Discours de Janine Elkouby pour sa remise de la Légion d’Honneur

Janine Elkouby. Le 15 juillet 2024

“Vous venez de m’honorer, en me remettant, au nom du Président de la République, les insignes de Chevalière dans l’ordre national de la Légion d’Honneur. Je vous en remercie. Je suis consciente de l’honneur insigne qui m’est fait… et que je ne suis pas tout à fait sûre de mériter.  

Je voudrais aussi vous remercier, chers amis, de votre présence, et de l’amitié si précieuse  que vous me témoignez en ce moment très particulier et très fort. 

Lorsque  j’ai appris par mon neveu ma promotion,  ma première réaction a été la stupéfaction. La Légion d’Honneur ?  Moi ?  Quel mérite, quels services rendus à la nation, me valaient  de me voir décerner la plus haute décoration honorifique française, créée par Bonaparte ? Stupéfaction, donc.  Puis, presque aussitôt,  malaise : j’avais la conscience aiguë d’une mise en scène, d’un étalage assorti de louanges convenues –le héros ou l’héroïne de la cérémonie est toujours, n’est-ce- pas, un être sans défaut, bourré de toutes les  qualités, bref une manière de surhomme, ou de superwoman. 

Malaise aussitôt suivi d’un autre sentiment, diffus, que j’ai mis quelques secondes  à préciser et à analyser. Cela sonnait comme un point d’orgue, une sorte d’épitaphe avant la lettre : tout était donc derrière moi ? Tout était donc dit, écrit, alors qu’il restait, au contraire, tant à dire, tant à écrire ? Tant à faire, tant à changer ?  Je me sentais encore pleinement vivante ! D’une vie qui, loin d’être immobilisée en destin, pour paraphraser le mot célèbre d’André Malraux,  était toujours vibrante, tendue comme la corde d’un violon vers un avenir en pleine construction…

Me voici donc conviée à prendre à mon tour la parole. Et mon discours  sera pour moi l’occasion de m’arrêter un instant,  de jeter par-dessus mon épaule un coup d’œil rétrospectif, afin de faire le point, de prendre la mesure du temps passé, du trajet parcouru, des accomplissements et des échecs, peut-être aussi d’ infléchir les directions, d’ajuster les trajectoires…

1)  Mes ancrages

Mes ancrages sont multiples.

* Je suis femme et juive. 

Affirmation qui pourrait faire sourire, tant elle semble relever d’une lapalissade, mais qui signale une identification double, paradoxale et parfois inconfortable. 

Car juive, je dois me situer et me définir au sein d’un monde laïc, édifié sur des fondations chrétiennes, dont je sais, par mon histoire collective et personnelle et par toutes les fibres de ma mémoire et de mon corps, qu’il n’a pas toujours été  ni amical ni favorable au peuple juif, et c’est un euphémisme ; mais un monde auquel j’appartiens, par ma culture, ma langue, ma sensibilité, ma conception du monde. 

Femme, je dois me situer et me définir au sein d’un monde juif qui reste, essentiellement, un monde d’hommes, au sein duquel la parole des femmes, en tout cas la parole publique, reste minoritaire et incongrue ; mais à ce monde juif, même majoritairement masculin, j’appartiens également, de façon pleine et entière et directe, et active, et même réactive. C’est dire que je suis souvent amenée à jouer le rôle de trouble-fête et d’empêcheuse de ronronner dans l’autosatisfaction et l’évidence.

* Je suis une Juive d’Alsace. Mes parents, mes grands-parents, mes aïeux étaient de ces Juifs des villages, de ces « dorefyoude »,  dont parle avec tendresse Freddy Raphaël. De ces Juifs qui, présents en Alsace depuis l’époque romaine, avaient, au long des siècles, contre vents et marées, navigué à vue entre persécutions et expulsions, d’un havre à l’autre, d’accueils en bûchers, et avaient édifié à Bouxwiller, à Rosheim, à Kolbsheim, à Lauterbourg, à travers toute l’Alsace, des communautés vivantes, joyeuses et graves,  où ils assuraient, dans la vigilance et l’espérance,  la transmission de leur tradition vivante et  de leur identité, où  ils célébraient les chabbat et les fêtes, dans un équilibre souvent fragile, parfois plus heureux, avec leurs voisins non-juifs. Ballotés comme eux entre France et Allemagne, partageant avec eux les pains azymes de la Pâque, associés à  leurs  joies et leurs peines, célébrant avec eux les naissances, les mariages, les enterrements, supportant avec eux les privations et les souffrances de la Grande Guerre, s’entraidant, s’acceptant, se comprenant , se parlant. Bien sûr, les saillies antisémites, les petites jalousies aigres, les méchancetés et l’exclusion y avaient, aussi, leur place. La réalité, comme toute chose humaine, est complexe, teinte des changeantes   nuances de gris plutôt qu’abruptement découpée en noir et blanc, et je n’ai nul dessein de nourrir avec nostalgie le mythe d’un pseudo- vivre ensemble perdu et fantasmé. « Vivre et laisser vivre », aime encore à rappeler Freddy Raphaël, était la devise de ces Juifs, fidèles à une pratique souriante et indulgente, sur laquelle les rigidités du rigorisme n’avaient pas prise. 

* Femme et Juive,  Juive d’Alsace, je suis, aussi, citoyenne française. De tradition. De conviction.  De culture. De langue. Et c’est là mon troisième ancrage. Après l’incommensurable traumatisme de  la Shoa, alors que les Juifs, selon la grave et juste  formulation de Dominique Schnapper, avaient entériné  que le mariage d’amour avec la France était désormais un mariage de raison, toute une génération de Juifs réinvestissaient avec  curiosité, passion, intelligence les champs du savoir juif et confrontaient ce savoir, qu’ils redécouvraient avec éblouissement, aux diverses branches des sciences humaines. J’ai grandi au lycée et au Talmud Tora. L’école a été pour moi le lieu et le terreau de la liberté. La fenêtre grande ouverte sur un ailleurs. L’invitation, enivrante, à regarder au-delà des murs, à m’aventurer « dehors »,  à explorer  d’autres temps et d’autres lieux, à m’ouvrir à d’autres savoirs, à considérer et examiner d’autres credo, d’autres pensées, d’autres idées. Cet élargissement des perspectives, voulu, offert par mes parents et par des maîtres éminents, comme le Grand-Rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, Max Warschawski, reposait sur le pari d’une conjugaison possible, voulue et heureuse entre des ancrages différents, certes, mais non antagonistes. Il s’agissait  de rechercher, au contraire, leurs points de convergence, de mettre au jour l’accord secret qui les reliait et d’expérimenter leur richesse et leur fécondité. Double culture, double appartenance, double ancrage, parfois défigurés par certains esprits malveillants  sous l’appellation  caricaturale, grosse de méfiance et de menaces, de double allégeance…Ancrage multiple, donc, à penser et construire sur le constat des ressemblances, sur  le désir de jeter des passerelles, sur l’idée que les différences, pour nécessaires et structurantes qu’elles soient,  ne sont pas, cependant, le tout de l’humaine condition. Cette dernière  se décline et s’exprime, d’abord, sur le mode et le modèle du particularisme, qui donne à voir   les différences,  un particularisme respectable et bénéfique, je le dis très fort, un particularisme sur lequel on a parfois, au nom d’un universalisme autoritariste et mal compris, jeté le soupçon et que, trop longtemps, on a  cherché à effacer au profit de modèles centralisateurs et uniformisateurs. Cependant, ce particularisme bienvenu, loin de constituer le nec plus ultra de notre identité,  masque ou révèle l’universalisme qui le sous-tend, un universalisme qui  fonde l’unité de l’humanité, sa capacité à édifier, par-dessus  les différences, les ponts qui nous aideront à nous rencontrer, et à construire, peut-être, les conditions de la curiosité bienveillante, de la confiance et de la paix. 

Emportée par mon élan, et par cette lueur d’espérance qui clignote à l’horizon, voilà que je me laisse aller à ce qui ressemblerait à une profession de foi. Et c’en est une, en vérité, que je me plais à proclamer en ce lendemain de 14 juillet : foi profonde dans les idéaux de liberté, d’égalité, de laïcité, professées par les auteurs fondateurs du Siècle des Lumières et leurs disciples, foi dans ces principes de vie sur lesquels  d’aucuns, aujourd’hui, entraînés dans le courant impétueux d’une certaine post-modernité de bon ton, jettent le soupçon,  qu’ils voudraient remettre en question et réduire à n’être que le reflet étriqué et contestable d’une  société particulière et relative. 

J’ai fait miens, quant à moi, ces postulats. Je me battrai, bec et ongles, pour maintenir vivantes et efficientes les valeurs de liberté, d’égalité, de laïcité. Je me battrai bec et ongles pour éviter que, engourdis par l’habitude, par une trompeuse sécurité, par l’illusion  confortable que nous avons une fois pour toutes triomphé des obscurantismes, que nous avons, une fois pour toutes franchi le gué et gagné l’autre rive, pour éviter, disais-je, que nous ne cédions à la tentation de baisser la garde, de laisser entrer, sous le masque rassurant du droit à la différence, les loups voraces dans une bergerie pacifiée et naïve, et, comme le chien de la fable,  de consentir à échanger, sans même un soupir de regret, nos idéaux de liberté et d’égalité contre la niche du confort et du conformisme. 

* Ces ancrages, l’ancrage juif, l’ancrage français, j’ai cherché inlassablement, passionnément, à les solliciter ensemble, à les mettre en regard, à les éclairer l’un par l’autre, à confronter leurs réponses. Car nos interrogations, nos quêtes, nos tâtonnements, nos incertitudes et nos espoirs sont les mêmes, ils traversent les frontières de nos identités. Je me suis efforcée de mettre au jour ce qui les reliait, ce qui les différenciait aussi, bien sûr. Et de tirer, de ces similitudes et des ces divergences, des leçons de vie, de sagesse, de bienveillance, de respect. J’ai cultivé la langue  française et la langue hébraïque. Les textes de l’une et les textes de l’autre.  Je les ai, toutes les deux, travaillées, explorées,  forées, retournées.  Je les habite toutes deux. J’ai, suivant les leçons de mes maîtres en judaïsme, de mes maîtres en littérature, constamment questionné plutôt qu’affirmé, cherché plutôt que proclamé, cheminé plutôt que m’arrêter. J’ai accepté l’inconfort de l’entre-deux, l’insécurité des questions sans réponses, le nécessaire  « patience et longueur de temps » cher à La Fontaine,  le « peut-être » d’André Neher. 

Et dans cet effort incessant pour jeter des ponts,  relier les différentes facettes qui me constituent et faire dialoguer  le savoir juif et le savoir occidental, j’ai découvert tout d’abord la complémentarité entre mes deux ancrages, leur accord secret. Ce fut, pour moi, un éblouissement ! Les valeurs  juives essentielles, largement endossées et diffusées par le christianisme, sont au fondement même de la civilisation  française, européenne  et occidentale.  J’ai découvert aussi  que ni la liberté, ni la fraternité n’étaient donnés, qu’au commencement, il y a la servitude et la violence, que l’humanisation de l’homme s’enracine dans l’effort de dépasser cette servitude et cette violence originelles pour s’en libérer et asseoir peu à peu, dans la lenteur consentie, le socle d’une société libre et fraternelle.

* Je me  reconnais, faut-il le dire encore,  dans cette rencontre intellectuelle entre la pensée juive et la pensée française et européenne, dont le heurt produit des étincelles de sens et d’être inouïs…Oui, j’appartiens  à deux univers, oui je revendique haut et fort, à l’instar du Grand-Rabbin Kaplan et de Romain Gary, répondant en 1970 à l’accusation de double allégeance dans Le Monde, je revendique   une double fidélité ! La double allégeance, culturelle, intellectuelle est source de lumière. Les sociétés repliées sur elles-mêmes, celles qui par crainte, par conformisme, ferment portes et fenêtres et se barricadent dans une identité unique et exclusive, se condamnent au dessèchement et à la sclérose.

2)  Mes combats

C’est sur ces fondamentaux, ces « essentiels »,  que j’ai assis ma vie tout entière. 

* Mariée – avec un Sefarad, un Juif venu d’ailleurs -, mère de famille nombreuse, j’ai été subtilement sommée  de « choisir » entre deux trajectoires, que d’aucuns, jadis comme aujourd’hui, prétendaient exclusives l’une de l’autre : jadis, nous admonestaient certains, une femme devait, avant tout, et exclusivement, se vouer, à son foyer. Aujourd’hui, nous bassinent les féministes et les progressistes, fonder une famille, avoir des enfants est un anachronisme, le vestige d’un passé révolu ; il s’agirait essentiellement de s’épanouir, d’accepter son désir profond, de ne pas l’entraver au nom de concepts marqués par une idéologie dépassée.  Refusant de me laisser assigner, à une identité, un statut, une posture, j’ai revendiqué de  concilier vie de famille et travail.

* J’ai été, je suis, enseignante, dans l’âme. Je me dis souvent que je n’aurais rien su, ni voulu, faire d’autre. Enseigner : un métier-passion ! Dans lequel j’ai mis toute ma volonté, toute ma conviction, toutes mes forces, à tenir ensemble, là aussi, les deux bouts de la corde : d’une part, essentiels, la bienveillance, l’écoute, le respect, le dialogue,   l’attention aux élèves, la prise en compte des difficultés de chacun ; d’autre part, et non moins essentiels, le souci de la transmission des savoirs, l’exigence, la rigueur,  le refus de tomber dans le laxisme mou et, somme toute, sans intérêt, du ludique à tout prix, le refus de me soumettre aux interdits en vigueur – donner  des devoirs, faire apprendre par cœur, noter le travail. Sceptique, pour ne pas dire critique, face à la promotion vague et sans colonne vertébrale d’un fourre-tout pseudo-éducatif et pseudo-pédagogique, qui me semblait caractérisé par l’absence de repères, l’occultation de la hiérarchie entre le maître et l’élève, une hiérarchie pourtant nécessaire parce que structurante, formatrice,  j’ai vite pris mes distances  par rapport aux pratiques et aux consignes en vigueur. Quand, autour de moi, on campait sur le « point de contrainte », j’ai osé « forcer » mes élèves à lire, en d’autres termes, à sortir des sentiers rebattus de leur routine pour, à travers la découverte du plaisir du texte, s’essayer à de l’inédit, de la rencontre, de l’évasion. J’ai initié mes élèves à la pratique théâtrale, j’ai, choisissant délibérément de les  hisser vers le haut,  monté avec de « mauvaises » classes, « Le bourgeois gentilhomme », contrevenant ainsi, ô sacrilège, à la doxa selon laquelle la littérature classique était inadaptée aux élèves d’aujourd’hui. J’ai aidé des collégiens à obtenir l’autorisation en principe impossible, de s’inscrire à la fois en latin et en  grec, élitisme anachronique, diraient certains.  J’ai dialogué avec des élèves qui avaient honte  de leur origine étrangère, en leur montrant quelle  richesse leur offraient   leur  double culture et leur bilinguisme, leur point de vue démultiplié sur le réel.

*  J’ai été, je suis, active à la fois au sein de la communauté juive et au sein de  la cité. 

Et le moteur premier de ce double engagement, le refus de l’injustice, est aussi vieux que moi. Sans doute m’est-il venu de mon père. Et le refus de l’injustice, c’est en premier lieu le refus de celle qui régit, d’une extrémité de la terre à l’autre, depuis la nuit des temps et depuis le fin fond de la conscience masculine,  les relations entre les hommes et les femmes. Cette injustice-là est universelle, elle a prévalu dans toutes les civilisations, des plus frustes aux plus brillantes. Partout la parole et le pouvoir ont été confisqués de facto par les hommes au détriment des femmes, que ce soit à Athènes, où ces géants de la  philosophie que sont Platon et Aristote, on ne le sait pas assez, ont jeté les fondements de la misogynie ordinaire en vigueur dans le monde occidental jusqu’au 20ème siècle, que ce soit à Rome, où le pouvoir absolu du paterfamilias a servi de modèle pour les codes de lois modernes, que ce soit dans l’Occident chrétien dominé durant des siècles par la pensée d’Aristote et par le péché originel imputé à Eve ou en Orient où l’Islam a lui aussi posé comme un postulat la soumission des femmes. La pensée juive du Moyen Age n’a pas échappé à la contamination dans ce domaine.

Me reviennent à cet instant, pêle-mêle, comme à vous très certainement, chers amis, les noms de Molière, d’Olympe de Gouges, de Rousseau, de Simone de Beauvoir, d’Elizabeth Badinter, de Louise Weiss et de tant d’autres, comme autant de témoins à charge contre la condition faite aux femmes dans l’Occident des quatre derniers siècles. Me reviennent aussi, en contrepoint, les noms de ces héroïnes bibliques ou talmudiques qui constituent le socle solide et réconfortant de la lutte contre l’injustice masculine : les matriarches bien sûr, ou Débora, juge et prophétesse, mais aussi, moins connues,  les filles de Tselofrad, qui obtiennent, en faveur des femmes, un amendement de la loi de l’héritage et qui, à en croire l’enseignement du Midrach, mettent en cause la justice masculine, où, disent-elles,  s’exprime la connivence entre hommes, alors que la justice divine est égale pour tous, hommes et femmes. Je ne m’étendrai pas sur ces femmes d’exception qui, au temps du Talmud comme à l’époque moderne, s’insurgèrent contre l’humiliation dont elles se sentaient les victimes ; je ne résisterai pas cependant au plaisir de citer une femme éminente du 19ème siècle, Reyna Batia, l’épouse de Rabbi Yehouda Tsvi Berlin, plus connu sous le nom de Natsiv, qui se plaint amèrement d’avoir à répondre « Amen » à la bénédiction « chelo assani icha », si humiliante à ses yeux, dans laquelle les hommes, tous les matins, remercient Dieu de ne pas les avoir faits femmes. 

C’est mue par cette revendication de justice que j’ai, en 2006, aidée par mes complices, lutté toute une année pour obtenir l’éligibilité des femmes au Consistoire. Lutte au terme de laquelle,  élue dès le premier tour, j’ai exercé la fonction de vice-présidente.  Aujourd’hui, personne ne songe plus à remettre en question ni la présence ni l’implication des femmes ; elles constituent un droit qui va de soi et une avancée dont tous se félicitent, 

C’est aussi le même refus obstiné de l’injustice qui me commande de dénoncer inlassablement, dans des articles, par des interventions personnelles,  le scandale que constitue une pratique de plus en plus courante : certains maris, pourtant séparés de leur femme, et même parfois divorcés civilement, refusent cependant de lui délivrer le guett, l’acte de divorce religieux, sans lequel elles sont dans l’impossibilité de refaire leur vie ; d’autres, ou les mêmes, monnayent le guett, exerçant à l’encontre de leur épouse un infâme chantage financier et exploitant le pouvoir exorbitant dont ils pensent  être les détenteurs.

* J’ai été, je suis, une actrice ardente et déterminée du dialogue et de l’échange. 

Un  dialogue que  je vis et que je défends en particulier dans le cadre de deux associations : l’Amitié judéo-chrétienne d’une part, Pour une communauté plurielle, d’autre part. 

– Je ne ferai que mentionner rapidement la création en 2020 du collectif Pour une Communauté Plurielle, devenu aujourd’hui une association juive en bonne et due forme, dont les objectifs, reconnaissance et promotion du pluralisme de la communauté juive, promotion du dialogue, de la transversalité des connaissances et du débat respectueux, se révèlent aujourd’hui plus pressants et impérieux que jamais. 

Car le dialogue , même à l’intérieur de la communauté juive, ne va pas toujours  de soi. Il est un effort, une discipline, une lutte incessante contre la tendance, présente en chacun de nous, à préférer la routine de ce qui ne pose pas problème,  le confort rassurant et reposant de l’entre soi, le contact avec le même. C’est que l’ouverture à l’autre différent, par ses convictions, sa conception de la vie, son positionnement politique, nous expose à un risque, celui de voir nos repères, le bien-fondé de nos positions  remis en cause, celui d’être amenés à quitter les murs stables de nos certitudes et à entrer dans l’espace inconfortable du questionnement. Elle nous permet aussi, à la lumière de la confrontation, de  réévaluer nos choix, de les étayer par des arguments plus solides, de mieux savoir qui nous sommes, condition sine qua non pour entrer dans la parole avec autrui.

– L’AJC, quant à elle,  a été créée et présidée par le  Professeur Lazare Landau. C’est sur sa demande  insistante que   j’ai accepté de lui succéder.

Catholiques, protestants, Juifs, nous nous réunissons. Nous nous rencontrons.  Nous nous parlons.  Evidence, me direz-vous ? Rien n’est moins sûr. Etablir un dialogue ne va pas de soi. Il n’est pas « naturel » de se parler, et encore moins quand tant de choses vous séparent : l’histoire d’abord,  son poids écrasant  de persécutions et de massacres quasiment ininterrompus,  son poids  de contentieux théologiques qui, au fil de la résistance des juifs  et de l’exaspération des chrétiens,   se sont pétrifiés en proclamation intransigeante  de la vérité exclusive du christianisme. Au cours du temps et de la pratique humble et bienveillante de cet exercice difficile, nous avons appris, les uns et les autres à apprivoiser nos craintes, à pratiquer un dialogue authentique, à savoir, alternativement,  parler juste et vrai puis  nous taire pour écouter,  à résister à la tentation de céder au découragement, ou de nous placer en surplomb. 

Ce dialogue, qui nous forme au  respect des différences, nous fait aussi prendre une conscience claire de ce qui nous rassemble, des similitudes qui nous permettent de nous parler, car pour se parler, il faut avoir un minimum de  langage commun…

Ces similitudes, quelles sont-elles ? Notons, en vrac, le postulat  de l’égalité entre les êtres humains, inscrit dans l’affirmation, si mal comprise et si souvent moquée,  que ces derniers sont tous, au-delà et à travers leurs différences,  porteurs de l’image divine, c’est-à-dire égaux ; notons aussi cet autre postulat,  gravement déformé à travers les traductions peu fidèles du texte biblique, de l’égalité fondamentale entre  les hommes et les femmes, qui représentent les deux côtés de l’humain…  

Ces échanges ont construit, au fil du temps, au fil d’un travail régulier et patient, un climat convivial et chaleureux, une écoute, un respect, une amitié, enfin, d’une rare qualité. Et un authentique dialogue où nous avons  peu à peu appris à passer de la méfiance à la confiance, de la prudence à la franchise, de la réserve à la parole, un dialogue où les différences et les points de contentieux, loin d’être occultés ou dissimulés derrière des formules politiquement correctes et faussement polies, étaient reconnus et acceptés, un dialogue qui renforce, en fin de compte,  chacun des partenaires dans sa foi ou sa fidélité.

3)  Aujourd’hui

Et aujourd’hui ?

Si j’avais pu m’arrêter là, dans cette « techouva », ce retour sur moi-même, j’aurais été comblée : un bilan somme toute acceptable, un parcours dans lequel je me reconnais, des choix qui sont, aujourd’hui comme hier, pertinents à mes yeux, des combats incessants et souvent difficiles, que, de tout cœur, je voudrais continuer à mener…

Mais…Mais en un jour, en un instant, le monde a, brutalement, basculé.  

7 octobre 2023. Massacre. Irruption terrifiante d’un pogrome. D’un pogrome en Israël, terre de refuge, s’il en est, pour les rescapés juifs revenus de l’Enfer, D’un pogrome aux dimensions réelles et symboliques effroyables. Et aux conséquences tout aussi effroyables d’un bout de la planète à l’autre : dès le lendemain, la « contextualisation », la minimisation, l’inversion accusatoire, le négationnisme, l’antisémitisme sifflent. Le Hamas proclame son intention de réitérer le 7 octobre et d’éradiquer l’Etat juif au profit d’un Etat palestinien du fleuve à la mer. Puis la guerre à Gaza, terrible comme toute guerre, meurtrière comme toute guerre,  achève de retourner l’opinion internationale : les sionistes, et derrière eux, les Juifs, sont devenus les bourreaux maudits du peuple palestinien. 

Aujourd’hui, en France, il ne fait pas bon être juif. L’antisémitisme bat son plein, se propage comme un incendie, fait exploser les chiffres. La question palestinienne a envahi les campus universitaires, cheval de Troie d’un antisémitisme primaire, qui ne prend plus la peine de se travestir en antisionisme. La Palestine est devenue un enjeu des élections européennes, puis des élections législatives, la guerre à Gaza un thème de propagande  électorale. Les tags, les graffiti, les banderoles, les slogans anti-juifs prospèrent. Le désarroi, l’inquiétude et l’incertitude quant à l’avenir sont devenus le pain quotidien des Juifs. 

Alors, que faire ? Comment contrer cette vague puissante, qui déferle, irrésistible, semble-t-il, qui menace d’emporter sur son passage tous nos acquis civilisationnels, lentement,  patiemment conquis sur les obscurantismes en tous genres ? 

Continuer. Faire face. Parler. Expliquer. Poursuivre, inlassablement, le dialogue. Choisir la parole contre la violence. La raison contre la passion. L’argumentation contre l’émotion. La nuance contre la simplification.  La recherche de la vérité  contre les falsifications et les mensonges. En un mot,  les lumières contre l’obscurantisme.

Il est temps à présent de clore ce trop long discours. 

Je voudrais, pour finir, m’adresser à nos enfants, ceux qui sont présents ce soir, Ariel, Yaël et Alain, Tanya et Prosper, Sarah et ceux qui  n’ont pas pu se déplacer, Judith et Itshaq, Esther, Noémie et Nathaniel, Emmanuel. Je voudrais leur dire, reprenant à ma manière un enseignement midrachique, que ce sont eux qui m’ont construite, par leur présence, leur confiance, leurs exigences, leurs attentes, leurs révoltes, leur amour. Je voudrais leur dire aussi, à tous et à chacun, combien nous sommes fiers d’eux, leur père et moi, fiers de leur fidélité, de leur solidité, de leurs engagements, des choix qui sont les leurs et qui constituent pour chacun d’eux, différemment mais avec force, le fil d’or et la voie royale qui charpentent leur vie. 

Je voudrais dire à nos petits-enfants de Paris, de Jérusalem, de New York, que je pense à eux, et que je les associe à ma joie ; à ceux qui sont présents ici, Bithia, Ilan, Yoël,  Tsofia, Sarah, Gavriel, Liorah, Oren, Daniel,  et Charone, triste de n’avoir  pu se libérer, combien je suis heureuse de les avoir à mes côtés ; à tous je souhaite de garder le cap d’un judaïsme vivant, exigeant, courageux et ouvert. 

Enfin, a’haron a’haron ‘haviv, je m’adresse à mon mari. C’est un lieu commun de dire que je n’aurais rien pu faire sans lui, sans son soutien et son érudition, sans sa présence et son écoute, sans sa patience et son indulgence : il a accepté mes engagements, mes soucis, mes interrogations, mes combats ; il a porté avec moi le poids des luttes et parfois l’amertume  des lâchetés. Pour tout cela et pour tant d’autres choses, je lui dis : merci.

Merci à vous tous, chers amis,  qui avez eu la patience de m’écouter, merci pour votre présence, votre amitié, votre gentillesse”.

Janine Elkouby, le 15 juillet 2024

Merci à Eliane Klein qui nous a fait parvenir ce discours, “Histoire d’une partie du peuple juif”

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1 Comment

  1. Pour anesthésier les Juifs, on leur fait le coup éculé du “corbeau et du renard” et des sots s’empressent de plonger la tête la première dans cet égotrip. Du tminik comme on dit. Comme si la légion d’horreur allait les sauver de l’abime de la haine d’Israel.

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