qui a pris des formes successives, d’abord communiste, puis marxisante, puis anarchiste (dans les idéologies de 1968) puis post-moderniste, puis wokiste. Le dogme postmoderniste de l’intersectionnalité, je le souligne à nouveau, qui établit un rapport entre toutes les conditions d’oppression supposées, fonde la confusion générale qui caractérise le palestinisme et qui permet à des individus et des groupes qui n’ont rien à voir avec Israël et les Juifs ( côté globalisé) dont ils ignorent l’histoire et l’identité, de se retourner contre eux, n’importe où, n’importe quand. C’est la raison et la théorisation du rapport qui lie la célébration du peuple absolu, du peuple anti-système des activistes « progressistes » et la guerre de religion archaïque de l’islam.
La guerre de religion derrière le palestinisme
L’invention stalinienne d’un combat « national(iste) » des Palestiniens contre le colonialisme israélien, quintessence du colonialisme universel, cachait en fait aux yeux des naïfs (et mal intentionnés) occidentaux la guerre de religion universelle que certains groupes islamistes mènent contre l’Occident et dont on mesure la réalité dans le mouvement antijuif mondial qui a suivi le 7 octobre
Cette universalisation de la haine laisse transparaître en effet la dimension de « guerre de religion » cachée dans le palestinisme. La manifestation simultanée des événements contemporains, en effet n’est pas un hasard. Le projet d’une extermination islamique des Juifs inaugurée par le massacre du 7 octobre était clair : le Hamas l’a nommé « déluge de la mosquée El Aqsa ». C’est un fait concret que l’appel au djihad a été lancé par des autorités théologiques musulmanes (l’Université El Azhar du Caire, la Faculté de théologie de la Zitouna en Tunisie, sans oublier – et c’est prouvé- l’inspiration venue du shiisme iranien en proie à une croyance eschatologique messianique dans laquelle les Juifs sont censés jouer un rôle). Les atrocités ont joué comme un appel du sang contre des populations que les islamistes ne tiennent pas pour « humaines » (rappelons les Yezidis exterminés en Irak).
Mais ce n’est là qu’une partie de la réalité du caractère global du palestinisme. Il a aussi des bases organisationnelles. Pourquoi les campus américains ? C’est que le Qatar a investi des sommes gigantesques dans les universités et la recherche américaines, et c’est aussi qu’il est actif en Europe, dans différents pays européens et dans la sphère politique de l’UE (cf. le scandale récent de la corruption de députés européens). A cela il faut ajouter aussi l’action de la Turquie parmi les immigrés turcs en Europe, notamment en Allemagne. On sait aussi comment les Frères musulmans (financés par le Qatar avec le soutien de la Turquie) pratiquent l’entrisme dans toute l’Europe et l’Union Européenne par le biais des immigrés musulmans. Ce phénomène global peut être défini comme une mise en œuvre de la guerre sainte, le djihad sur un plan mondial et avant tout dans une Europe minée par les ravages de l’idéologie postmarxiste qu’est le postmodernisme. Les deux d’ailleurs vont de pair objectivement : djihad et postmodernisme.
Le palestinisme des Palestiniens : le socle palestinien
La stratégie du palestinisme, cependant, a fini par être plus qu’une parade de circonstance, une manœuvre idéologique, en ce sens qu’elle a influé sur la radicalisation du « peuple palestinien » qui désormais se voit mondialement substitué à Israël sur lequel il calque, par ailleurs, son existence et son identité, ce qui donne voie aux accusations de « génocide » : le « peuple palestinien » est le « Nouvel Israël ». Israël, par son existence même, devient en effet le nom du génocide des Palestiniens, grâce auquel ils se constituent comme peuple, en son lieu et place. Il n’y a en effet jamais eu de société, d’Etat, de nation palestiniens (un terme romain par lequel Rome avait voulu effacer jusqu’au souvenir d’Israël et qui désignait à l’origine, les plus grands ennemis de l’Israël antique, les Philistins, eux-mêmes des « envahisseurs » (le sens étymologique du mot « palestinien »). Après la guerre de 1948, les puissances qui avaient envahi le jeune Etat d’Israël pour le détruire, soient la Jordanie et l’Egypte, n’avaient ainsi pas rendu les territoires qu’elles avaient occupés à un Etat palestinien ou à un peuple palestinien qui jamais n’existèrent. Le drapeau que brandissent les LFI dans l’hémicycle est en fait le drapeau du parti Baas qui gouverne en Syrie et en Irak et qui est l’étendard d’un nationalisme socialiste panarabe Sans Israël, il n’y aurait jamais eu de Palestine (et de fait à l’époque du Mandat anglais de la SDN les Juifs étaient nommés « palestiniens » mais pas les Arabes de ce territoire dont l’Etat devait être sis en Jordanie).
La société tribale palestinienne (les Hamoulot, inscrites dans un cycle de vendettas et de gangstérisme à la centaine de morts annuels) ne s’identifie donc comme « Palestine », (le mythe inventé dans la guerre menée aux Juifs depuis 1940) qu’en se calquant en tous points sur l’existence et l’identité de l’Etat d’Israël, sans qui il n’y a pas de « peuple palestinien ». Rappelons, comme arrière-plan, que, depuis 1940 et jusqu’en 1970, un million de Juifs ont été chassés du monde arabo-musulman dont 600 000 sont devenus alors citoyens israéliens. Le palestinisme récent apparaît dans cette perspective comme l’étape la plus récente de la guerre que, depuis, l’islam mène aux Juifs. Quant au génocide, quel drôle de génocide ! En 1948, on comptait 600 000 réfugiés palestiniens, aujourd’hui ils sont plus de 13 millions…
Le drapeau du parti BAAS. Ce drapeau, présenté par Rima Hassan et le Fatah comme un drapeau « palestinien », est en fait celui du parti BAAS au pouvoir en Syrie et en Irak. Il représente une idéologie national-socialiste panarabe. Les couleurs de ce drapeau symbolisent les différents empires coloniaux arabes successifs : le rouge représente les Hachémites, auteurs du premier jihad, avec l’esclavage sexuel et le statut de sous-hommes (« dhimmi ») pour les chrétiens et les juifs ; le blanc, les Omeyyades, avec leur hiérarchie des races et la traite des noirs ; le noir, les Abbassides, avec l’industrialisation et le commerce mondial de l’esclavage ; et enfin, le vert symbolise les Fatimides, auteurs du massacre de la communauté juive de Fustat (Le Caire) en 1067 et de la destruction de l’église du Saint-Sépulcre en 1009.
Notes
[1]J’ai rencontré pour la première fois le terme dans les écrits de l’historienne Bat Ye’or
[2] Toujours collective, quoique dans des déclinaisons différentes, car toute haine des Juifs massifie les Juifs en vue de les détruire comme masse
[3] Cette figure sectorielle de la société israélienne, encore potentielle, qui prônerait une condition juive postnationale, suscite déjà (!) une nouvelle version de la haine des Juifs qui n’épargne pas l’Israël postnational de la gauche « progressiste » et qui ne sera pas compté dans la communauté mondiale globalisée quoiqu’il en soit de ses « efforts » pour rejoindre ceux qui s’avèrent être ses ennemis, les « progressistes » antijuifs…
[4] Ce que prétend l’idéologie post-moderniste et déjà l’idéologie post sioniste. Illusion.
[5] Dans le postmodernisme, la seule source de droits est la condition victimaire, réelle ou supposée
[6] Et dont on trouve les expressions dans le discours palestinien interne, ce qui ne parvient pas à l’occident, voir Palestinian Media Watch
[7] Cf. Tablet Top Ten 2023 10
[8] Voir mes analyses du mythe de la Nakba
© Shmuel Trigano
Shmuel Trigano est Professeur Émérite des Universités
Remarquable analyse. Merci