
Depuis quelques années, le nouvel essor de l’antisémitisme, a pu conduire un certain nombre de citoyens français de confession juive à se poser la question de la redéfinition de leur engagement politique. Il est vrai que la France est le seul pays d’Europe où des Juifs ont été victimes d’assassins invariablement mus par l’idéologie du djihad, ou, ce qui est plus acceptable, à sa version universaliste, le ‘’palestinisme’’. Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur la chronologie de ces exactions, dont une partie a été assimilée par les autorités politiques et judiciaires de notre pays à des passages à l’acte pathologiques. Dans nombre d’occasions, depuis deux décennies, nous avons appris que la psychiatrie représente une saine alternative au droit pénal chez des juges soucieux de ne pas faire de vague.
Dans ce contexte, le ‘’danger islamiste’’ a permis à l’extrême droite française, mais aussi européenne, de recycler sa rhétorique séculaire. L’étranger y porte toujours le masque de la trahison, de la double allégeance, du danger, de la subversion des ‘’valeurs éternelles’’. C’est au demeurant une constante de cette même rhétorique de conjuguer à souhait le repli obsidional avec la suspicion obsessionnelle, à l’endroit de l’élément allogène, ou désigné comme tel. Par extension, il a toujours été dans la nature de l’extrême droite d’assigner tacitement à l’ennemi de l’intérieur ainsi désigné la fonction de ciment idéologique destiné à fortifier sa conception étriquée de la nation.
Et parce que la communauté juive de France se sent de plus en plus exposée, et fragilisée par la montée en puissance d’un antisémitisme débridé, qui ne se soucie plus de maintenir une distinction factice avec l’antisionisme, la tentation est grande pour beaucoup de ses membres d’envisager d’apporter leurs suffrages à une extrême droite dont certains représentants n’ont pas hésité à s’ériger en défenseurs de « nos concitoyens juifs » (« Nous serons un rempart… »).
Bien oublieux qui se laisserait prendre à cette mutation argumentative, qui consiste d’abord au plan politique immédiat à transformer un désarroi en opportunité électoraliste. Ce ne serait plus un argument de campagne, mais une véritable ‘’révolution…nationale’’ !
Deux contre-arguments, qui valent pour mémoire, demandent ici à être tirés de l’oubli.
Première question, à double détente : Un citoyen français de confession juive peut-il sensément apporter son suffrage à des formations politiques dont les fondateurs ont théorisé, justifié et donné leurs lettres d’infamie à l’antisémitisme moderne ? Un citoyen français de confession juive peut-il sensément, sans faire fi de l’histoire, ou mieux de son savoir familial, cautionner dans une élection où se joue aussi le devenir politique et éthique de l’Europe, des formations politiques dont la filiation s’enracine directement dans l’histoire de la déportation des Juifs de France ?
Deuxième question, elle aussi à double détente, après un second rappel. La principale formation de l’extrême droite a depuis plusieurs années fait savoir, par le biais de son programme officiel, que si ses représentants parvenaient au pouvoir, ils délégaliseraient la possibilité pour quelque citoyen français que ce soit de parcourir le monde avec deux passeports, ou seulement d’exciper d’une double nationalité. Pour l’extrême droite, un Juif a toujours été un ‘’élément allogène’’, un « cosmopolite ». Disons qu’aujourd’hui, pour les nouveaux fascistes, le ‘’métèque’’ a seulement changé de visage. De là à complètement naturaliser ‘’le Juif’’…
Mais à notre connaissance, depuis 1948, il existe quelque part dans le monde un Etat appelé Israël, lequel entretient quelque relation avec les Juifs du monde entier… Or la plupart, plus encore depuis le 7 Octobre 2023, n’y sont pas indifférents. Il est par conséquent bon, en la circonstance, d’ajouter à ce rappel, la réitération d’une très vieille recommandation : Ne jamais décider de rien, sans avoir réfléchi au mieux à toutes les conséquences de notre décision. Au risque de le regretter un jour.
© Georges-Elia Sarfati

Georges-Elia Sarfati : Philosophe, linguiste, psychanalyste existentiel. Fondateur de l’Université Populaire de Jérusalem. Poète, lauréat du Prix Louise Labbé.