Céline Pina analyse le scrutin législatif. Propos recueillis par Martin Pimentel
Avec l’alliance de gauche à 182 sièges, la macronie à 168 et le RN à seulement 143 (contrairement aux prévisions des sondeurs qui le voyaient premier), on assiste à la poursuite de la décomposition politique, et on a franchi un cran dans le pourrissement de la situation de la France, observe Céline Pina.
Causeur. Le NFP décroche le plus de sièges à l’Assemblée nationale. Est-ce que cela signifie que les Français ont adhéré à son programme ?
Céline Pina. En toute sincérité, ces résultats ne sont en rien le produit d’une adhésion à une idéologie. Les votes de soutien ont eu lieu au premier tour. Là, cela dit seulement que concernant le RN, le plafond de verre résiste et que le front républicain fonctionne toujours. On a assisté à un vote issu d’une culpabilisation et d’une manipulation massive qui a amené à porter aux portes du pouvoir un NFP qui défend des positions que ne partagent pas la majorité des Français. Les incohérences qui portent à incandescence notre société ont encore été exacerbées. Et si l’on en croit l’ivresse qui s’était emparée hier soir d’un Jean-Luc Mélenchon, on n’est pas prêt d’en finir avec la conflictualisation et la violence politique.
Il n’en reste pas moins que la situation politique qui est sortie des urnes parle d’une France ingouvernable. Personne n’a de majorité et les alliances possibles portent une part non négligeable de compromissions. Mais reste à savoir s’il y a encore des lignes rouges en politique maintenant que l’antisémitisme est devenu une valeur assumée par la gauche, soit qu’elle le diffuse, soit que cela ne soit plus rédhibitoire pour former une alliance. Et on peut en dire autant du soutien à un mouvement terroriste comme le Hamas ou du fait de faire élire des fichés S à l’Assemblée nationale. On se demande aussi où sont les limites quand dans les rassemblements pour fêter la victoire on ne voit pas de drapeau français tandis que les drapeaux palestiniens sont eux bien visibles. En attendant, de ce que l’on a vu de cette campagne où nos élus se sont comportés pour la plupart comme des gamins gâtés en plein monome dans la cour du lycée, on ne va pas assister au « retour du Parlement », mais à la continuation de la bordélisation des instances de la République. Ce que l’on peut attendre de ces élections ? Rien. La décomposition continue et on a franchi un cran dans le pourrissement.
Après, la danse sur le volcan va continuer et les processus institutionnels de plus en plus déconnectés du réel vont se dérouler. Un Premier ministre probablement issu de la gauche va être nommé. Il n’aura pas de majorité et assez rapidement on devrait retrouver la situation mêlant blocage et hystérisation des débats que l’on vient de quitter. Ce n’est pas en faisant tourner un manège que l’on dégage un chemin.
En se désistant massivement en faveur des candidats NFP pour la majorité, les autres partis ne renforcent-ils pas l’idée d’un « Système » ? Les Français vont-ils penser qu’on leur a volé l’élection ?
La participation a été massive. La dramatisation aussi, certes, mais ils se sont rendus librement aux urnes, non ? Les Français ont fait leur choix. Ils se retrouvent potentiellement à porter au pouvoir une gauche porteuse d’une politique immigrationniste et laxiste alors qu’ils veulent massivement du changement sur ces points ? C’est leur problème. Un dicton dit : comme on fait son lit, on se couche. Nos concitoyens ont eu peur qu’un vote très à droite ne déstabilise leur pays, engendre des violences en interne et des mesures de rétorsion à l’international. Ils ont subi beaucoup de pression ; ils ont donc choisi de faire barrage. C’est un vrai choix, pourquoi le leur retirer ? Le problème c’est que, ce faisant, ils ont montré que se moquer d’eux n’était pas une mauvaise stratégie. Depuis des années, les présidents de la République sont élus sur un socle minoritaire mais peuvent exercer toute l’étendue de leur pouvoir en niant la souveraineté populaire : il leur suffit de s’asseoir sur les attentes et les demandes de la population, puis d’agiter l’épouvantail RN. Culpabilisée, la population vote pour ceux qui les ignorent ou les méprisent, ces derniers arguent que c’est un vote de soutien et mènent donc leur politique, opposée aux attentes populaires. Et quand on a fait un tour, on recommence. Le système est basé aussi sur ces logiques-là et elles sont légitimées par leur efficacité. Bien sûr, tout cela parle d’un lent pourrissement, mais pourquoi s’arrêterait-il ? Le peuple est profondément divisé et le jeu des alliances a donné une puissance de tir réelle à un parti fascisant, LFI, au nom de la lutte anti-fasciste. On nage en pleine absurdité et on voit mal quelle grande conscience ou vieux sage politique a le respect de la population pour faire entendre sa parole. Sans leader crédible et sans plus aucune boussole morale, la France navigue à vue. Quant à son président, son caprice nous a conduits à la ruine intellectuelle et spirituelle. Vous me trouvez trop dure ? Je n’ai qu’une question à vous poser : si vous étiez juif, en France, aujourd’hui, vous organiseriez-vous au cas où la situation vous impose de partir ? Moi, oui. Eh bien si le fait même que l’on puisse se poser cette question ne parle pas de notre déchéance morale collective, je ne sais ce qu’il faudra !
Que peut-il se passer maintenant ?
Gabriel Attal va présenter sa démission. A priori, comme je l’ai dit, la logique institutionnelle voudrait que ce soit le NFP qui soit appelé à former un gouvernement. Celui-ci n’ayant pas de majorité doit passer un accord d’union avec les élus macronistes, ou chercher des majorités de circonstance. La France n’est pas sortie de la crise politique…
Et si le peuple ne peut sérieusement prétendre qu’on lui a volé l’élection, il n’empêche qu’obéir à des consignes de vote qui flattent la vertu au moment de l’acte pour engendrer d’infinis contrariétés après ne peut que faire monter la frustration politique. Or derrière la fausse exaltation d’une « victoire de la gauche », il y aussi une réalité tout aussi tangible : la montée du Rassemblement national, qui augmente massivement le nombre de ses députés. Si échec il y a, c’est à la mesure de l’hubris qui a saisi dirigeants et militants. Ceux-ci ont rêvé de majorité absolue, ils en sont loin au point qu’ils sont incapables de voir que leur parti a progressé alors que l’artillerie lourde a été sortie contre lui. Le front républicain marche encore, mais il ne cesse de s’affaiblir au point qu’aujourd’hui il a accepté en son sein un parti qui ne l’est pas, LFI. C’est cela qui va le détruire et ce ne sera que justice.
Propos recueillis par Martin Pimentel
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