Mon père Léon NISAND est né NEUGEWURTZ le 28 septembre 1923.
Cette semaine il aura disparu depuis 10 ans.
Son parcours éclaire singulièrement les interrogations et les engagements des juifs de France.
Il a fait ses études dans un des lycées classiques de Strasbourg, le lycée Fustel de Coulanges, et il nous parlait toujours de la montée de l’antisémitisme des années 30 avec ces camarades de classe qui soudain ne lui parlaient plus et commençaient à porter des chemises brunes, adhérant à la hitlerjungend présente de l’autre côté du Rhin.
Au lycée, il a appris le lancer de poids, ce qui lui fut utile lorsqu’il s’engagea dans la résistance dans le maquis des EIF (éclaireurs israélites de France) dans lequel il fut propulsé lanceur de grenades.
Replié avec toute la population de Strasbourg dès 1939 dans le sud ouest, il poursuivit des études d’élève rabbin en pleine guerre.
C’est ainsi que le grand Rabbin DEUTSCH lui proposa lorsque le Rabbin HIRSCHLER fut déporté de tenter de lui succéder en tant qu’aumônier des camps du sud ouest Gurs, Noé et Récébédou.
Avec l’inconscience de la jeunesse et son courage, il accepta, ce qui lui permit de sauver plusieurs internés que j’ai vus à la maison pendant mon enfance et des sifre Torah sauvés des camps qu’en toute inconscience il emportait dans le train.
Dans le maquis, il participa à l’attaque d’un train blindé allemand et à la libération de Castres par la Résistance.
C’est là qu’on le VOIT dans une photo exposée à Yad Vashem dans la partie consacrée à la résistance juive, sur le camion au milieu de la foule libérée.
C’est là aussi qu’il s’adressa à des prisonniers SS allemands en parcourant les rangs et en leur criant en guise d’ultime provocation et de tikoun (réparation): « Wir sind juden » (Nous sommes des juifs).
Après cela, il s’enrôla dans l’armée De Lattre de Tassigny.
Après guerre, il expédia très rapidement des études de médecine à Strasbourg, tomba amoureux et épousa Andrée LEVY, fille du médecin de la vallée de la Bruche, elle qui avait survécu à la guerre en Ardèche en donnant des cours d’allemand à la bourgeoisie locale.
Mon père, traumatisé par l’assassinat de son grand-père Abraham SHEVA WEISS à Auschwitz, décida que la place des juifs était en Israël et mes parents partirent en bateau en 1950 pour faire leur alyah.
À l’arrivée du bateau, ils choisirent le nom hébreu de NITSAN (bourgeon) pour signifier l’avènement d’une nouvelle vie.
Ils s’établirent dans des baraquements de la vallée de Beit Shean dans les kibboutzim d’Ein Hanatziv et de Sde Eliahou.
Là-bas, il fut enrôlé dans l’armée comme médecin et eut avec Andrée mes deux frères ainés.
De retour en France pour des raisons professionnelles, mon père s’engagea pour le droit des femmes en fondant au niveau national le planning familial puis il fut un franc-maçon convaincu et s’éloigna ainsi de sa pratique religieuse.
Je me souviens combien nous avions été atterrés par l’embargo sur les armes décrété par le général de Gaulle à l’égard d’Israël au moment de la guerre des six jours.
Et cette phrase du général sur « le peuple sûr de lui et dominateur »…
Que penserait mon père aujourd’hui au moment où la France boycotte Israël pour le salon de la défense ?
Son esprit de résistance aux idées reçues, sa résilience et sa double filiation avec la France et Israël nous servent encore de fil conducteur dans les temps troubles que nous traversons.
Il penserait probablement comme il l’a toujours fait dans un élan du coeur: « Vive la France et Am Israël Haï ».
© Raphaël NISAND
Chroniqueur sur Radio Judaïca
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