« Je n’ai plus d’allergie » : la tentation inédite du vote pour le RN chez les Français juifs

Pour 92% des Juifs français, le parti de Jean-Luc Mélenchon contribue à faire monter l’antisémitisme. LUDOVIC MARIN / AFP

TÉMOIGNAGES – Historiquement hostile au parti fondé par Jean-Marie Le Pen, une partie de la communauté juive envisage désormais de voter pour le Rassemblement national.

Qui eut pu prédire une telle déclaration ? Face à La France insoumise, «je voterai pour le RN parce que […] l’axe de ma vie, c’est défense de la mémoire juive, la défense des juifs persécutés, la défense d’Israël», a déclaré Serge Klarsfeld, grand défenseur de la cause des déportés juifs de France, samedi 15 juin, ajoutant n’avoir désormais aucune «hésitation».

La semaine dernière, c’est Alain Finkielkraut, né de parents réfugiés juifs polonais, qui a déclaré dans l’hebdomadaire Le Point envisager de voter pour le parti fondé par Jean-Marie Le Pen. «Ce n’est pas encore le cas, mais peut-être y serai-je contraint à plus ou moins longue échéance s’il n’y a pas d’alternative», a-t-il dit, décrivant un «cauchemar». «Si même les juifs se mettent du côté de l’extrême droite, on n’en finira jamais», a regretté de son côté la rescapée d’Auschwitz-Birkenau Ginette Kolinka, le 19 juin dernier à FranceInfo.

Il reste que le philosophe et l’historien, intellectuel de renom pour l’un et véritable autorité morale pour l’autre, ont exprimé pour la première fois une position de plus en plus partagée dans la communauté juive. Pour 92% des Juifs français, le parti de Jean-Luc Mélenchon contribue à faire monter l’antisémitisme, selon une enquête de l’Ifop publiée au début du mois. Le Rassemblement national (RN), lui n’arrive qu’à la troisième position après les Écologistes avec 49%.

«Je n’ai jamais vu cela», commentait alors le sondeur Frédéric Dabi, affirmant que la fracture entre les Juifs de France et la gauche mélenchoniste est aussi impressionnante désormais que le retour en grâce du parti nationaliste.

L’antisémitisme

«Je n’ai plus d’allergie, l’antisémitisme d’il y a 20 ans n’est plus le problème aujourd’hui», témoigne David*, un entrepreneur de 27 ans qui vit en région parisienne et se dit prêt à voter pour le candidat LR/RN dans sa circonscription. «Vis-à-vis de mon identité juive, je ne me demande pas qui est le plus philosémite, je me demande quel parti peut mettre en place les politiques publiques les plus à même d’améliorer le quotidien des juifs en France», se justifie-t-il.

Pour lui, et comme pour de nombreux autres juifs tentés par un vote en faveur du RN, l’antisémitisme est aujourd’hui davantage présent dans les populations immigrées : «La lutte contre l’immigration est donc mécaniquement indispensable», avance-t-il.

Dans un autre sondage de l’Ifop publié en mai et qui se veut être une «radiographie» de l’antisémitisme, les Français de confession juive interrogés perçoivent comme causes principales de l’antisémitisme la haine d’Israël et les idées islamistes. En troisième position, ils citent «les idées d’extrême gauche» avant même les «idées d’extrême droite», placées en dernière position, inversant donc leur perception par rapport à la précédente enquête réalisée en 2022.

Droitisation de l’électorat juif

«Depuis le 7 octobre, tout a changé», continue David. «Dans ma famille qui vote habituellement au centre droit, c’était inconcevable de voter pour le RN jusqu’à il y a quelques mois», confie-t-il. Le jeune homme invoque aussi la nouvelle crédibilité des dirigeants du parti nationaliste, incarné par Jordan Bardella, ou l’alliance avec le président des Républicains Éric Ciotti, qui permet d’en finir avec «cette image d’incompétence» et «aide à se projeter».

Pour Noémie Halioua, journaliste et auteur de livres sur le sujet, le vote pour le RN dans le cas d’un duel avec LFI est aujourd’hui «une question de vie ou de mort». «Si LFI arrive au pouvoir, je crains les pogroms, les attaques massives de synagogues, je crains la fin de la vie juive en France», lance-t-elle sans ambages. «La droitisation des juifs en France tient à des raisons de sécurité, au-delà des convictions politiques profondes», analyse-t-elle.

Cette «droitisation» s’observe depuis 20 ans, ajoute l’essayiste, situant le tournant avec la vague d’antisémitisme en France qui a accompagné la seconde Intifada au début des années 2000. S’il n’y a pas un vote juif comme il n’y a pas un vote catholique, il est possible néanmoins de déterminer une tendance générale dans cet électorat traditionnellement libéral. Lors des élections de 2007 puis de 2012, le vote pour l’UMP est largement surreprésenté dans l’électorat juif. Surtout, le vote pour le FN dans la communauté juive augmente significativement, sans toutefois atteindre la moyenne nationale, soulignant encore le fort rejet du parti à la flamme qui commence alors son entreprise de dédiabolisation par Marine Le Pen.

«L’ancrage à droite des Français de confession juive s’est confirmé lors de ces élections législatives», notait ensuite en 2017 Jérôme Fourquet, rapportant qu’à Sarcelles, dans les bureaux de vote du quartier à forte population juive appelé la «Petite Jérusalem», le candidat de la droite dans la 7e circonscription du Val-d’Oise devance largement son rival de LREM. Aux élections européennes, les deux listes arrivées en têtes dans la circonscription sont désormais le RN avec 26% et LFI avec 19%.

«Se tourner vers l’avenir»

«C’était plutôt le père de Marine Le Pen qui était antisémite. Elle s’est complètement détachée de lui. Elle s’est battue pour ne pas être associé à son père», rapporte de son côté Sarah, qui, à 18 ans, a voté pour la première fois aux élections européennes en déposant dans les urnes un bulletin RN. «On connaît l’histoire, mais il faut aujourd’hui se tourner vers l’avenir. C’est un des seuls partis qui veut stopper l’immigration massive, qui veut remettre les choses en place», estime-t-elle. Ses parents ont voté pour Reconquête en 2022, et cela a peut-être permis d’opérer la transition, confie-t-elle encore. Le parti d’Éric Zemmour a d’ailleurs obtenu 42% des voix chez les Français d’Israël, devançant la liste des Républicains. Le Rassemblement national a en revanche fait moins bien que sa moyenne nationale. «J’ai des amies catégoriques qui ne veulent pas voter pour le Rassemblement national», nuance Sarah.

Mais tous partagent une grande inquiétude depuis le 7 octobre face à la recrudescence spectaculaire des actes antisémites, avec encore récemment, le terrible viol d’une adolescente de 12 ans à Courbevoie avec «violences, menaces de mort et injures antisémites». La radiographie de l’antisémitisme publiée par l’Ifop rapporte que 56% des juifs interrogés déclarent avoir arrêté de porter des signes religieux dans l’espace public. 19% ont retiré la mézouzah [objet de culte à l’entrée des maisons] de leur façade et 18% ont modifié leur nom de famille sur les applications de livraisons à domicile.

Un grand désarroi

«Depuis le 7 octobre, les synagogues sont pleines, les gens ont besoin de se retrouver ensemble», rapporte de son côté Yann Boissière, rabbin du Judaïsme en Mouvement et président de l’association Les Voix de la Paix. «La tentation du vote RN est une faiblesse due au grand désarroi du moment», estime-t-il. «Je suis soufflé par la communication politique impeccable du RN contre l’antisémitisme mais c’est un leurre», déplore aussi le rabbin.

Et si «c’est indéniable que Marine Le Pen n’est pas animée d’antisémitisme comme l’était son père, le parti conserve cette empreinte, je garde cet instinct historique et je ne lui fais pas confiance», ajoute le rabbin qui affirme voter avec dépit pour ce qu’il appelle «le marais du centre». Un avis qui rejoint en partie celui exprimé par le journaliste Simon Moos, que cite également le jeune entrepreneur David lors de notre échange. «Pour le RN, je conserve une méfiance. Pour la France insoumise, je n’ai plus l’ombre d’un doute», a-t-il écrit sur X le 16 juin.

Au-delà de Finkielkraut et Klarsfeld, aucune structure représentative juive n’a toutefois appelé publiquement à choisir, même par défaut, le RN en cas de second tour face à LFI. «Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) se cantonne au ni-ni, mais les institutions, qui sont forcément bloquées par l’histoire, évoluent», estime Noémie Halioua. «Pour Francis Kalifat, l’ancien président du CRIF, le danger absolu c’était l’extrême droite. Yonathan Arfi aujourd’hui, ne retient pas ses coups contre LFI», fait-elle remarquer.

«Les Républicains n’auraient plus de républicain que le nom s’ils choisissaient de faire alliance avec le RN!», a cependant déclaré le président du CRIF la semaine dernière, tout en fustigeant l’«accord infâme» avec LFI à gauche.

*Les prénoms ont été modifiés

© Par Mayeul Aldebert

Source: Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/actualite-france/je-n-

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