Dans un entretien récent réalisé le 19 mars 2024, avec l’écrivain David Dufresne, l’historien du nazisme Johann Chapoutot déclarait à propos de Benjamin Netanyahou, chef du gouvernement israélien, qu’il était un « admirateur du fascisme italien et du nazisme allemand, dont Netanyahou a contribué à relativiser les crimes, puisque Netanyahou a dit à plusieurs reprises qu’au fond Hitler n’avait pas voulu tuer les juifs, qu’au fond la solution finale n’était pas du tout une idée nazie, mais avait été soufflée par de méchants Arabes, en l’occurrence le grand mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini ».
De la part d’un historien professeur d’université, édité dans la prestigieuse collection « Bibliothèque des histoires » chez Gallimard, et par surcroît dispensateur de formations au Mémorial de la Shoah, on demeure stupéfait moins par la stupidité que par la perversion d’un propos qui retourne le nazisme contre ses victimes. Plus de cinquante ans après les déclarations de Vladimir Jankélévitch en 1971 (« et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis, mon dieu, ce serait merveilleux »), M. Chapoutot illustre cette dérive qui consiste à faire des Juifs des nazis ou, comme ici, des admirateurs de nazis au prétexte que Netanyahou, il y a quelques années, aurait imputé à l’ex-grand mufti de Jérusalem la responsabilité de la Shoah. La stupidité du propos du politicien israélien avait provoqué dans son pays une vague d’indignation. Et aucun historien n’avait évidemment souscrit à de telles inepties.
Dans cet entretien, l’historien couvre d’opprobre l’actuel gouvernement d’Israël (c’est son droit, et je vois moi-même dans ce gouvernement un danger pour l’État d’Israël). Là n’est donc pas la question. Ce qui pose problème, c’est d’en faire la cause du rejet structurel de l’État juif par son environnement arabe. Soit il ignore l’histoire de ce long conflit, et dans ce cas il se tait, soit il sait que c’est faux, et dans ce cas c’est un faussaire qui donne des gages à son camp idéologique.
Mais M. Chapoutot se veut également historien du sionisme. Il parle à cet égard d’ « une histoire pluri décennale, voire séculaire, d’une colonisation indue, illégitime». De quoi parle-t-il ? D’une colonisation à Gaza où depuis 2005 il n’y a plus aucune implantation juive. En Cisjordanie ? Mais les attaques ont eu lieu autour de la bande de Gaza, en majorité dirigées contre des kibboutzim partisans du camp de la paix, et dont nombre de membres s’étaient engagés personnellement auprès des Palestiniens jusqu’à conduire des enfants arabes dans les hôpitaux israéliens pour les y faire soigner du cancer ou de malformation cardiaque.
En réalité, non, ce que Monsieur Chapoutot vise, c’est le mouvement sioniste tout entier depuis ses origines, assimilé à une « colonisation indue et illégitime ». Passons sur l’ignorance que ces propos révèlent quant aux conditions de naissance de ce mouvement national dans la Palestine ottomane des années 1860-1870 comme en Europe orientale au même moment. Venant d’un intellectuel reconnu, ces propos de type « brève de comptoir » contribuent à leur petite échelle à délégitimer l’existence de l’État juif et à ouvrir contre lui, pour tout un chacun, un permis de démolition. Car c’est bien la destruction de cet État qui est à l’ordre du jour d’un grand nombre de mouvements, et même d’un État membre de l’ONU, la république islamique d’Iran. Tout processus génocidaire commence par des mots qui accoutument les esprits, préparent le terrain, abaissent le niveau de vigilance et de refus du crime, bref rendent possible ce qu’hier encore on aurait rejeté avec dégout.
La dérive de Monsieur Chapoutot n’est pas nouvelle. Passons sur l’amalgame réducteur du nazisme au management du capitalisme contemporain. Plus avant, après de bons travaux relatifs au lien du nazisme et de l’Antiquité, l’historien du nazisme, à rebours d’ailleurs de ses propres travaux, se refusait à y voir le produit d’un peuple et d’un lieu, l’aboutissement d’une partie de la pensée allemande. Au mépris de nombreux travaux historiques sur le sujet, l’historien assurait que le génocide aurait pu frapper n’importe quel autre peuple. En occultant la culture qui avait fait des Juifs le peuple-témoin avant d’en faire le peuple-paria. Quand il dégermanise ( et donc banalise) le nazisme, quand il minimise le substrat antisémite pluriséculaire de l’Occident, M. Chapoutot est au pire sens du terme un authentique révisionniste.
Avec le sionisme, sortant de son domaine de compétence, il aborde un monde dont il ne connaît visiblement pas grand-chose. En faisant platement du sionisme un surgeon du colonialisme, il contribue, avec d’autres, au démantèlement intellectuel de l’État juif. Comme d’autres, et avec d’autres, il aurait demain sa part de responsabilité si la meute d’ennemis regroupés autour de l’État d’Israël parvenait à ses fins. La notoriété ouvre les portes aux intellectuels qui ont pignon sur rue. Qu’ils n’oublient pas qu’elle les oblige.
Matthias Halévi, professeur de philosophie, Strasbourg
Les mots que l’on emploie doivent être pesés au trébuchet. Dans le dernier paragraphe, M. Halévi parle d’Israël comme d’un État juif, conformément au souhait du sionisme originel, celui de Theodor Herzl par exemple qui parlait de Judenstaat, d’État des Juifs. Dans la ligne qui suit, il n’est plus fait mention que de l’État d’Israël. Comment, en deux phrases consécutives, peut-on passer de l’État juif à l’État d’Israël ? Les termes sont-ils synonymes, pour l’auteur de ce texte ? Il me semblait pourtant qu’Israël n’était pas un État « juif », c’est-à-dire qu’il n’était ni une théocratie ni un État dont le judaïsme serait la religion d’État, mais un État « laïc », composé de citoyens qui, s’ils sont majoritairement juifs – au sens religieux ou ethnique –, ne le sont pas tous exclusivement. Ce point ne me paraît pas un simple détail terminologique. Il me paraît même constituer un des nœuds du problème qui se pose à Israël afin de pouvoir se définir en toute conscience. Définition de soi qui engage autant la politique de cet État avec ses concitoyens non juifs ou ses voisins non israéliens, que son avenir géopolitique à plus ou moins long terme.
Dans le dernier paragraphe Mr Halevi parle du » demantelement intellectuel » de l etat juif , je me permet de le contredire : l âne nommé Chapoutot pratique plutot son propre demantelement , au vu de l indigence de sa culture .
Israel et le monde juif disposent d une vie intellectuelle riche et diversifiée et les » chapoutot » et autres pseudo experts temoignent surtout de l effondrement français , il suffit pour s en convaincre de lire les minables elucubrations antisionistes d un Henry Laurens , professeur au college de France pour mesurer a quel point l antisemitisme reste bien l apanage des haineux et des mediocres .
Oui l anrisemitisme detruit et avilit …… les laches et les antisemites essentiellement .
Bon nombre de pseudo historiens sont des propagandistes incultes utilisant leur statut professionnel pour véhiculer une réécriture militante de l’Histoire. En général, il s’agit de sympathisants de la mouvance indigéniste _ plus grande fachosphere de France et antisémite au plus haut degré. Certain(e)s d’entre eux ou d’entre elles enseignent depuis plus de 30 ans, alors imaginez les dégâts qu’ils ont pu causer sur les cerveaux spongieux de milliers d’étudiants…
Donc, non contents de n’avoir pas défendu haut et fort Georges Bensoussan et de l’avoir chassé ignominieusement, les dirigeants du Mémorial de la Shoah ont poussé l’irresponsabilité et l’incompétence jusqu’à engagé un Chapoutot. Quand changera -t-on cette direction dangereuse ?