“Mais que va-t-il se passer après?”: Dominique Reynié, les tourments tristes d’un politologue

PORTRAIT – Professeur à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), celui qui analyse la vie publique française depuis des années ne cache pas une forme de désarroi face à la situation politique née après la dissolution du 9 juin.

“Quand on décrit et que l’on essaye de comprendre un sujet d’intérêt qui est devenu un sujet de préoccupation, cela trouble le cœur et pas simplement l’esprit. Cela préoccupe. La politique, c’est un objet passionnant, mais c’est aussi un objet dramatique, grave”.

“Ça trouble le cœur et pas simplement l’esprit…” La formule résume bien les sentiments mêlés qui traversent Dominique Reynié. On rencontre le politologue, dont les Français ont l’habitude d’entendre les analyses dans les médias, dans son petit bureau de la Fondapol, ce think-tank libéral dont il est le directeur général depuis 2008. Et, à quelques jours d’un second tour des législatives dont l’issue a rarement été aussi incertaine, ce professeur à Sciences Po le reconnaît sans peine. Lui qui a coutume d’analyser les ressorts de la politique française depuis plus de trente ans a été bousculé, troublé par la situation politique issue de la dissolution annoncée le 9 juin dernier par Emmanuel Macron. Et, il ne le cache pas, envahi aussi par une sourde inquiétude, une forme de vertige. Comme si l’irrationnel, mais aussi possiblement la violence, s’invitait soudain en majesté dans la vie politique.

Évidemment, celui qui a multiplié les travaux sur le risque populiste en France n’est pas surpris par l’arrivée au premier tour du RN: ce n’est que la suite logique d’une “poussée constante, forte» de l’ancien Front national, qui, entre 2002 et 2022, a gagné 20 points. Non, ce qui le préoccupe, c’est cette espèce de «grand désarroi, cette incompréhension mutuelle”. “On constate non pas un désaccord sur la manière d’atteindre le même but, mais sur le but lui-même, la définition du bien commun. Et c’est un point extrêmement grave qui me fait craindre la suite. En temps normal, la procédure électorale permet de trancher, mais là, pour la première fois, les élections ne vont pas le permettre. Elles vont mener à une impasse. C’est un véritable saut dans le vide. Et c’est très angoissant”.

Dominique Reynié se souviendra longtemps de ce moment où on est venu lui annoncer l’intervention du président de la République, le 9 juin dernier. Il patientait dans un salon à France Télévisions, avant son passage à l’antenne, lorsqu’on est venu lui dire qu’il lui faudrait attendre en raison d’une intervention du chef de l’État et de l’annonce probable d’une dissolution. Il en sourit encore: “J’ai dit avec beaucoup d’assurance “Mais non, il n’y aura pas de dissolution, vous avez mal compris, le président n’a aucun intérêt à le faire!” Et paf! il a annoncé la dissolution.» Une décision qui demeure, près d’un mois plus tard, incompréhensible à ses yeux: «On ne peut pas clarifier ce qui vient d’être clarifié.”

“J’ai toujours le trac”

Quelle que soit l’issue du second tour, cette annonce demeurera sans doute parmi les souvenirs marquants de Dominique Reynié, que rien ne prédisposait à évoluer dans ce monde. Ayant passé son enfance à Rodez, élevé par un père et une mère qui, après avoir été ouvrier mécanicien pour l’un et secrétaire pour l’autre, avaient tous deux “progressé ensemble” en créant une entreprise de plats cuisinés, ayant beaucoup côtoyé le monde paysan, le jeune garçon a envisagé un moment de devenir vétérinaire, puis professeur d’histoire ou de philosophie. Les études, pourtant, au début, ce n’est pas son fort. Il a été en «troisième transition», destiné à se diriger vers un CAP, jusqu’à ce qu’un conseiller d’orientation en décide autrement.

Sciences Po, il décide d’y entrer, après une année d’histoire médiévale, au Mirail, à Toulouse, parce qu’il en a entendu parler un peu par hasard par son beau-frère normalien. “C’est ce que Bourdieu appelle un destin d’exception ; ça ne veut pas dire que j’ai eu un destin exceptionnel, mais que, normalement, ce n’est pas ce qui devait se passer”, sourit-il. Il est reçu au concours et entre donc en “AP” à Sciences Po Paris. “Une maison à laquelle je suis très attaché. Je lui dois tout.” D’ailleurs, Dominique Reynié, qui enseigne depuis qu’il a 23 ans (“C’est une passion, un défi permanent. J’ai toujours le trac quand je vais en cours”), a encore des étoiles dans les yeux quand il évoque ses professeurs de l’époque: René Rémond, Alain Lancelot, Michel Winock, Pierre Milza, Hélène Carrère d’Encausse ou Alfred Grosser. Alors que Sciences Po a été le théâtre de manifestations pour la Palestine organisées, selon lui, par une “minorité s’exprimant selon des modalités vindicatives et spectaculaires” et adepte du “rapport de force dans un monde universitaire où la confrontation des idées devrait être naturelle”, il assure ne pas avoir “le souvenir de pensée dogmatique” à son époque. Quand enseignaient tout autant Raoul Girardet, “qui venait de l’Action française”, que Guy Braibant, spécialiste en droit administratif et membre du Parti communiste…

Sa passion pour la chose publique a commencé à émerger en entendant son père, militant socialiste rocardien et grand lecteur d’essais politiques, en parler. Ses premiers souvenirs politiques? Il cite la guerre du Vietnam (“J’avais 6 ans, j’étais très sensible, j’avais été très malade, hospitalisé dans des conditions dures, et ça me rendait malheureux de voir ces enfants bombardés”) et la mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974. “Cela me semblait être une catastrophe”. D’où peut-être son admiration pour le successeur du général de Gaulle et “cette compréhension absolue qu’il avait de la fragilité des choses et de la probabilité de l’effondrement”.

Qualités pompidoliennes

On le sent bien, comme les Français qui “adorent la politique mais se sentent orphelins, abandonnés”, Dominique Reynié aimerait retrouver chez les dirigeants politiques d’aujourd’hui ces qualités pompidoliennes et cette hauteur de vue. Et il ne comprend pas leur inaction, tant à droite qu’à gauche, pour régler ce qui apparaît, depuis près de trente ans, au premier rang des préoccupations des Français: la sécurité, l’immigration, l’identité. “Il y a eu des phrases, des discours, il y a eu des coups de menton, mais rien ne s’est passé. Or la nature d’une population et la sécurité des biens et des personnes, ce sont des conditions sine qua non du contrat politique. Quand cela ne fonctionne pas, c’est toute la cité qui s’effondre.” De même, il est surpris que la dégradation des comptes publics soit devenue “comme un état naturel”. “Moi, poursuit-il, j’ai toujours été sensible à ça. C’est peut-être ma culture aveyronnaise: on ne peut pas dépenser plus qu’on ne gagne. Ce dérèglement des équilibres des comptes entraîne un dérèglement politique et même moral.”

Parmi les manifestations de ce dérèglement moral, Dominique Reynié pointe l’émergence ces dernières semaines d’un antisémitisme “assumé par une partie de la gauche sans que cela produise de rupture”. “C’est, selon moi, le grand événement de cette élection, un changement historique depuis 1945.” Certes, reconnaît-il, “il y a toujours des gens qui sont très antisémites à l’extrême droite, mais c’est un antisémitisme qui, même s’il peut revenir, a beaucoup reflué, est désormais marginal. La part la plus importante aujourd’hui vient de l’islamo-gauchisme. Je ne peux pas ne pas décrire le réel tel qu’il se manifeste.”

Dimanche, Dominique Reynié est allé voter chez lui, à Rodez. Comme d’habitude. Il revinten fin de journée à Paris, mais pas pour aller sur les plateaux télé, seulement pour regarder les résultats et la soirée électorale chez lui, devant son petit écran. Avec, probablement en tête cette question qu’on lui a beaucoup posée ces derniers temps: “Mais que va-t-il se passer après?”

© Anne Fulda

Source: le Figaro

https://www.lefigaro.fr/politique/mais-que-v

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