ENTRETIEN. Le philosophe et historien des idées explore le concept « d’immigrationnisme » à la suite des déclarations polémiques du président Macron.
Le Nouveau Front populaire propose « un programme totalement immigrationniste », a estimé mardi 18 juin Emmanuel Macron, en marge d’un déplacement à l’île de Sein, dans le Finistère. Cette déclaration n’a pas manqué de faire réagir le bloc de gauche, dominé par La France insoumise (LFI), pour qui cette affirmation relève de la rhétorique de l’extrême droite. Le Point a contacté Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, qui resitue la définition de ce concept polémique et passe au tamis la déclaration du président. Verdict.
Le Point : Qu’est-ce que l’immigrationnisme ?
Pierre-André Taguieff : Il s’agit d’une croyance idéologique selon laquelle l’immigration est un processus à la fois inéluctable et intrinsèquement positif. Il découle de cette croyance fataliste et optimiste, variante de la gnose progressiste, une vision adaptationniste de la politique reposant sur une utopie messianique qui est celle de l’unification dugenre humain, par-delà les nations, les frontières et les barrières civilisationnelles.
L’immigration, selon les partisans de cette conception providentialiste sommaire, est considéréed’une façon angélique comme un processeur salvateur, producteur de croissance et de rajeunissement des populations européennes vieillissantes, à commencer par celle de la France. Dans cette perspective, la lutte contre le déclin démographique ne passe pas par des mesuresfavorisant la natalité, mais par l’appel à l’immigration, considérée comme un remède miracle.
L’emploi de ce terme est pour le moins connoté…
Tout dépend de la charge morale qu’on y projette. Pour la bien-pensance de gauche, s’inspirant d’un antiracisme moralisant, les principes de l’ouverture à l’autre, de l’accueil de l’autre et de la compassion non sélective font de l’immigrationnisme une vertu en même temps qu’une méthode de salut. Et tant mieux, pensent les nouveaux immigrationnistes d’extrême gauche, si la quasi- totalité de l’immigration récente en France est de culture ou de religion musulmane.
Dans les milieux immigrationnistes de gauche, l’islam est toujours perçu comme la « religion despauvres », au mépris de certaines réalités économico-financières internationales. Et la gauche islamophile se sent tenue de prendre parti pour ces pauvres et leurs croyances religieuses, même sielles s’avèrent incompatibles avec les principes de la laïcité et permettent aux propagandistes islamistes de faire des adeptes.
Par ailleurs, dès les années 1980, à gauche, on affirmait avec assurance, voire enthousiasme, que l’immigration était une « chance pour la France ». Le Front national de l’époque répliquait en stigmatisant l’immigration comme une malchance pour la France, la désignant comme une menace qu’il s’agissait de conjurer. Deux camps commençaient alors à se profiler : le camp desimmigrationnistes militants et celui des anti-immigrationnistes qui ne tarderont pas à se regrouperdans le FN.
Et vous, comment vous positionnez-vous ?
Pour moi, l’immigrationnisme, croyance idéologisée que je critique depuis les années 2000,comme en témoigne ma tribune parue dans Le Figaro en 2006, est au cœur d’une religion séculièreconsidérant l’immigration comme bonne en elle- même et illustrant un processus de l’ordre de lafatalité, censé aller dans le sens de l’Histoire. Il est frappant d’ailleurs que la gauche accorde autantde valeur à ce processus qu’elle voit comme inéluctable alors qu’elle se veut toujours l’héritière d’une tradition politique dont le projet fondamental est de changer le monde, ce qui implique d’accorder à la volontépolitique la place royale. C’est là un désaveu de toute volonté politique. Une revanche du fatalisme surle volontarisme.
Est-ce qu’Emmanuel Macron a raison de dire que le programme du Nouveau Front populaireest totalement immigrationniste ?
On peut discuter du choix de l’adverbe « totalement », car le programme du Nouveau Frontpopulaire contient bien sûr d’autres orientations. Mais il y a bien une imprégnationimmigrationniste perceptible dans ce programme. Je dirais plutôt que ce programme estglobalement immigrationniste. Outre l’abrogation de la loi « asile immigration », le programme du Nouveau Front populaire propose la création d’un « statut de déplacé climatique » et larégularisation des travailleurs et parents d’enfants scolarisés.
L’immigrationnisme, au sens large du terme, peut être défini comme la somme des « bonnes » positions, devenues des clichés, de la bien-pensance gauchiste sur « l’autre », le « différent » ou l’« étranger », qui reprend les thèmes de l’antiracisme moral, compassionnel ou victimaire et de l’accueil inconditionné de « l’autre », auxquels elle ajoute quelques arguments supplémentaires concernant la démographie et la croissance, voire la «créolisation », mythologie latino-américaine et antillaise que Jean-Luc Mélenchon a tentéd’importer en France, sans grand succès.
Les propos du président ont, sans surprise, fait bondir à gauche de l’échiquier politique. On imagine que cela ne vous surprend pas…
La gauche affirme que le mot « immigrationnisme » est un « mot d’extrême droite ». C’est làsimplement un réflexe idéologique conditionné. Selon ceux qui jouent les indignés, Emmanuel Macron aurait utilisé cyniquement un mot diabolisé, celui de l’ennemi absolu qui se trouve êtrele Rassemblement national. Voilà une réaction pour le moins paresseuse, qui témoigne d’une certaine ignorance… Ce mot n’appartient nullement au lexique de l’extrême droite, même s’il estvrai que certains de ses courants l’ont employé à des fins polémiques, avec des connotationsxénophobes. Mais il est avant tout un terme descriptif, désignant, comme je l’ai déjà dit, la conviction idéologique que l’immigration est à la fois inéluctable et souhaitable, car ses effetsseraient bénéfiques à tous égards.
Le problème, c’est qu’un certain nombre de termes, dès le moment où ils sont employés par un camp politique, sont utilisés comme marqueurs de ce camp. On entre alors dans la guerre des mots, qui faitpartie de la guerre culturelle. Ainsi, si la gauche accuse le Rassemblement national d’être l’inventeur ou le dépositaire du mot « immigrationnisme », alors n’importe quelle personnalité politique quil’utilisera ensuite sera qualifiée « d’extrême droite », donc diabolisée. Ces petits jeux lexicaux etrhétoriques réduisent les débats politiques à des séries de diabolisations et de contre-diabolisations, chaque camp cherchant à diaboliser son adversaire principal tout en cherchant à se dédiaboliser lui-même. Rien de plus banal ni de plus répétitif. Des affrontements symboliques codifiés qui ne font pasavancer d’un pouce la ré2exion politique, tout en barrant la route à la négociation et à la recherche decompromis.
Quel est le calcul politique du président derrière cette sortie ?
Mon hypothèse est qu’ainsi il s’identifie, ou vise à s’identifier, comme l’homme politique professant un point de vue réaliste au milieu des grands délirants du moment. Je pense qu’il a voulu d’abord se démarquer du programme angélique, naïf ou candide et surtout impolitique du Nouveau Front populaire sur le volet de l’immigration. Et comme lui-même n’est pas un anti-immigrationniste radical comme l’est le RN, je crois qu’il a voulu se situer au centre des deux blocs, manière de rappeler, dans une situation convulsive, qu’on peut être à la fois rationnel et raisonnable en politique.Il y a là une manière de prendre de la hauteur, en esquissant une sortie de l’alternative stérilisante entre les deux postures radicales opposées.
Disons, pour simplifier, que sa position est ainsi définissable : ni immigrationnisme irresponsable,ni anti-immigrationnisme xénophobe. On en trouvait une traduction sloganique dans l’objectiffixé par Gabriel Attal dans sa déclaration de politique générale du 30 janvier 2024 : « Accueillir moins pour accueillir mieux. » Mais la polarisation et la radicalisation des postures sont telles aujourd’hui que l’on peut douter que la déclaration présidentielle ait les effets attendus, notamment dans l’électorat de gauche mélenchonisé, qui semble avoir adopté la visionprovidentialiste de l’immigration.
L’immigration est-elle, pour les électeurs, le sujet de préoccupation majeur de ces élections législatives ?
Le rejet d’une immigration de masse non contrôlée est assurément un facteur aussi important quepermanent du vote RN, qui se croise avec la demande de protection et de sécurité, et qui en outre est indissociable du désir de conserver une identité nationale forte, définie par ses traits culturels ou civilisationnels. Mais la préservation ou l’augmentation du pouvoir d’achat, dans un monde quis’annonce chaotique, est désormais un thème fortement mobilisateur, dans l’électorat du RN commedans celui des gauches.
Il y a une lutte entre tous les camps pour la crédibilité des offres politiques. On ne saurait négliger lefait que l’immigration, thème lourdement chargé d’imaginaires contradictoires, est devenue, depuis bientôt un demi-siècle, un marqueur qui partage de façon manichéenne l’échiquier politique. C’estlà ce qui empêche tout débat rationnel et réaliste sur la politique de l’immigration, et c’est évidemment regrettable.
Propos recueillis par Kévin Badeau
Relisez par exemple les déclarations de Georges Marchais : historiquement, la gauche était opposée à l’immigration massive parce qu’elle favorisait le grand patronat au détriment des milieux populaires ouvriers. L’immigration a toujours été voulue par la droite bourgeoise…C’est une question purement économique, liée aux questions d’offre et de demande, de salaires et de coûts de production.
Eh oui, depuis plus de 40 ans, tout ce que racontent les médias et les politologues n’est qu’un tissu de novlangue Dire que le RN est un parti d’extrême droite parce qu’il est opposé à l’immigration massive est aussi délirant que d’affirmer que Raphaël Glucksmann est de gauche parce qu’il est va-t-en-guerre ! Quant au Front Populaire Islamiste, c’est la peste brune chimiquement pure.
L’intelligence politique des Français et des Européens est un mythe : pour considérer l’immigration comme une politique de « gauche », il faut être politiquement inculte. Pour considérer l’islam comme « la religion des pauvres », il faut souffrir de débilité profonde.
Et alors quel est l’adjectif qui convient pour qualifier le programme d’immigration (légale et clandestine) macronien de 500 000 immigrés par an depuis 7 ans ?
@Jean-Marc
Choix d’adjectifs :
« dangereux »
« fou »
« irresponsable »
« criminel »
…
Il n’y a que l’embarras du choix.