
égisla »Portraits de barragistes qui voteront »malgré tout » pour le Front Populaire »
Chaque semaine, Samuel Fitoussi, chroniqueur du Figaro, pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il brosse le portrait de ces électeurs qui, la mort dans l’âme, finiront par glisser dans l’urne un bulletin « Nouveau Front Populaire » au second tour des législatives.
L’électeur social-démocrate
La mort dans l’âme, vous le reconnaissez : le programme du Nouveau Front Populaire, parce qu’il propose 236 milliards d’euros de dépenses supplémentaires tous les ans, associé à des hausses massives d’impôts, pourrait asphyxier l’économie productive, affoler les créanciers, provoquer une faillite rapide du pays. Parce qu’il prévoit la sortie des traités budgétaires européens, le blocage des prix, la fin des accords de libre-échange ou encore l’encadrement strict des loyers, il rappelle les programmes qui, partout où ils ont été appliqués, ont apporté misère et désolation. Parce qu’il projette la régularisation massive des clandestins, l’augmentation significative des flux migratoires, la suppression des mesures anti-squatteurs ou encore la libération de milliers de criminels pour lutter contre la surpopulation carcérale, pourrait provoquer le chaos sécuritaire, accélérer la partition culturelle du territoire, aggraver nos problèmes de laïcité.
Tout cela est regrettable, concédez-vous, mais tout cela n’est pas si grave. Pourquoi ? Parce que le programme du Nouveau Front Populaire possède une grande qualité, celle qui compte le plus à vos yeux, celle qui efface tous les défauts : il est de gauche. Alors ne peut-on pas mettre nos désaccords de côté, le temps d’une élection, pour permettre à la gauche de l’emporter ? Pourquoi s’attarder sur les imperfections du projet (que celui qui n’a jamais proposé la création de 14 tranches d’impôts sur le revenu jette la première pierre) au risque de faire le jeu de la droite ? Quelques décennies de ruine économique, de dévastation sociale, de pénuries, de fuite de capitaux et de cerveaux ne valent-elles pas le coup si elles permettent d’éviter l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon ? D’autant que finalement ce pourrait ne pas être la ligne islamo-lénino-marxiste de Mélenchon qui l’emportera mais la ligne marxiste-islamo-léniniste, bien plus républicaine, de Manuel Bompard.
L’antifasciste bloqué en 1941
Vous êtes certain : puisqu’en 1939 le danger fasciste est arrivé par la droite, c’est nécessairement par là qu’il ressurgira. Puisqu’en 1941, les résistants combattant le nazisme, résister impliquera toujours peu importe l’époque et le contexte – de combattre la droite. Vous avez figé les rôles du bien et du mal pour l’éternité ; ils ne sont non plus fonction des comportements des uns et des autres mais de la géographie du spectre politique.
Par conséquent, ce n’est jamais l’analyse de la situation du pays qui vous dicte votre positionnement, mais au contraire, le devoir d’être en désaccord avec la droite qui aiguille votre analyse. L’idéologie pense à votre place. Malheureusement, vous avez mal assimilé la leçon d’histoire. Vous oubliez, d’abord, qu’en 1941 les résistants étaient mus par l’amour de leur pays (qu’ils ne souhaitaient pas voir transformé), par une certaine réticence au changement, par une opposition à l’esprit du temps – sentiments diabolisés aujourd’hui par l’antifascisme contemporain. Et qu’à l’inverse ce sont les collaborateurs qui méprisaient le nationalisme. Ensuite, vous oubliez que, même dans les années 1930, c’est peut-être parce que la gauche a exagéré le danger représenté par l’extrême-droite française qu’elle s’est montrée aveugle à la réelle menace. C’est en tous cas l’idée que défend Raymond Aron dans ses mémoires : « Les antifascistes poursuivaient un ennemi insaisissable et ils ne s’accordaient pas sur l’essentiel, la méthode à suivre contre le véritable ennemi, Hitler ». Toute ressemblance avec la situation actuelle…
Celui qui combat l’antisémitisme, mais…
Tout en sachant pertinemment que l’antisémitisme de la gauche est moralement supérieur à celui de la droite, vous déplorez la complaisance du Nouveau Front Populaire vis-à-vis de la haine antijuive. Le Nouveau Front Populaire a investi des dizaines de candidats à l’antisionisme aussi obsessionnel que suspect, dont Philippe Poutou et Raphaël Arnault qui, le 7 octobre, ont chacun félicité le Hamas pour son pogrom. Il ne condamne pas les graves bobards antisémites de l’eurodéputée LFI Rima Hassan, selon laquelle Israël a fait violer les Palestiniens par des chiens, puis vole leurs organes. Il est mené par un parti qui a fait de la haine des Juifs son carburant électoral, multipliant les clins d’œil antisémites, entre blagues douteuses sur Meyer Habib et les pizzas aux fours, références aux « dragons célestes » qui tireraient les ficelles de la société et propos complotistes…
L’antisémitisme de la gauche vous préoccupe au plus haut point car… il pousse les électeurs dans les bras du RN ! Le mieux serait donc de lui demander d’être antisémite plus silencieusement. Quant au RN, vous plaidez pour qu’il redevienne antisémite. Car, ne nous leurrons pas, lorsque la gauche se comporte mal, il s’agit toujours d’un dévoiement de sa nature réelle. Quand la droite se comporte bien, il s’agit toujours d’une dissimulation de la sienne.
© Samuel Fitoussi