« Monsieur Jacques était un Prince »
Bon Dimanche
On a tous peu ou prou oublié la fête des Pères.
Les médias , qui se chargent habituellement d’en faire une lourde promotion, avaient d’autres chats à fouetter.
Les marchands de cravates et d’after shave se débrouilleront sans eux.
De toutes façons, plus personne ne porte de cravate, sauf Macron à la télévision.
Et Bardella.
Ça ne lui a pas porté bonheur.
Eût-il eu plus de chance en polo griffé d’un crocodile ou d’un joueur de polo, un rien plus chic?
Il est trop tard pour ergoter.
Bardella se positionne en petit bourge cravaté, rasé, terminant sa croissance sous les caméras complaisantes.
La cravate lui a offert des voix.
Je me demande finalement si c’est là-dessus qu’il faut porter son analyse politique, car si l’habit ne fait pas le moine, la cravate ne fait pas le vainqueur des élections.
Mon Papa, qui ressemblait à un Prince, ne sortait jamais sans cravate et rarement sans chapeau.
Son oeil acéré photographiait les couleurs avec une virtuosité peu commune et il assortissait une rayure de cravate d’une indicible couleur à une chemise exactement du même ton.
Un costume bien coupé et des chaussures scintillantes achevaient de lui donner cet air aristocratique qui signait sa notoriété.
Monsieur Jacques était un Prince.
Mais pas seulement à l’extérieur.
Son âme et son esprit possédaient une grandeur dont disposent peu d’altesses royales.
Sa générosité, sa tolérance, son exceptionnelle intelligence doublée d’une insatiable curiosité , son humanisme, caparaçonnés d’un humour sans faille faisant écho à un regard toujours un peu moqueur, signaient le Mentsch dans toute sa splendeur.
Il débusquait en une nano seconde le ridicule ou le paradoxe d’une situation, le mot inopportun, la faille d’un pesant préjugé, la contradiction d’un syllogisme, il anticipait une chute au propre ou au figuré qui ne manquait jamais de se produire.
L’écran que le monde lui offrait ne le satisfaisait jamais.
Il lui fallait en permanence aller déloger le mensonge, l’imposture, la fraude intellectuelle.
Bien que le français ne soit pas sa langue maternelle, il en avait assimilé et même annexé toutes les finesses, toutes les subtilités et les arcanes sémantiques faisaient ses délices dans une sagacité politique qui me foudroyait sur place.
Mais son triomphe, c’était sa capacité à comprendre et à aimer l’autre.
Il a aimé ma mère ( « T’inquiète pas, ketzeleh, elle est juste très nerveuse ») jusqu’à son dernier souffle, tentant de calmer ses colères d’un « shah shah, siz a kind… »
Il m’a aimée sans aveuglement, mettant souvent à jour mes contradictions, ma paresse, ma frivolité…
Mais inconditionnellement…
Et il a enfoui ses douleurs, ses fractures, ses déchirements, qui jaillissaient parfois dans des torrents de larmes et des cris où il appelait sa mère partie dans les fumées d’Auschwitz avec le reste de sa famille…
Rouge écarlate , il psalmodiait des prénoms, appelant sa mère, murmurant des mots en yiddish, et je regardais, terrifiée et impuissante, ce geyser de souffrance qui me faisait craindre le pire…
Et puis la vie reprenait ses droits, il travaillait d’arrache-pied pied dans ce pays d’accueil qui lui avait ouvert grand ses portes, il voyageait, lisait, tentant de comprendre ce monde bicéphale qui lui avait offert le pire et le meilleur.
Il racontait alors des blagues -souvent salaces- qui lui arrachaient des rires tonitruants tandis que ses auditeurs en attendaient patiemment la chute.
Je remercie le ciel qu’il ne voie pas ce qui s’ourdit politiquement aujourd’hui, qui risque de signer le sort des juifs en France et dans le monde.
Il partage la vie des anges au Paradis, me regardant parfois avec désapprobation en hochant la tête comme il le faisait autrefois, « Tu ne réfléchis pas assez, maydeleh, réfléchis un peu plus, et tu trouveras la solution toute seule… »
Oh oui!!
Je suis souvent toute seule sans lui, sans sa sagesse, sans ses conseils avisés, sans sa patience infinie pour décortiquer avec soin les mystères d’un monde si souvent incompréhensible…
J’ai aimé le faire revivre dans cette chronique, pas de petits cailloux blancs sur la dalle froide de Bagneux, il est là, et sa main tiède serre la mienne, ketzeleh, ketzeleh…
Bonne fête, Papa
Bonne fête à tous les papas…
A ceux qui sont là, et à ceux qui sont à jamais tatoués sur le coeur de leurs enfants…
Bonne fête à ceux qui ne seront peut-être jamais papas, mais qui donnent et reçoivent des camions d’amour et d’amitié…
© Michèle Chabelski
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