Nidra Poller. Intermezzo Japon 

Paris le 7 juillet  2024 : Porca miseria, le ciel même est ingouvernable. On crame au Brésil, au Vietnam, en Chine, aux USA, au Japon … On voit des records du monde de chaleur partout …  À Paris, c’est un tiers printemps pourri, un tiers maussaderie générale, un tiers été fuyant et pas un seul nuage prêt à se désister pour nous laisser un rayon de soleil. 

17 :45 : D’ici quinze minutes, je vais démarrer la pâte à pain. Sous ce ciel bouché où tout ce qui n’est pas toxique est  tranchant, j’ai besoin de l’authentique et de calme. Je suis bombardée de messages, d’émissions, de YouTubes, de tribunes, de flash infos, d’articles de fond et de podcasts. Les analyses se mélangent et rajoutent à la confusion. Je marche tête baissée pour ne pas voir les magasins barricadés et salopés de graffiti haineux. La présence policière, déjà lourde, présage une explosion de sacrée colère.  Bad losers.

Du calme. Il me faut de la musique. Le chant d’oiseaux. Des fleurs et de la jeunesse.

J’ai traversé l’Esplanade de la Comédie d’une ville méridionale, accompagnée des notes soprano des perruches en fête. Dans un petit jardin public de mon quartier, j’ai eu une conversation délicieuse avec trois fillettes. Nous avons tissé ensemble une complicité féminine à la française, inimitable. Il y a un an je me suis promis d’abandonner le domaine de la géopolitique pour me consacrer à la rédaction du livre surgi du fond de mon cœur : Tendresse : libre d’être femme.

Puis le 7 octobre  a fracassé le réel, nous jetant dans les eaux noires de l’absolu de la haine. Et je dois y mettre de la parole. Impossible de m’en détourner.

Pour tenir debout, j’ai besoin de beauté, d’harmonie, d’équilibre, de chants d’oiseaux.

LE JAPON SE POSE SUR UNE BRANCHE DU MARAIS

C’est un grand pop-up à l’angle des rues de Turenne et du Parc Royal, le plus souvent vulgairement approvisionné. Ce jour-là, un texte inscrit sur la vitrine nous invite à découvrir le Wakayama Knit Project / des méthodes de tissage ancestrales / LOTUS, le « crown jewel » des cotons / les A-girls présentent…  On franchit la porte. 

C’est le Japon. Un grand assemblage végétal se dresse au centre de la salle principale. Des vêtements confectionnés dans le célèbre coton Lotus se prélassent sur des portants alignés le long des baies vitrées. Nous sommes accueillis par une Japonaise gracieuse parlant couramment le français. Elle est assez grande, pas le format Tokyo, plutôt Kansai ou même le sud. Wakayama est près d’Osaka.

Notre guide nous montre les formes, textures et traitements divers de ce coton soyeux à nul autre pareil. Les vêtements sont en fait du style “jogging”, mais revu et raffiné. Les invités sont harmonieusement disposés en groupes de 4 ou 5, des nihonjin à l’allure parisienne, des professionnels et des amateurs  d’artisanat japonais, chaleureusement accueillis par l’équipe du Wakayama Knit Club.

Photo credit: Jiro Mochizuki

Je respire le Japon : le coton Lotus, les jogging haute couture, les petites grappes de Japonais, leurs gestes, des bribes de conversation, des souvenirs de cette beauté des matières humbles portées à un niveau de perfection et d’élégance dont la simplicité me bouleverse. Notre guide nous explique la technique de brewed proteinTMSpiber. Ce n’est ni animal, ni végétal. 

À partir de déchets agricoles transformés par fermentation microbienne en polymères, des gènes sont synthétisés et introduits dans des micro-organismes qui produisent des protéines. Triées et séchées, ces protéines donnent une poudre qui est transformée en fibres. “Le Brewed ProteinTM se décline en une gamme de produits allant du fil jusqu’au cuir en passant par la fausse fourrure et la polaire”.

Je m’imagine des vers à soie synthétisés.

Sur des portants dans l’arrière-salle, on découvre des pans de tissus d’une grande diversité, soigneusement pliés sur des cintres. Je les apprécie en faisant le geste du tailleur juif. Ils sont agréables aux doigts et à l’œil.

Photo credit: Jiro Mochizuki
Photo credit: Jiro Mochizuki

Une petite jeune femme de Kyoto m’invite à prendre l’apéritif. Tout est propre, ordonné. Ça respire la politesse. Pas de grands bouffeurs plantés devant la table où sont agencés des petits fours salés, délicats, délicieux. Je choisis un saké fruité.  On m’offre un umeboshi, que je passe à Jiro. Les Japonais adorent le suppaii, l’acidulé. Les enfants s’en régalent. 

Dans sa déclaration de foi, Kazuhide Sekyama, co-fondateur et Representative Executive Officer, articule les valeurs humanistes et écologiques de la start-up Spiber, créée en 2007. L’objectif de la nouvelle génération d’industrie basée sur des protéines est d’obtenir la circularité propre à l’écosystème naturel, où tout est recyclé, et de contribuer, par cette innovation technique, au bonheur et à l’épanouissement de tout un chacun pour le bien-être durable de l’humanité. Et Kazuhide Sekyama de conclure : “Le véritable bien-être de tous veut dire rien de moins que la paix globale, un objectif qui semblerait impossible, mais nous avons confiance que l’humanité y arrivera un jour”. 

Ça tombe bien !

19:30 : 1er pétrissage. La pâte est bonne.

20 :00 : estimation des résultats du deuxième tour des législatives anticipées. À quelques dizaines de sièges NFP près, c’est le découpage en trois blocs de poids quasiment égal, que j’avais jugé le moins mauvais (Cris de guerre XVII)/

Reste à trouver les protéines, le processus de fermentation, les polymères, la circularité, le bonheur et l’épanouissement de tout un chacun, la paix.

Le génie japonais 

Une esthétique hors-temps, la dextérité manuelle hors-pair, l’élégance dépouillée, la patience, le discipline, le respect, l’attention au détail, la tradition et l’innovation …

Des chercheurs à l’université de Tokyo ont créé en laboratoire une peau cellulaire composée de collagène et d’élastine qui, étalée sur une structure en 3D, permet à un robot des expressions faciales fluides, voire le sourire !

Oui, papa, mais ils ne font pas de bébés. C’est dramatique ! J’ai mon idée sur le pourquoi et le comment, mais je garde ça pour Tendresse. De toute façon, ce sera trop tard. Et personne ne m’écoutera.  

En conséquence, l’immigration, pour la plupart d’origine asiatique, apporte un élément criminel qui brise la sérénité nippone exemplaire. On vole des récoltes, des chèvres, des statuettes du Bouddha, des bonsaïs précieux, des vélos. 

On n’est pas sortis de l’auberge

8 juillet : Le pain au levain est sorti ce matin du four. Qualité professionnelle. On ne sait pas encore combien de pétrissages il faudra avant d’arriver à un semblant de gouvernement chez nous. Prenons un peu de distance tranquille en immersion dans un onsen chez Nishiyama Onsen Keiunkan, fondé en 705, géré par la même famille pendant 52 générations, certifié le plus vieil hôtel au monde toujours en activité et situé en Yamanashi-ken, la Préfecture où Jiro a grandi. Sa famille s’était échappée de Tokyo sous les bombes. En 1942.

Me rappelant que des époques terrifiantes sont suivies de passages plus doux. Le fait-main et le fait-maison sont mes refuges quand la collectivité est traversée de courants ravageurs. Chaque voix lucide, chaque acteur du monde politique qui reste intègre au cœur de la tourmente, tout ce qu’on peut faire à titre individuel, libre de basses pressions, la beauté qui demeure en-dehors de ces drames, ces forces m’aident à garder intacte ma voix. 

Un penseur Une voix. 

On s’en sortira, Haverim.

Le désespoir n’est pas une option.

Nidra Poller

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