Viol de Courbevoie : « L’abandon de longue date de la lutte contre l’antisémitisme se paye au prix fort ». Renée Fregosi

TRIBUNE. Le président Emmanuel Macron a demandé à sa ministre de l’Éducation nationale d’organiser des discussions en classe suite au viol à caractère antisémite d’une fille de 12 ans à Courbevoie. Une mesure inefficace et déplacée face à la gravité de l’antisémitisme croissant en France, juge Renée Fregosi*.

Des centaines de personnes ont participé au rassemblement ce vendredi 21 juin près d’une semaine après le viol à caractère antisémite à Courbevoie. © AFP

À la suite du viol en réunion à caractère antisémite et d’une grande violence, d’une toute jeune fille à Courbevoie, le Président Emmanuel Macron a demandé à sa ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet d’organiser pour la semaine suivante, « un temps d’échange sur le racisme et l’antisémitisme » dans toutes les classes. Cette décision est à la fois grotesque et révoltante. Après des décennies de montée régulière d’un antisémitisme de plus en plus violent, après l’explosion des actes antijuifs depuis le 7 octobre 2023 (plus 300 %), et eu égard la dimension probable d’imitation pogromiste de ce viol, cette mesure est non seulement dérisoire, mais également à la fois irréaliste et odieuse.

Comment croire en effet tout d’abord, que de vagues discussions d’une heure « sur le racisme et l’antisémitisme » dans les écoles, pourraient avoir un quelconque effet sur la lame de fond de la haine antijuifs qui travaille notre pays ? C’est ignorer les causes profondément enracinées désormais, de la judéophobie (ou haine des Juifs) à l’œuvre aujourd’hui. Car il faut le rappeler, alors que des intellectuels comme Pierre-André Taguieff et Georges Bensoussan l’analysent depuis plus de vingt ans, la détestation des Juifs qui sévit dans nos sociétés actuelles, n’a que très peu à voir avec l’antisémitisme réactionnaire maurassien ou raciste nazi. Si ce vieil antisémitisme d’extrême droite est bien « résiduel » aujourd’hui en France, en revanche, contrairement à ce qu’a voulu masquer Jean-Luc Mélenchon avec sa saillie sur Netanyahu début juin, une autre sorte de haine des Juifs est en expansion continue.

Cette judéophobie puise à deux sources principales : d’une part la culture arabo-musulmane qui instille l’image du Juif falsificateur de la parole de dieu (donc un danger pour les musulmans) et du dhimmi, sujet de seconde zone qui doit expier sa faute et s’acquitter d’une taxe pour assurer sa protection physique (toujours très précaire au demeurant dans les faits) ; d’autre part, ce « socialisme des imbéciles » (comme l’appelait le socialiste allemand Bebel) qui considère le Juif comme le suppôt du capitaliste et de la finance, donc l’ennemi du prolétariat. Aujourd’hui, à la suite de plusieurs rencontres au cours de l’histoire entre islamisme et bolchevisme, les deux types d’antisémitisme se rejoignent dans la convergence islamo-gauchiste (soutien mutuel de l’offensive islamiste et de la visée hégémonique révolutionnaire « de gauche »).

Or depuis la naissance du sionisme à la fin du XIXsiècle, puis la création de l’État d’Israël en 1948, et plus encore depuis les deux autres guerres gagnées par les Israéliens contre les attaques des pays arabes (en 1967 et 1973) ces deux judéophobies s’expriment principalement à travers l’assimilation des Juifs à Israël, la dénonciation d’Israël et la remise en cause de sa légitimité à exister comme État national du peuple juif.

Ledit « antisionisme » est devenu la forme la plus mobilisatrice de la haine à l’égard des Juifs à travers le monde et si certains ne l’avaient pas encore compris, les réactions aux attaques génocidaires lancées par le Hamas en territoire israélien le 7 octobre, auraient dû les dessiller. Pourtant, même le slogan « Palestine libre, du fleuve à la mer », clamé des « rues arabes » aux campus universitaires occidentaux, proclamé par le Hamas comme par ses soutiens politiques en France, n’a pas convaincu les tenants du politiquement correct du danger de l’islamisme et de la nécessité d’en faire l’ennemi principal.

Ainsi, en ne se joignant pas à la marche du 12 novembre 2023 contre l’antisémitisme, pour « ne pas diviser les Français », le président de la république a montré une fois de plus qu’il refusait de saisir les enjeux de la situation. Il sous-entendait par là qu’il avait bien compris que les musulmans travaillés par les islamistes comme les tenants de cette gauche islamo-gauchiste refuseraient (ce qu’ils ont fait) de participer à la manifestation, par conviction antijuive précisément, et « en même temps », il signifiait qu’il cédait à leur pression. Cette attitude d’Emmanuel Macron est caractéristique du déni du réel : connaître la réalité, mais refouler cette conscience, soit pour croire que la réalité va disparaître (attitude pathologique) soit pour occulter la réalité à des fins politiques (attitude cynique).

C’est à un déni du même type auquel on assiste avec l’injonction surréaliste faite récemment à sa ministre de l’Éducation nationale. Le Président Macron ne sait-il pas que dans un nombre croissant d’établissements scolaires, parler d’antisémitisme représente à la fois une impossibilité face au chahut que cela provoquerait dans la classe et même un danger pour l’enseignant qui tenterait de le faire ? Ne sait-il pas également que nombre d’enseignants, jeunes notamment, s’y refuseront par conviction, estimant d’une part qu’il ne faut pas « heurter la sensibilité » des élèves musulmans en leur parlant des Juifs et d’autre part, parce qu’ils considèrent eux-mêmes que les Juifs sont des coupables indéfendables ?

Enfin, le président de la République commet une troisième faute politique lourde : en accolant une fois de plus les deux termes « racisme » et « antisémitisme » comme si on ne pouvait parler d’antisémitisme sans aussitôt se dédouaner en prenant également en compte le racisme, il met sur le même plan le racisme et la haine antijuifs, ce qui est illégitime intellectuellement, historiquement et factuellement. D’une part, la judéophobie d’aujourd’hui n’est pas un « racisme », c’est-à-dire que les Juifs sont stigmatisés, agressés, violés, torturés et tués non pas parce qu’ils appartiendraient à une « race » inférieure, mais parce qu’ils seraient au contraire des « dominateurs », des « colonisateurs », des « super-blancs ».

D’autre part, cette haine des Juifs et d’Israël plonge ses racines dans une histoire longue et complexe, marquée notamment par la Shoah (résultant d’une volonté froide d’extermination totale) et dans laquelle se mêlent des acteurs très divers, ce qui en fait une réalité bien spécifique. Enfin, les actes antijuifs sont aujourd’hui en nombre absolu comme en nombre relatif à la proportion de la population juive en France, sans commune mesure avec les actes à connotations racistes à l’encontre de populations d’origines africaine ou arabe qui sont considérablement moins nombreux.

Que ce soit du côté de l’islamo-gauchisme de plus en plus prégnant dans les différents courants de la gauche, de l’islamo-wokisme (encore plus aberrant étant donné la misogyne foncière et l’homophobie profonde de la culture arabo-musulmane), ou de celui des islamo-complaisants par clientélisme, lâcheté ou négligence, le refus ou l’abandon de longue date de la lutte contre l’antisémitisme, se paye aujourd’hui au prix fort. Pour nos compatriotes juifs d’abord évidemment, mais pour nous tous, subissant la violence des attentats, les pressions et l’infiltration sournoise de l’islamisme. Dans ce contexte, le Président Macron n’est, une fois de plus, pas à la hauteur de l’enjeu.

© Renée Fregosi

Source: JDD

https://www.lejdd.fr/societe/viol-de-courbev


Renée Fregosi est philosophe et politologue. Dernier ouvrage paru : « Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs ». Éditions de l’Aube 2023

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