Tribune contre l’essor de l’antisémitisme

Tribune

Collectif

Une cinquantaine d’intellectuels et universitaires, parmi lesquels Michelle Perrot, Pascal Ory, Judith Lyon-Caen ou Christophe Prochasson, s’inquiètent, dans une tribune au « Monde », de la montée de l’antisémitisme depuis le 7 octobre 2023 et de sa diffusion dans les universités.

Il y a désormais un 7 octobre (2023) comme il y a eu un 11 septembre (2001), tant l’horreur suscitée par les deux événements est singulière et se détache du contexte dans lequel ils se sont produits. A quelques kilomètres de Gaza, sur le territoire de l’Etat d’Israël, le Hamas et ses alliés ont massacré 1 192 personnes et commis de multiples viols, avant d’emmener près de 240 personnes, bébés, enfants, femmes, hommes et vieillards, en otages.

L’antisémitisme a explosé dès le lendemain du pogrom : avant même l’entrée de l’armée israélienne à Gaza, on a pu entendre, en France et ailleurs, le slogan, inscrit dans les chartes du Hamas et de ses alliés, appelant à la disparition de l’Etat d’Israël ; en France, 1 676 actes antisémites ont été recensés en 2023 (quatre fois plus qu’en 2022), qui mobilisent les plus vieux motifs du répertoire antisémite à peine transposés : la domination de la finance juive sur le monde, l’emprise des juifs sur les médias qui étoufferait les voix des Palestiniens, la duplicité des juifs français.

Conséquence : au quotidien, la réassignation constante des Français juifs à leur origine et la multiplication d’un antisémitisme à bas bruit qui commence par des blagues, continue par des « dérapages », des jeux sur les noms propres, et finit par des insultes, des menaces, des actes de malveillance.

Que s’ajoute l’amalgame entre les juifs et Israël ou entre les Israéliens et leur gouvernement, et l’on comprend que l’antisionisme est presque toujours le signifiant de l’antisémitisme : c’est cela qui pousse à huer une chanteuse israélienne pendant l’Eurovision, à empêcher une jeune étudiante juive d’entrer dans un amphithéâtre, à déprogrammer des conférenciers israéliens d’ailleurs critiques à l’égard de leur gouvernement ; c’est cela qui pousse aussi à exiger le boycott des universités israéliennes, pourtant l’un des principaux foyers d’opposition au gouvernement Nétanyahou et d’engagements pour la paix, comme l’étaient les kibboutz décimés par le Hamas.

Toujours coupables

Tous ces raisonnements ont la même logique : les juifs sont toujours coupables, quels que soient les faits et la complexité de leur qualification.

La Cour internationale de justice a émis un avertissement, en janvier, estimant qu’il existe « un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé » à la population de Gaza et elle a invité le gouvernement israélien à « prendre toutes les mesures pour éviter des actes de génocide ». De nombreux mouvements, qui proféraient depuis le début une accusation de génocide, ont aussitôt voulu confondre cet avertissement avec un jugement définitif.

De même, les requêtes déposées par le procureur de la Cour pénale internationale, qui n’a pas retenu le chef d’accusation de génocide, ont été comprises et revendiquées comme des jugements définitifs. Approximations, simplification, distorsions, mépris pour le sens juridique et historique des mots alimentent la haine et la violence dans nos sociétés, en particulier dans les lieux d’apprentissage et de savoir. Nos universités, où s’enseignent en principe la complexité, l’esprit critique et la méthode dialectique, paraissent incapables de résister à la confusion entre l’affirmation radicale des opinions et l’examen critique des faits.

C’est dans les universités que l’accusation d’Israël comme Etat colonial, génocidaire, et d’apartheid a envahi les discours. L’anticolonialisme (souvent associé à l’anti-occidentalisme) est devenu l’argument central de l’analyse du conflit, ce qui conduit à effacer le caractère pivotal du 7 octobre. Dans cette vision partiale et partielle, il n’y a ni riposte ni guerre ; ce qui a lieu est présenté comme la continuation, l’aggravation d’une oppression coloniale ancienne.

Instrumentalisation du souvenir de la Shoah

Ceux qui désignent Israël comme un Etat colonial font du 7 octobre l’expression de la « résistance » des Palestiniens et nient la légitimité de l’Etat lui-même, dont la reconnaissance, rappelons-le, a été un des fondements de la reconstruction du monde après 1945. Ils renouent avec le fantasme de la disparition de l’Etat d’Israël, qui est au cœur des revendications du Hamas, du Hezbollah, de l’Iran et de leurs alliés.

Qu’on nous comprenne bien : nous sommes horrifiés par ce qui a lieu à Gaza, par la conduite de la guerre du gouvernement israélien, par le désastre de la colonisation en Cisjordanie. Nous ne parlons pas de cela ici. Nous parlons du fait que l’accusation de génocide transforme Israël en bourreau par un retournement qui déplace et instrumentalise le souvenir de la Shoah : c’est le même mécanisme qui fait des Israéliens des nazis, et de tous les juifs leurs complices.

Et voici qu’on arrache les photos des otages israéliens, qu’on « oublie » qu’il y a des Français parmi les otages retenus par le Hamas, qu’on ignore les violences sexuelles du 7 octobre, pourtant revendiquées par ceux qui les ont commises.

En faisant de l’ensemble de cet argumentaire l’axe principal de son discours politique, une partie de la gauche radicale a disséminé un antisémitisme virulent et subverti les valeurs qu’elle prétend défendre à un moment particulièrement périlleux où l’extrême droite arrive au pouvoir en France et en Europe. C’est dans ce contexte que nous appelons les universitaires à faire entendre leur voix et à dénoncer avec force la montée de l’antisémitisme dans notre pays.

Liste des signataires 

Charles Dreyfus, vice-président de la Maison Zola-Musée Dreyfus ; Sophie Houdard,professeure en littérature française, Sorbonne-Nouvelle ; Judith Lyon-Caen, historienne, directrice d’études (EHESS) ; Claudia Moatti, professeure émérite d’histoire romaine à l’université Paris-VIII, professeure à l’University of Southern California ; Jean-Yves Mollier, professeur émérite d’histoire contemporaine, université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines ; Pascal Ory, de l’Académie française, professeur émérite à l’université Panthéon-Sorbonne ; Michelle Perrot,professeur émérite d’histoire contemporaine, université Paris-Cité ; Christophe Prochasson, historien, directeur d’études (EHESS) ; Jacques Revel, historien, directeur des études émérite (EHESS).

La liste complète des signataires se trouve ici.

Collectif

Sophie Houdard, Judith Lyon-Caen, Jean-Yves Mollier et Christophe Prochasson

Source: Le Monde

La liste des premiers signataires est désormais fermée, mais on peut faire circuler le texte sous forme de pétition et le signer à partir de ce lien:

https://chng.it/GBcwWWrgys

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2 Comments

  1. L’extrême droite ce sont les partis islamistes et les gouvernements qui collaborent avec l’islamisme. Donc tribune trompeuse, double langage. Il faut toujours analyser chaque phrase : le diable est dans les détails. L’extrême droite et le nazisme sont au pouvoir, en France et en Europe comme en Iran. Gaza-sur-Seine et Kaboul-sur-Tamise.

  2. En effet, pour eux comme pour Caroline Fourest, le vrai danger n’est pas Rima Hassan et autres ordures de la mouvance islamonazie mais MLP. Ils font partie de ceux qui ont agité l’épouvantail d’un fascisme imaginaire ou marginal afin de faire le jeu des véritables fascistes et extrême droite dont le « Front (anti)populaire » est le porte-étendards. Des mélenchonistes qui s’ignorent et ont permis le basculement de la France dans le nazisme islamiste et indigéniste.

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