« Répliques » de ce samedi 29 juin était attendu: Alain Finkielkraut y recevait Noëlle Lenoir, avocate à la Cour, et Emmanuel Daoud, avocat spécialisé en droit pénal international et dans les Droits de l’Homme.
Regards croisés sur la justice pénale internationale via @franceculture https://t.co/38KWuEtr6A
— cattan (@sarahcattan_) June 29, 2024
Le 20 mai 2024, Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale, a requis des mandats d’arrêt contre trois dirigeants du Hamas, dont Yahya Sinwar, l’architecte du 7 octobre, ainsi qu’à l’encontre du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant. Le procureur a indiqué avoir de bonnes raisons de penser que tous ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les deux leaders israéliens sont notamment accusés d’avoir provoqué la famine des civils. Depuis cette annonce, le débat fait rage partout dans le monde. Certains saluent une avancée majeure, d’autres dénoncent une inquiétante dérive. Comment nos deux invités ont-ils réagi à l’initiative de Karim Kahn ?
« On ne peut pas comparer des criminels comme les responsables du Hamas au chef d’un État démocratique comme M. Netanyahou » (N.Lenoir)
« Certes, il y a des actes antisémites, mais il y a l’islamophobie. Certes, le 7 octobre, c’est un crime contre l’humanité – moi je considère que c’est un génocide – mais c’est explicable, comme dit M. Guterres, le secrétaire général de l’ONU. Donc cette équivalence est quelque chose qui frappe la conscience nationale, mais aussi internationale. On ne peut pas comparer des criminels comme les responsables du Hamas au chef d’un État démocratique comme M. Netanyahou. qui a un système judiciaire qui est extrêmement indépendant et performant, et extrêmement opposé d’ailleurs à Netanyahou, comme il l’a montré dans la période récente. Et M. Karim Khan, pour des raisons idéologiques, et peut-être même religieuses, a franchi un pas qui altère, à mon avis, de manière durable, la réputation de cette cour. » Noëlle Lenoir
Une analyse qui n’est pas partagée par Emmanuel Daoud pour plusieurs raisons qu’il nous expose, et qui estime que la décision de M. Khan, de son point de vue de juriste, est satisfaisante et insusceptible de critique au regard du droit international.
« La première, il faut toujours dire de là où on parle. — Et pour ce qui me concerne, je suis avocat au Barreau de Paris, avocat inscrit sur la liste de la Cour pénale internationale, mais je me considère comme un artisan du droit et je ne suis pas là pour faire de la politique internationale. Ce que je dois dire, c’est que j’ai saisi la Cour pénale internationale, notamment, au nom d’une ONG ukrainienne, franco-ukrainienne, pour demander les missions de mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et Maria Lebova pour la déportation d’enfants ukrainiens. Et quelques mois après, j’ai été saisi, et je tiens à le dire en toute transparence, par trois ONG palestiniennes de défense des droits humains, dont je précise, d’une part, qu’elles ont été créées respectivement en 1979 et en 1999, qu’elles ont condamné les crimes du Hamas du 7 octobre et qu’elles m’ont demandé d’analyser la situation pour savoir si, oui ou non, au regard du statut de Rome, des crimes relevant de ce statut pouvaient être reprochés à des responsables israéliens. Donc nous avons saisi, fin novembre, la Cour pénale internationale d’une communication, comme l’on dit, pour dénoncer, qualifier, mais en tant que juriste, les faits que nous considérions pouvoir être imputés à M. Netanyahou, M. Gallant et aux membres du cabinet de guerre, ainsi qu’aux chefs d’état-major des armées israéliennes. » Emmanuel Daoud
Qu’est-ce qui permet ou ne permet pas de dire que l’armée israélienne a commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et a provoqué volontairement la famine des civils ?
Une question posée par Alain Finkielkraut, d’autant plus nous dit-il, que de l’aide alimentaire est acheminée vers Gaza depuis le début de la guerre. Tsahal a même ordonné une pause tous les jours. Elle ne parvient pas forcément à ses destinataires, mais parce qu’elle est volée, confisquée et objet de contrebande. Sur quoi fonder une accusation aussi grave ?
« Il n’y a pas des victimes israéliennes qui auraient une valeur supérieure aux victimes palestiniennes et ça il faut bien que les gens le comprennent » (E. Daoud)
« Je serais un crétin absolu si je répondais de manière définitive à cette question, alors même qu’elle est soumise à l’examen de magistrats de la Cour pénale internationale. Je vais simplement vous dire ce que nous avons analysé sur la base de sources ouvertes et qui, malheureusement, s’est confirmé sur les mois qui ont suivi. L’État d’Israël a le droit de protéger son territoire. L’État d’Israël, comme tous les États, a le droit de défendre ses habitants. L’État d’Israël a été victime d’une attaque d’une violence inouïe, singulière, et on peut la qualifier d’un pogrom c’est une réalité mais il n’y a pas un double standard en matière de justice internationale, il n’y a pas les bons et les méchants il n’y a pas des victimes israéliennes qui auraient une valeur supérieure aux victimes palestiniennes et ça il faut bien que les gens le comprennent. Cela veut dire quoi ? cela veut dire que je peux faire la guerre je peux faire la guerre pour protéger ma population pour poursuivre mes ennemis pour les éliminer. Ça, c’est reconnu à tous les États, à commencer par l’État d’Israël qui était victime de ces crimes le 7 octobre. En revanche, le droit humanitaire international dit « Je ne peux pas faire la guerre n’importe comment ». C’est ça la grande différence. Et donc, pour répondre ou tenter de répondre à votre question, est-ce que l’État d’Israël a ou pas bombardé massivement des lieux dont on savait qu’ils étaient occupés majoritairement par des civils, avec des bombes de 900 kg qui, compte tenu de leur charge explosive dès lors qu’elles touchaient un immeuble, le faisaient s’effondrer littéralement ; Est-ce qu’il est admissible que l’État d’Israël, pour éliminer un combattant du Hamas, voire même un ennemi du Hamas, tue 50, 60, 80 civils avec des enfants ?
» C’est la question de la proportionnalité. Et au vu du constat, qui n’est pas celui d’un avocat lambda, mais des grandes ONG internationales, des Nations Unies, ces analyses, documentées sur la base de sources ouvertes, laissent à penser que ces moyens seraient disproportionnés. Et donc, il y a à ce stade une base raisonnable pour considérer que des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ont été commis par l’armée israélienne. » Emmanuel Daoud
« Croyez-vous qu’il y a vraiment l’intention d’affamer les Gazaouis, et de tuer des civils ? »
« Je ne connais pas dans l’histoire de l’humanité, dans l’histoire du droit de la guerre, d’armées qui prennent autant de précautions et qui soient autant surveillées par des juges, bien assis dans leurs fauteuils, qui jugent quelques affaires par an, qui n’ont pas grand-chose à faire, je suis désolée de le dire – je vais peut-être être attaquée par ces juges – et qui doivent arrêter des priorités. Et la priorité, ce n’était vraiment pas d’attaquer M. Netanyahou. Est-ce que vous connaissez, j’aimerais bien le savoir, une armée qui, au monde, d’abord mobilise sa population, des jeunes de 19 ans, de 20 ans, qui sont tués pour défendre leur patrie, qui devraient être soutenus ? Deuxièmement, qui font des appels téléphoniques, qui lancent des tracts, qui demandent aux populations qui les préviennent à l’avance. Est-ce que vous croyez, puisque c’est une condition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, est-ce que vous croyez vraiment que c’est de manière intentionnelle, c’est-à-dire est-ce qu’il y a vraiment l’intention d’affamer les Gazaouis, et de tuer des civils ? L’intentionnalité est partie intégrante des crimes qu’a jugés la Cour pénale internationale ».
« L’arme du Hamas, ce sont les boucliers humains, tout le monde le sait » (N. Lenoir)
« Je ne crois pas un instant que ce soit intentionnel. Jamais les conditions d’une guerre n’ont été telles que celles de la guerre à Gaza. Jamais on a dû faire la guerre dans des tunnels, avec des hôpitaux, des chambres d’enfants dans des écoles ou des garderies, ou des classes d’école qui sont transformées en arsenal militaire. Jamais dans l’histoire de l’humanité, une guerre n’a dû être menée de manière aussi terrible puisque l’arme du Hamas, ce sont les boucliers humains, tout le monde le sait. » Noëlle Lenoir
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Noëlle Lenoir est Avocate, déontologue de l’Assemblée nationale, ancienne ministre des Affaires européennes
Emmanuel Daoud est Avocat pénaliste au Barreau de Paris, co-président de l’association L 4 W – Lawyers for Women.
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