Quand un tribunal refuse Israël à un salon d’armement. Par Noëlle Lenoir et Jean-Éric Schoettl

TRIBUNE. Le refus d’accepter la délégation israélienne au salon d’armement Eurosatory apparaît bien peu motivé juridiquement, et laisse transparaître une idéologie mortifère.

Interprétant l’ordonnance de la Cour Internationale de justice de mai dernier comme devant déboucher sur un embargo, le tribunal de Bobigny ordonne un boycott total, mettant ainsi la justice au diapason d’un mot d’ordre rabâché depuis longtemps par l’extrême gauche et les milieux islamistes. © Mohammed Salem / REUTERS

Interprétant l’ordonnance de la Cour Internationale de justice de mai dernier comme devant déboucher sur un embargo, le tribunal de Bobigny ordonne un boycott total, mettant ainsi la justice au diapason d’un mot d’ordre rabâché depuis longtemps par l’extrême gauche et les milieux islamistes.

Eurosatory est un salon international de défense et de sécurité terrestres parmi les plus prestigieux au monde. Il s’ouvre ce lundi 17 juin au parc des expositions de Villepinte alors que jamais depuis la dernière guerre mondiale les démocraties n’ont eu tant besoin de se défendre, y compris par les armes comme c’est le cas pour l’Ukraine, mais aussi pour Israël après les massacres du 7 octobre 2023. Jamais non plus, depuis la dernière guerre mondiale, les budgets militaires n’ont connu une telle hausse.

Résultat : le nombre d’exposants dépasse les deux mille, et 61 pays et 250 délégations officielles sont représentés. Celle d’Israël est la seule interdite d’entrée de par la volonté du président de la République française, d’abord, de par un jugement du 14 juin du tribunal judiciaire de Bobigny, ensuite. La Chine, en revanche, est bien présente, en dépit des menaces sur Taïwan et alors qu’un embargo sur les armes a été décidé par l’Union européenne et les États-Unis en 1989 à la suite de la répression sanglante des manifestations de la place Tian’anmen, et n’est pas levé ! On imaginerait volontiers que la Chine, pays sous embargo, ne soit pas invitée et qu’Israël, partenaire de confiance des pays occidentaux, le soit comme à l’habitude. Eh bien, c’est tout le contraire !

L’idéologie derrière le jugement

Sur demande du président Macron, le ministre de la Défense a enjoint à Coges Events, société spécialisée dans l’organisation d’événements et filiale du Gicat (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres), d’interdire toute participation des 74 entreprises israéliennes parmi les plus performantes au monde ; ce qui a conduit la chambre de commerce franco-israélienne à écrire au ministre, qui n’a pas daigné répondre.

C’est alors que l’affaire a pris une tout autre dimension idéologique. Des ONG palestiniennes antisionistes, qui n’hésitent pas à traiter Israël de génocidaire parmi d’autres galanteries, comme France-Palestine Solidarité ou Al-Haq, ont saisi le tribunal judiciaire de Bobigny pour étendre les limites du bannissement dont font désormais l’objet les Israéliens en France, au nom du « trouble manifestement illicite » que constituerait la venue d’industriels israéliens et de leurs salariés. Le tribunal judiciaire de Bobigny leur a fait droit à 100 %. Les industriels israéliens ou leurs salariés ne peuvent même pas se rendre comme visiteurs sur les lieux et il est formellement interdit aux exposants de faciliter les contacts entre des Israéliens et les délégations officielles !

Ce jugement de référé est sans précédent, car derrière une motivation juridiquement erronée, c’est l’idéologie qui semble avoir triomphé.

La justice au diapason de l’extrême gauche

Le tribunal de Bobigny s’est appuyé sur l’ordonnance du 24 mai de la Cour internationale de justice (CIJ) qui, sur recours de l’Afrique du Sud (au nom du Hamas), a rappelé Israël à ses obligations au regard de la convention sur le génocide, seul instrument international invoqué par l’Afrique du Sud. Mais la CIJ ne prescrit aucun boycott militaro-commercial à l’encontre d’Israël ; elle n’enjoint pas non plus à Israël de cesser ses opérations militaires à Rafah ; elle ne juge pas davantage que ces opérations constituent un génocide. La cour demande seulement à Israël (à laquelle elle reconnaît le droit de se défendre) de prendre toutes précautions pour veiller à ce que ses opérations militaires à Rafah, par leurs effets sur la population civile, ne soient pas « susceptibles » d’entraîner un risque de génocide.

L’appréciation en est laissée au gouvernement israélien.

Or le tribunal fait comme si la simple visite à Eurosatory d’un industriel israélien réalisait ce risque de génocide et constituait donc un « trouble manifestement illicite ». Interprétant l’ordonnance de la CIJ de mai dernier comme devant déboucher sur un embargo, le tribunal de Bobigny ordonne un boycott total, mettant ainsi la justice au diapason d’un mot d’ordre rabâché depuis longtemps par l’extrême gauche et les milieux islamistes, et qui se trouve en bonne place dans le programme du “Nouveau Front populaire”.

Pourtant, il n’appartient pas à un tribunal judiciaire, moins encore au juge de l’urgence qu’est le juge des référés civils, de s’immiscer dans les relations étrangères de la France, ni d’appliquer directement, au surplus en en détournant le sens, les décisions d’une cour internationale.

« Aucune base juridique »

Quant au gouvernement, il ne pouvait non plus tirer de l’ordonnance de la CIJ le pouvoir d’interdire aux entreprises israéliennes de participer au salon Eurosatory. Il ne pouvait davantage se fonder sur les déclarations du chef de l’État favorables à un cessez-le-feu : elles n’ont pas de valeur proprement juridique. Le président français souhaite un cessez-le-feu : c’est une opinion. Aucune base juridique non plus à l’interdiction dans les résolutions de l’ONU, puisque le Conseil de sécurité n’a jamais pris jusqu’ici une résolution « chapitre VII », c’est-à-dire impérative, sur le sujet.

La décision du ministre de la Défense, en tant qu’autorité de tutelle de la Coges, est aussi contestable sur le fond comme sur la forme. Soit il s’agit d’un embargo, mais alors il devrait résulter de la loi, ou d’un acte pris sur le fondement du traité sur l’Union européenne, d’un accord international régulièrement ratifié ou approuvé, ou d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Soit c’est une mesure de police administrative, mais alors son but doit être légitime et ses effets proportionnés. Et il faut la motiver et respecter le contradictoire : or elle est purement verbale.

Quand le politique se mêle du juridique, on n’est plus dans l’État de droit. Voilà la grave question posée par un contentieux qui n’aurait pas dû exister !

© Noëlle Lenoir et Jean-Éric Schoettl

Noëlle Lenoir est avocate et membre honoraire du Conseil constitutionnel.

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.

Source: Le Point

https://www.lepoint.fr/debats/quand-un-trib

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