Yana Grinshpun, auteure, maître de conférences en linguistique et analyste de discours à la Sorbonne nouvelle, décrypte la rhétorique piégée de l’égérie Insoumise
La version courte de ce texte a été publiée par JDD. En voici la version longue
Rima Hassan se définit comme une palestinienne née dans un camp de réfugiés. Comment analysez-vous ce discours que la militante porte sur elle-même ?
Il s’agit au mieux d’une formulation abusive. Rima Hassan est née en Syrie, à Neirab, l’un des villages à accueillir des Arabes qui quittaient la Palestine mandataire suite au partage voté par l’ONU en 1948. 75 ans après, la militante continue sciemment d’employer le mot « camp », très connoté historiquement, indépendamment de la chose qui, elle, a disparu. Si au départ, les constructions des camps d’accueil étaient temporaires, (d’ailleurs, le sens du mot « camp » implique le trait de sens temporaire) elles se sont progressivement intégrées au système urbain des villes jusqu’à devenir de véritables quartiers. Quand les Juifs du monde arabe, expulsés de leurs pays d’origine, sont arrivés en Israël, ils étaient accueillis dans les camps temporaires (maabarot), sans eau ni électricité, dans des conditions de vie très difficile. Avec le temps, ces camps se sont transformés en villes (Migdal Haemek, Yoknaam…) ou ont intégré le paysage urbain.
D’où vient le qualificatif de « réfugiée palestinienne » ?
La définition de « réfugié » communément admise par les experts de droit international désigne des personnes ayant fui leur pays pour échapper à la guerre ou aux persécutions. Plus précisément il s’agit d’une personne qui « craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (Haut-Commissariat) ».
Ce statut est temporaire. La convention de l’ONU de 1951-1967 relative au statut des réfugiés ne mentionne pas les descendants des réfugiés et cesse de s’appliquer au cas où le refugié obtient la nationalité du pays d’accueil. Or, l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency), créée en 1950, adopte une résolution qui stipule que le statut de réfugié est transmis à leur descendance. Nous sommes devant un cas unique au monde, où depuis 1949, le nombre de « réfugiés palestiniens » ne cesse d’augmenter, juste par la naissance. Si cette anomalie juridique persiste, les arrière – petits- enfants de Rima Hassan et leur descendance, soient-ils détenteurs de nationalité française ou syrienne ou polonaise, pourront toujours se présenter comme « réfugiés palestiniens ». Les enfants nés de l’union d’un descendant des « réfugiés palestiniens » français avec une polonaise, par exemple, pourront toujours bénéficier de ce statut de « réfugié palestinien », tout en ayant la nationalité française et la nationalité polonaise. C’est le cas de Hassan, qui est bien citoyenne syrienne, détentrice de la nationalité de cet État. Se présenter comme une « réfugiée palestinienne » est une singulière aberration juridique qui lui est permise par la législation de l’UNRWA.
Il faut bien comprendre que les pays arabes n’ont jamais voulu donner leur citoyenneté aux Arabes Palestiniens, pour ne pas les intégrer dans leur paysage national et pour continuer à accuser Israël de tous leurs maux. Ni en Syrie, ni au Liban, ni en Iraq, ni en Egypte, ni en Jordanie. En ce qui concerne les « réfugiés palestiniens » en Syrie, force est de rappeler que Al Assad le père (Hafez al-Assad) ne leur a jamais donné aucun droit, et Al Assad le fils (Bashir al-Assad) a essayé d’exterminer quelques centaines de milliers de « réfugiés palestiniens » à Yarmouk. Rima Hassan n’a jamais mentionné ces « réfugiés », qui vivaient pourtant dans son pays d’origine, car ils ne l’intéressent pas, ne servant pas son jihad antijuif mené sur X, ni ses appels au soulèvement.
En tant qu’analyste de discours, comment percevez-vous la rhétorique de Rima Hassan sur Israël ?
En tant que professionnelle de l’agit-prop, elle sait trouver les mots mobilisateurs et jouer sur la psychologie des foules bien préparées idéologiquement par les décennies de la propagande anti-israélienne. Elle oppose systématiquement deux groupes dans son discours. D’un côté, sa base de soutiens, proches de l’extrême-gauche et de l’islam radical. De l’autre, l’adversaire, ceux qu’elle appelle les « sionistes », un terme qui désigne dans la langue commune les Juifs[1]. Par exemple, lorsque Rima Hassan publie une vidéo d’un drapeau palestinien et qu’elle commente : « Il était là avant vous, il sera là après vous », de qui parle-t-elle ? « Vous » renvoie aux Juifs et les soutiens d’Israël. « Il », c’est le drapeau de la « Palestine » – le drapeau adopté en 1974 par l’OLP, bien après la fondation d’Israël. Sans utiliser clairement le terme de « juif », Rima Hassan adopte un discours ambigu qui emprunte à la rhétorique antijuive, propre aux thèses islamistes du Hamas et la rhétorique antisémite de la gauche radicale.
Qu’est-ce qui vous permet d’établir cette proximité ?
Le groupe terroriste qui règne à Gaza est une branche palestinienne des Frères Musulmans. Dans sa charte, dite « amendée » en 2017, on lit : « Le Hamas ne lutte pas contre les Juifs parce qu’ils sont juifs, mais il mène la lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine » (art. 16). Le mot « juif » a été remplacé par le mot « sioniste », en s’inscrivant dans la continuité de la tradition nazie, incarnée par le Grand Mufti de Jérusalem, Haj Amin Al Hussejni. (En arabe, dans tous les discours des dirigeants du Hamas, on entend clairement « yahoud », « juif », très rarement « sioniste »). Et l’article suivant indique : « Le Hamas estime que le problème juif, l’antisémitisme et la persécution des Juifs sont des phénomènes fondamentalement liés à l’histoire européenne et non à l’histoire des Arabes et des Musulmans ou à leur héritage. Le mouvement sioniste, qui a pu avec l’aide des pouvoirs occidentaux occuper la Palestine, est la forme la plus dangereuse de l’occupation colonialiste qui a déjà disparu du reste du monde et doit disparaître de la Palestine ». Il faut lire attentivement les écrits de Florence Bergeaud-Blackler, pour saisir le rapport du discours antijuif violent, qui caractérise l’idéologie des Frères et l’idéologie décoloniale qui considère l’Occident comme fondamentalement impérialiste et colonialiste. Dans cette perspective, Israël et les Juifs sont dépeints comme « colonisateurs » ou « oppresseurs » par excellence. En somme, Rima Hassan tient à la fois le discours à la Sayyd Qutb, qui préconisait un combat total contre les Juifs et celui de la gauche radicale, qui préconise le démantèlement de l’Etat juif.
© Yana Grinshpun
[1] Une étudiante m’a rendu un devoir de Master où elle parle de la communauté musulmane et de la communauté sioniste (sic !) qui cohabitent en France.
Dernier livre (2023) : La fabrique des discours propagandistes contemporains. Comment et pourquoi ça marche ? (ed. l’Harmattan)
Lien renvoyant au JDD, propos recueillis par Erwan Barillot:
https://www.lejdd.fr/politique/yana-grinshp
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