Lee Yaron: “Le 7 octobre, le rêve d’Israël s’est brisé”. Par Guillaume de Dieuleveult

Lee Yaron. Caterina Favino/Grasset
 7 octobre, Lee Yaron, Grasset

ENTRETIEN – La journaliste publie 7 octobre. Le récit des destins croisés d’Israéliens confrontés à l’attaque terroriste la plus meurtrière que leur pays ait subie en 76 ans d’existence.

Comme tous les Israéliens, Lee Yaron est toujours sous le choc de l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre. Elle a perdu des proches et elle a toujours peur pour l’avenir de son pays. Comprenant très vite l’ampleur de la catastrophe, cette journaliste du quotidien Haaretz a décidé de raconter au plus près cette journée qui a tout changé en Israël. Dans son ouvrage, publié chez Grasset, elle livre les témoignages de cent Israéliens frappés dans leur chair, à travers lesquels elle dresse le portrait d’un pays plongé dans une tourmente existentielle.

LE FIGARO. – Où étiez-vous le 7 octobre?

Lee YARON. - J’étais à New York. Je suis née à Tel-Aviv, j’ai vécu toute ma vie en Israël. Mais je venais d’entamer une année d’études à l’université de Columbia sur la politique climatique: un thème sur lequel je travaillais en tant que journaliste scientifique pour Haaretz. Finalement, l’année ne s’est pas déroulée comme prévu…

Même si Israël commet des crimes contre des Palestiniens, il n’y a aucune volonté de supprimer tous les Palestiniens

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris l’attaque terroriste du Hamas?

J’ai été dévastée. Je le suis toujours. Une partie de ma famille vit à Ofaqim, une des villes qui ont été attaquée. C’est une ville pauvre, les gens n’y ont pas tous un abri. Certains, qui essayaient de rejoindre les abris publics, se sont fait tirer dessus par les terroristes: 49 personnes ont été tuées par le Hamas à Ofaqim.

Qu’avez-vous décidé de faire?

J’ai décidé d’écrire. C’est ce que nous savons faire, nous, les journalistes: c’est notre privilège et notre devoir. J’ai écrit, pour un journal new-yorkais, un article sur onze familles qui avaient été victimes du 7 octobre. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un appel de Grasset. L’éditeur avait lu l’article, il m’a demandé si cela m’intéresserait d’en tirer un livre. J’ai dit oui, et j’ai proposé d’écrire ce qui était arrivé ce jour-là à cent personnes.

Comment avez-vous choisi ces témoins?

Je ne souhaitais pas raconter l’histoire de telle ou telle personne, mais les présenter de façon combinée. Dans notre communauté, le sentiment d’être tous ensemble, comme une famille élargie, est un élément clé. C’est pourquoi j’ai voulu montrer les connexions entre toutes les victimes de cette attaque terroriste.

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Selon vous, qu’est-ce qui a changé, en Israël, ce 7 octobre?

Je crois que, d’une certaine manière, les Israéliens sont redevenus des Juifs ce jour-là. Israël était supposé être la conclusion de l’histoire juive: l’ultime refuge après des siècles de persécutions. Quand mes grands-parents sont arrivés en Israël, après l’Holocauste de la Seconde Guerre mondiale, ils fuyaient des pogroms, des massacres, parce qu’ils étaient juifs. Ils espéraient qu’avec l’établissement d’Israël, leurs enfants et leurs petits-enfants connaîtraient un meilleur destin. Ils croyaient qu’ils n’auraient pas besoin d’enseigner la langue de leur pays de naissance à leurs enfants, car l’hébreu serait leur langue pour toujours. Ils pensaient que nous serions toujours en sécurité en Israël. Le 7 octobre, ce rêve s’est brisé. Ce jour-là, nous avons tous été frappés par le sentiment que nous n’aurions peut-être bientôt plus de pays.

Vous dites que le gouvernement de Benyamin Netanyahou vous a trahis. Pourquoi?

Comme 50 % des Israéliens, j’appartiens à la génération née au moment de l’assassinat de Yitzhak Rabin. L’espoir né avec Oslo était mort. Nous avons grandi dans l’idée que nous ne pourrions pas régler le conflit, que cette guerre ne s’arrêterait jamais, que nous devions nous contenter de la gérer, vivre avec. Benyamin Netanyahou, qui a été premier ministre pendant toutes ces années, nous expliquait que, certes, il y aurait encore des attaques terroristes, suivies d’autres «opérations militaires» à Gaza ou en Cisjordanie, mais que nous pouvions vivre au milieu de tout cela, dans notre nation high-tech. On a appris aux Israéliens à croire que nous pouvions avoir une bonne vie ici, au Proche-Orient, sans régler le conflit ni en payer le prix. Le 7 octobre nous a appris que cela n’était pas vrai.

Rien ne justifie les meurtres de personnes innocentes à Gaza, mais rien ne justifie non plus que des gens, à l’université de Columbia par exemple, affirment soutenir le Hamas ou l’intifada globale

Plus de huit mois après, la société israélienne est toujours sous le choc. Pensez-vous que le reste du monde comprenne cette peine et cette peur dans laquelle vivent les Israéliens?

Malheureusement non. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre. À travers ces cent histoires, je raconte aussi tous les traumas qui préexistaient à celui du 7 octobre. J’espère que les gens qui le liront comprendront qu’ici, nous sommes tous à la fois des victimes et des méchants. Les gouvernements israéliens se sont souvent mal comportés, ils ont fait beaucoup de choses mauvaises, mais cela n’enlève rien au fait que les Juifs sont arrivés ici en tant que réfugiés.

Quand je vois que les Israéliens sont définis comme des colons blancs, je ne peux pas oublier le fait que plus de la moitié d’entre eux ont été déportés de pays arabes, comme l’Égypte ou le Maroc, entre les années 1930 et les années 1980, juste parce qu’ils étaient juifs. On ne peut pas oublier cette peine et ce trauma qui se trouvent au cœur de chaque famille israélienne. Désormais, le monde essaie d’avoir une image en noir et blanc de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. Malheureusement, ce conflit est trop compliqué. Rien ne justifie les meurtres de personnes innocentes à Gaza, mais rien ne justifie non plus que des gens, à l’université de Columbia par exemple, affirment soutenir le Hamas ou l’intifada globale. J’ai vécu pendant l’intifada, j’y ai perdu des proches, je sais ce qu’intifada veut dire.

Il y a un mot qui revient beaucoup pour désigner la guerre dans la bande de Gaza, c’est le mot «génocide». Que pensez-vous du fait que ce mot soit employé dans ce contexte?

Je ne pense pas que ce soit un mot approprié. Même si Israël commet des crimes contre des Palestiniens, il n’y a aucune volonté de supprimer tous les Palestiniens. Ça ne veut pas dire que cette guerre n’est pas horrible mais nous devons regarder les faits, et garder à l’esprit que c’est un conflit compliqué. Il faut aussi faire la distinction entre les peuples et leurs gouvernements. La confusion est trop souvent faite entre Benyamin Netanyahou et Israël tout entier. En dehors du pays, trop de gens ne prennent pas la peine d’envisager les Israéliens, avec leur douleur, leur peine, abstraction faite de leur gouvernement. Regardez la Russie: vous savez bien faire la distinction entre Poutine et le peuple russe, non? Tous les Russes ne sont pas accusés de la guerre en Ukraine. Pourtant, dans cette guerre contre le Hamas, tous les Israéliens sont supposés être responsables de ce qui se passe à Gaza. Je crois que c’est dangereux et inquiétant. Je ne pense pas que cela nous conduise vers la paix.

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Croyez-vous qu’un désir de paix puisse émerger de la nouvelle génération d’Israéliens, à laquelle vous appartenez?

Il y a actuellement, en Israël, un profond changement. Tout le monde est remis en cause dans ses opinions. Prenez les habitants du kibboutz Beeri, qui militaient pour la paix, aidaient les Palestiniens de Gaza et ont été massacrés le 7 octobre. Les survivants ont le sentiment d’avoir été trompés. Désormais, ils se disent qu’ils ont été stupides de croire que les Palestiniens voulaient un futur avec eux, qu’ils auraient dû voter pour la droite. Mais, en même temps, prenez une fervente partisane de Netanyahou, qui n’a pas été défendue le 7 octobre, dont des proches ont été tués par les terroristes du Hamas… Je crois qu’il est un peu tôt pour dire de quoi notre avenir sera fait, mais je pense que beaucoup de gens sont en train de se réveiller. Notamment la gauche, qui s’est endormie pendant des années, qui se regardait le nombril dans les cafés de Tel-Aviv pendant que la droite prenait le pouvoir. En ce moment, la gauche israélienne n’a aucune chance de remplacer ce gouvernement. Mais, à long terme, j’espère qu’après tant de morts et de souffrances, les gens se lèveront et diront: ça suffit, nous devons trouver une autre voie.

Source: Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/international/lee-yaron-le-7-octobre-le-reve-d-israels-est-brise-20240611

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4 Comments

  1. La presse française , a l exception du ” point” et de cnews n a plus aucune credibilité .
    Je lis regulierement les ” papiers” de ce Mr de Dieuleveut et j y trouve globalement la doxa antisioniste du quai d orsay , une analyse tronquée par la pregnance d une ideologie simpliste et peu credible .
    L alliance peu subtile de l ignorance et de la paresse intellectuelle , bref , la pensée macronienne .

  2. Ce sont les palestiniens qui veulent détruire Israël et exterminer les juifs et prendre leur place comme certain a dit « si Ies Arabes abaissaient les armes il y aurait la paix, si Israël abaisse les armes il n’y aurait plus d’Israël «  tout le reste n’est que littérature ! La preuve avec le 7 Octobre
    Il n’y avait pas de juif a Gaza depuis 2006, ils auraient pu faire un paradis ils ont préféré la guerre et l’enfer, et tant qu’ils éduquent leurs enfants à la haine des juifs et paient les shahids pour tuer le maximum de juifs avec la complicité passive des pays donateurs il ne peut y avoir de paix.

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