Daniel Sarfati. Ce qui me fait peur

Au moment du choix du vin, j’ai eu une hésitation.

Une lourde responsabilité qui allait m’engager tout le long du repas.

Tous les regards étaient braqués sur moi.

“Toi qui t’y connais, on te laisse choisir”.

Ben… Ça dépend du budget … Y’a un Pomerol qui a l’air pas mal… Un peu cher… Sinon un Gamay bio d’un petit producteur… Pas donné non plus…

La tension montait autour de notre table.

Tout le monde attendait ma décision.

Benoît s’est levé et a dit gravement :

“Moi, je vote pour le Gamay bio. C’est un vin de gauche. Sans concessions”.

J’ai voulu plaider pour le Pomerol.

Benoît a commencé à s’énerver.

“Pomerol, la grande bourgeoisie bordelaise prête à toutes les compromissions avec l’extrême-droite.

Il ne faut pas oublier l’Histoire, Daniel !”

En entrée, j’ai pris un œuf parfait avec un espuma de parmesan et des lamelles de chorizo.

Délicieux.

Benoît me regardait avec suspicion.

Ce type allait finir par me donner des aigreurs d’estomac et j’avais oublié de prendre du Mopral avec moi.

“Qu’est-ce qui te chagrine Benoît ? Le chorizo pas casher ? Le parmesan qui t’évoque Mussolini ? Ou l’œuf issu de l’exploitation de masse des poules ?”

Benoît m’a regardé gravement. Il était de plus en plus grave.

“Non rien, Daniel. Mais je te trouve incroyablement serein alors que les fascistes sont aux portes du pouvoir. Je suis déçu. Je m’attendais à plus de maturité politique chez toi”.

J’avais deux choix.

Me barrer ou finir mon œuf parfait.

J’ai fini mon œuf et la bouche pleine, j’ai répondu à Benoît.

“Tu te trompes, je ne suis pas serein.

Depuis le 7 octobre, je dors mal.

Un pogrom a eu lieu et tu me dis de me souvenir de l’Histoire ?!!!

L’extrême-droite ne me fait pas peur, je la connais.

Ce qui me fait peur ce sont ces bonnes consciences, ces humoristes de gauche qui ont fait de l’antisémitisme décomplexé leur fond de commerce. Ces féministes qui détournent les yeux quand ce sont des juives qui sont violées.

Et puis, tu veux que je te dises ?

Ton Gamay bio c’est de la piquette ! Même si il est de gauche.

Sur ce, bonsoir. Ciao”.

,,,

J’ai grimpé les marches vers la place Benjamin Fondane.

Sur la place de la Contrescarpe, il y avait un saxophoniste qui jouait du jazz, un peu à la Barney Wilen.

Je me suis arrêté pour écouter.

J’avais besoin de sérénité.

© Daniel Sarfati

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