Violence : « Non, LFI n’est pas un parti comme les autres ». Par Élisabeth Geffroy

Le député LFI Aymeric Caron lors d’une manifestation propalestinienne, devant Sciences Po, à Paris, le 26 avril 2024
DIMITAR DILKOFF / AFP

TRIBUNE – En refusant d’exclure la violence du champ politique, les Insoumis se sont placés en marge de notre espace démocratique, estime la normalienne et agrégée de philosophie Élisabeth Geffroy.

Dans un même mot, ce sont plusieurs réalités qui peuvent se bousculer. Ainsi, la violence couvre autant l’intimidation que la torture, l’agressivité que le viol ou la mutilation, l’insulte que la barbarie ou le meurtre sauvage. Et face à ces différents visages de la violence, chacun distingue et hiérarchise, chacun opère naturellement une gradation entre ce qui est objet de notre réprobation et ce qui nous horrifie au plus haut point. L’intimidation n’est pas l’agression, l’injure n’est pas l’assassinat féroce, un rapport de force défavorable n’est pas la pratique de l’esclavage. Mais il est un point commun à ces violences très diverses : elles ont été exclues de l’espace politique bâti par nos démocraties. Notre vision et notre édifice politiques reposent sur cette idée admise que la violence engendre la violence, charriant plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions, et qu’en politique la parole vaut action, que le maniement des mots vient rendre caduc le recours à la violence, que le débat public a remplacé l’usage de la force brute.

À quoi bon rappeler ces évidences ? Peut-être justement parce qu’elles perdent leur caractère d’évidence et nous rassemblent de moins en moins. Tout cet édifice est en train de se fissurer depuis quelques semaines – ou quelques mois. Une porte a été ouverte. Un espace de pensée s’est créé, qui réhabilite la violence et entend lui redonner droit de cité dans le champ politique. Pire, qui accorde une place et des lettres de noblesse même à la violence la plus extrême, la plus atroce : par exemple, celle qui a déferlé avec les commandos du Hamas le 7 octobre dernier, bourreaux exposant joyeusement leurs massacres, leurs abjections, leurs infanticides, bourreaux que certains n’ont pas réussi à qualifier de «terroristes», bourreaux à qui ils ont osé octroyer le beau titre de «résistants», bourreaux qui attirent sur eux toute leur puissance de compassion. Une brèche a été creusée, en rupture totale avec nos pratiques politiques et nos principes communément partagés.

Et elle l’a été par la France insoumise, par le NPA, par des formations tenant le haut du pavé au sein du Nouveau Front populaire. On n’imagine à l’heure actuelle aucun autre groupe politique ouvrir une telle porte, ou se rendre coupable de semblable compromission avec un tel degré de violence. Cela fait d’eux une exception, une étrangeté, un danger au sein de notre vie publique, un parti à nul autre pareil. Pourquoi alors ne l’entend-on pas plus aujourd’hui ? Comment des alliances ont-elles pu se nouer, comment toute une campagne a-t-elle pu suivre son cours, sans que ce parti soit davantage montré pour ce qu’il est : une entité qui sape les règles tacites structurant notre espace politique ?

D’autant que la rupture est consommée depuis peu, mais la pente était dessinée depuis longtemps. Les mêmes ont fait de la mise en scène de la violence une communication politique ordinaire (tel député se fait prendre en photo la tête d’un ministre roulant sous son pied), et des pires mots des formules acceptables à opposer à des adversaires («mangez vos morts»). Ils ne semblent d’ailleurs pas rougir de honte quand des rappeurs grossiers, misogynes, complotistes, menaçants, représentent leurs couleurs. Les mêmes ont coutume de disculper tout acte commis à l’encontre de forces de l’ordre – quand ils ne se réjouissent pas devant les images d’un CRS en feu. Les mêmes ont absous et excusé d’avance les «émeutiers» de juin 2023 qui ont brûlé, pillé, blessé. La liste est longue.

Mais comment s’en étonner ? Car les racines de ce mal, de cette complicité inouïe avec la violence, sont profondes mais faciles à déterrer. Il ne s’agit hélas pas d’un simple égarement accidentel, ou d’une démission éphémère de la pensée qui refuse son travail ordinaire de discernement, de distinction, de jugement presque instinctif face au déploiement de la violence. Non. Les insoumis ne se contentent pas de comprendre sans justifier : ils volent au secours des violents et leur apportent sur un plateau des légitimations politiques, ils leur offrent des armes rhétoriques. Ils déroulent une logique implacable qui se traduit en pratique, ils construisent un système de pensée bien structuré qui accouche d’actes et de positionnements politiques. Ils recourent notamment à deux logiques, qui sont de proches cousines.

La première est la logique révolutionnaire. Congédiant la vieille maxime chrétienne selon laquelle la fin ne justifie pas les moyens, les révolutionnaires considèrent que la violence est chose permise. Mieux : elle est un moyen légitime car nécessaire – nécessaire au renversement d’un ordre social injuste au profit d’un monde plus égalitaire. Elle est ce moment transitoire qui fait accoucher l’histoire. La rengaine est connue. Engels entendait procéder «à l’aide de baïonnettes, de fusils, de canons» et de «la terreur». Dans Les mains sales, Hoederer, le héros de Sartre, s’écrie : «Ce n’est pas en refusant de mentir que nous abolirons le mensonge : c’est en usant de tous les moyens pour supprimer les classes. Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces». Les insoumis – qui ne rechignent pas à citer Robespierre ou Lénine – ne nous ont pas habitués à des scrupules tels qu’ils se priveraient de ce parti pris d’une violence aussi peu refoulée.

La seconde est la logique woke, fruit d’un détournement marxiste, qui a divisé le monde en deux camps : les oppresseurs – au fond, toujours coupables – et les opprimés – au fond, toujours victimes innocentes. Tel criminel violent n’est pas d’abord un bourreau, il est d’abord une victime qui se révolte contre ce qui l’a dominé ou accablé – avec les moyens peu nobles qui sont à la portée des damnés de la terre. Le tour de passe-passe est désormais notoire : après avoir divisé l’humanité en deux camps adverses, on peut toujours, en présence d’une violence commise, lui opposer une autre violence («systémique», «sociale», «symbolique») qui serait la véritable cause explicative. Les assassins du Hamas ont torturé, violé, tué des centaines de civils israéliens pacifiques ? Certes, mais Gaza était une prison à ciel ouvert. Mais Israël les avait cantonnés à un sort guère enviable. Mais ils manquaient d’horizon politique digne de ce nom. Mais, mais, mais…Tel individu a brûlé une école ? Mais ce n’était qu’un bâtiment, et puis il affrontait des discriminations raciales et une violence sociale tous les jours de sa vie.

Au lieu de rejeter en bloc la violence, ils trouvent toujours une violence systémique à mettre en face, une violence symbolique qu’on puisse pointer du doigt pour relativiser, tolérer, excuser la violence véritable, tangible, physique, qui, en quelques secondes, a détruit la vie d’autrui. Bertolt Brecht, référence admirée par ces esprits, écrivait : «On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent». Voilà ce que les Insoumis rétorquent aux victimes avérées : comment osez-vous récriminer contre les flots furieux qui ont emporté votre maison ? Prenez en pitié ces eaux qui ont su se révolter contre leur triste sort et secouer le joug des rives tyranniques. Nous étions partis du constat banal que des gradations existent au sein de la violence, et que ces diverses réalités ne pouvaient être mises sur le même plan ou même comparées : c’est cette évidence que nie désormais la France insoumise. Ils se sont attaqués à notre sens commun le plus élémentaire. Les laisserons-nous triompher ? Les laisserons-nous imposer leur logique et leurs pratiques délétères ?

En ayant définitivement et systématiquement adopté cette façon de penser les événements et de regarder les hommes, les insoumis, non contents d’avoir théorisé la légitimité de la violence, se sont engagés résolument sur cette pente. Et de pente il s’agit bien : car ils ne sont pas arrimés à un point fixe, à un repère stable, à une borne qu’ils s’interdiraient de franchir, non, ils poursuivent une dynamique bien identifiable, ils dévalent une pente. On le voit bien en cette période d’accélération de la vie politique quand ils repoussent toujours un peu plus les frontières de ce qu’il est possible de défendre. D’abord on refuse de désigner le Hamas par le seul titre qu’il mérite – terroriste –, puis on juge l’antisémitisme résiduel, puis on réfute l’appartenance des «sionistes» à la même espèce humaine, puis on opère une distinction entre antisémitisme «conjoncturel» et antisémitisme «structurel», puis on répand des calomnies infondées pour déshumaniser l’ennemi (le viol de prisonniers palestiniens par des chiens des services israéliens).

Tous les cycles de violence ont pu débuter par l’aplomb de ceux qui ont préparé les esprits et légitimé la violence. Les Jacobins ont répété à l’envi que les massacres de septembre 1792 étaient nécessaires pour que les forces vives de la nation aillent au front sans laisser derrière elles des renégats susceptibles de les trahir : ils ont convaincu certains qu’il ne convenait pas de les dénoncer trop durement. Quelques mois plus tard, la Terreur grondait et se déversait sur le pays. Assénez sans vous lasser que les massacres du 7 octobre étaient un acte de résistance, et, à ce titre, compréhensibles, vous finirez par atténuer le crime. Et ouvrir la porte à la violence, aux pires violences, à l’intérieur du champ politique. Qui peut alors savoir si l’on saura tempérer ou contenir le déploiement de la violence ? Les premiers instants sont ceux qui comptent le plus, car il faut contrer son épanchement tant que la violence n’a pas tout emporté. Les premiers instants ? Nous y sommes.‌‌

© Élisabeth Geffroy

Source: Figaro Vox

https://www.lefigaro.fr/vox/politique/violence-n

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3 Comments

  1. Et la macronie et le PS qui lui font la courte echelle et protegent LFI ? C est quoi ? Des collabos ? Des petainistes ? Des cyniques prets a tout pour garder leurs privileges ? Les 3 a la fois ?

  2. En France, l’incitation à la haine et l’apologie de crimes contre l’humanité ou du terrorisme sont de graves délits. La simple application de la loi aboutirait donc à l’inculpation (et la condamnation) de Caron et la plupart de ses amis puis à la dissolution de la FI. Ce mouvement néonazi est donc illégal si l’on se réfère aux lois républicaines héritées des Lumières. Mais la République française est morte et enterrée depuis longtemps : si elle existait encore, le NFP ne pourrait pas exister (sauf illégalement) et la stricte
    application des lois permettrait même de faire le grand ménage dans les institutions françaises, comme cela avait d’ailleurs été le cas à la Libération.

  3. LFI, Ce sont des FACTIEUX, des ANTISEMITES, et Mélenchon devrait être poursuivi pour encouragement à l’insurrection et incitation à la haine. La mollesse du personnel politique et juridique est sidérante.

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