La libération samedi 15 juin 2024 d’Hamid Nouri dans le cadre d’un échange de prisonniers entre l’Iran et la Suède met en colère l’opposition iranienne en exil. Qui est cet homme, condamné à la prison à perpétuité pour crimes de guerre ?
Un échange de prisonniers qui met en colère l’opposition iranienne en exil. La Suède a annoncé samedi 15 juin 2024 la libération de Johan Floderus, un diplomate de l’Union européenne détenu en Iran depuis avril 2022, accusé d’espionnage et qui risquait la peine de mort, et de Saeed Azizi, arrêté en novembre 2023, en Iran également. En échange, le royaume scandinave a remis en liberté Hamid Nouri, condamné en 2022 à la prison à perpétuité pour crimes de guerre. Cette décision a provoqué l’ire du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), dont fait notamment partie l’organisation des moudjahidines du peuple iranien.
Hamid Enayat, politologue iranien qui collabore régulièrement avec le CNRI, considère que cette libération est « totalement injustifiable ». Selon lui, elle incite les autorités iraniennes à continuer leur politique d’emprisonnement de ressortissants occidentaux, afin d’utiliser ces derniers comme monnaie d’échange dans les relations diplomatiques. « C’est une erreur de penser qu’on peut apprivoiser un crocodile en le nourrissant», déclare-t-il à propos du régime iranien. Après la libération de ces deux ressortissants suédois, et celle du Français Louis Arnaud la semaine dernière, l’Iran détient toujours neuf prisonniers occidentaux, dont trois Français.
La libération d’Hamid Nouri a aussi suscité la colère des proches des victimes de la vague d’exécutions de 1988 dans les prisons du régime iranien, pour laquelle il a été jugé coupable. « Tous les gens qui ont eu des proches exécutés sont contre cette libération. Il y a des milliers de familles qui vivent avec l’espoir qu’un jour tous ces criminels soient jugés. Et aujourd’hui, la Suède a libéré un des responsables qui a pourtant été condamné », regrette le politologue. Selon lui, la libération des prisonniers occidentaux détenus en Iran doit passer par une politique ferme à l’égard de la République islamique, et non par des échanges de prisonniers de ce type.
Condamné pour la vague d’exécutions de 1988
À l’été 1988, alors que la guerre Iran-Irak prend fin après huit années de combats, les moudjahidines du peuple iranien lancent une offensive depuis l’Irak. L’organisation de gauche, fondée en 1965 pour lutter contre le régime monarchiste du Shah tombé en 1979, souhaite alors renverser la République islamique.
Rapidement repoussée par l’armée iranienne, l’offensive débouche sur une fatwa – un décret religieux – prise par l’ayatollah Khomeyni, fondateur et alors Guide suprême de la République islamique. Le texte prévoit que les membres de l’organisation des moudjahidines du peuple soient à nouveau jugés, et que ceux qui refusent de renoncer à leur engagement politique soient condamnés à mort.
Sans préavis, les autorités carcérales iraniennes suspendent alors les visites, coupent l’accès à la télévision, à la radio et aux journaux, et restreignent l’accès aux soins des détenus. S’ensuit une série d’exécutions, au cours de laquelle plusieurs milliers de prisonniers politiques sont tués. Aujourd’hui encore, on ignore le nombre exact de victimes de ce massacre.
Alors âgé de 27 ans, Hamid Nouri participe à faire appliquer cette fatwa. Il est procureur détaché à l’intérieur des prisons, et porte le pseudonyme Hamid Abbasi. Avec sa complicité active, les centres de détention iraniens sont le théâtre d’un véritable bain de sang, notamment dans les prisons de Gohardasht et d’Evin, connues pour accueillir de nombreux détenus politiques.
Un procès en Suède… Délocalisé en Albanie
Si c’est en Suède qu’Hamid Nouri a été jugé, c’est d’une part car la justice du pays a une compétence universelle en matière de crimes de guerre, et d’autre part en raison d’une arrestation rocambolesque digne d’un scénario hollywoodien. En novembre 2019, l’ex-gendre du criminel de guerre, ainsi qu’Iraj Mesdaghi, un ancien prisonnier politique iranien, font miroiter à Hamid Nouri un séjour luxueux en Suède, en se faisant passer pour une agence de voyages. Une plainte avait au préalable été déposée contre lui dans le pays. À son arrivée à l’aéroport, le piège se referme sur Hamid Nouri, qui est immédiatement arrêté.
Au cours du procès, qui a duré un an, les audiences ont dû être délocalisées en Albanie pour deux semaines, afin d’entendre des témoins vivant dans le pays des Balkans, qui accueille de nombreux membres des moudjahidines du peuple.
Le verdict est finalement tombé le 14 juillet 2022, et Hamid Nouri a été condamné à la prison à perpétuité. Une décision rejetée par l’Iran qui a jugé le gouvernement suédois « responsable des dommages causés aux relations bilatérales ». Depuis, les tensions diplomatiques entre les deux pays se sont accentuées.
Hamid Enayat avec Camille Stineau pour La Croix
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