Francis Moritz. Israël-Allemagne, le dilemme

Le point de départ

L’allié allemand

Le procureur de la Cour pénale Internationale est en passe de devenir un héros, après avoir lancé des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien, le ministre de La Défense, conjointement avec trois des dirigeants du Hamas, organisation terroriste reconnue par l’UE, l’Allemagne et d’autres gouvernements, par les États-Unis.

Il a réussi ce que d’autre n’avaient pas tenté jusque-là, mettre une organisation terroriste sur le même pied que le premier ministre du seul gouvernement élu démocratiquement du Moyen Orient. On peut contester la politique menée, le dirigeant. Pour autant c’est la première fois qu’une institution internationale réussit à mettre la victime et son agresseur dans le même sac.

Quel choix 

Ce faisant, le seul fidèle et meilleur allié européen d’Israël, l’Allemagne, se trouve brutalement confronté à un redoutable problème, inédit. La loi fondamentale Allemande qui fait office de constitution inclut Israël comme RAISON D’ETAT. C’est unique sur la planète.

L’Allemagne est signataire des décisions de la CPI. Ce qui l’obligerait à exécuter le mandat d’arrêt si le premier ministre israélien décidait de se déplacer en Allemagne. La question se poserait également en France et d’en d’autres pays européens. 

Pour Berlin, il s’agit définitivement d’un changement d’époque. Selon la formule, il y avait un avant et il y aura un après. Nous y sommes ! Plusieurs déclarations montrent à quel point Israël entre à son tour dans une nouvelle phase de ses relations avec l’Allemagne et au-delà avec l’Union Européenne. Les propos déjà attribuées au porte-parole du gouvernement: « L’Allemagne arrêterait Netanyahu si … » « L’Allemagne l’extraderait…« 

Leader du parti d’opposition CDU, Friedrich Merz considère « cette simple pensée comme absurde,  le silence du gouvernement jusqu’à la suggestion de son porte-parole, selon laquelle Netanyahu pourrait être arrêté sur le sol allemand est en train devenir un véritable scandale ».  Après la réunion du gouvernement, son porte-parole Steffen Heberstreit déclarait « combien il est difficile pour le gouvernement de prendre une position claire ».   Il a d’abord du démentir des rumeurs selon lesquels le chancelier Schoiz aurait été choqué par l’annonce du procureur général. En revanche, l’Allemagne a souligné les différences qui existent dans le traitement réservé à Israël. Certains ont voulu faire un subtil distinguo entre Israël l’état et Benyamin Netanyahu, personne physique. 

L’une des règles de la Cour pénale est qu’elle ne peut s’auto-activer que si l’état en question ne peut pas, ou ne veut pas mener lui-même des enquêtes. Mais les juristes sont loin d’être unanimes sur ce point, dont l’application concrète reste ouverte au débat.

Plus de 120 pays ont ratifié le statut de de Rome, qui est le traité fondateur de la CPI. Ce n’est pas le cas des États-Unis et d’Israël. On doit ajouter que l’Allemagne est un des principaux soutiens de la CPI, qui enquête depuis 2002 sur diverses violations telles que le génocide, les crimes de guerre et qui prononce des jugements et des peines.

À ce titre, Berlin lui a transféré près de 20 millions de dollars en 2023.

Les effets de ces inculpations dans le monde et en Israël sont diamétralement opposés.

En Israël-même, cela a eu l’effet de rassembler la très grande majorité des citoyens et de fait pratiquement l’ensemble des partis et hommes politiques, sauf les partis arabes. Tous se sont élevés contre le fait qu’on puisse les inculper, à travers les deux mandats lancés contre ses dirigeants, quelle que soit l’opinion des uns ou des autres, partisans ou opposants. Cette décision du CPI est comprise et considérée comme une agression supplémentaire à celle du Hamas. Elle est assimilée à une complicité implicite qui ravale l’état démocratique au rang d’une organisation terroriste. Le procureur général de la CPI a donc réussi à resouder temporairement opposants et soutiens du premier ministre. Ce qui n’est une moindre performance.

L’Allemagne ne pourra pas longtemps se dérober à ses obligations, tant nationales qu’internationales.

Pays le plus important de l’Union européenne, elle doit honorer tous les engagements que lui imposent ses lois nationales et ceux qui la lient dans de multiples accords internationaux.

Son gouvernement toujours constitué d’une coalition tripartite doit faire face cette année et en 2025 à diverses élections. Les tensions internes sont nombreuses et permanentes. Le parti d’extrême droite AFD n’est pas le dernier à attiser les flammes du racisme et de l’antisémitisme. Il ajoute une dimension supplémentaire qui amplifie le tsunami des actes antisémites. Une partie de la population se fait entendre à l’unisson des manifestations anti-israéliennes. Les réseaux sociaux largement alimentés par la propagande pro Hamas font le reste. Les victimes sont désormais transformées en agresseurs. Cette image est désormais largement véhiculée et très peu nombreux sont les médias qui soufflent un vent contraire en Europe.   

Ce changement se double d’une situation géopolitique très préoccupante pour l’Europe et l’Allemagne en particulier. L’invasion russe en Ukraine a été le premier changement radical d’époque. A tel point que l’Allemagne a changé sa loi fondamentale pour acter son réarmement. Depuis, le gouvernement s’évertue à développer toutes ses capacités militaires grâce à un budget de cent milliards d’euros au sein de l’OTAN.  Boris Pistorius, ministre de la Défense, est l’homme politique le plus populaire du pays, alors que le chancelier l’est beaucoup moins.  Il y a conjonction entre ses projets et ambitions notamment de porter le budget actuel de 2% ( qu’il considère comme un plancher) à plus de 4% et la volonté d’une large partie de l’opinion qui semble prête à en découdre avec la Russie à ses frontières.  

En France, une semaine avant l’élection européenne, l’exclusion des 74 entreprises israéliennes qui devaient participer au salon des industries de défense de Satory représente un pas de plus dans l’isolement d’Israël. On est en droit de s’interroger sur cette soi-disant annulation pour des motifs de sécurité qui s’assimile à un boycott ne disant pas son nom. On pouvait faire confiance aux autorités israéliennes pour prendre les mesures nécessaires, même dans un pays étranger. L’en-même-temps est de rigueur, C’est un coup porté à une démocratie en guerre contre l’idéologie des Frères Musulmans qui est dejà largement présente en France. Mais on semble totalement aveuglé et tétanisé par toutes les images même truquées, diffusées par le Hamas, sans que les médias occidentaux prennent la peine de vérifier les informations. 

L’annonce d’une nouvelle proposition de cesser le feu pourra peut-être constituer un élément nouveau, susceptible de calmer la situation actuelle, s’il aboutit. Nous le saurons très rapidement. 

Le point d’arrivée

L’Allemagne ne pourra pas résister longtemps aux multiples pressions intérieures et extérieures. Elle devra, dans la douleur et quoi qu’il en coûte, aligner sa position sur celles des grands pays signataires de la CPI, pour tenir son rang de puissance émergente au sein de l’Union Européenne où elle veut jouer un rôle de leadership avant Paris et sur le plan international. Cela pourrait se traduire par un second changement majeur dans la loi fondamentale : la suppression ou la modification de la Raison d’État à propos d’Israël. La pression des jeunes générations est croissante à cet égard. Ce pourrait être un des enjeux des prochaines élections législatives de septembre 2025.  A court terme, le dilemme allemand sera de courte durée. Les dures réalités de la realpolitik vont vite reprendre le dessus.  

© Francis Moritz


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


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1 Comment

  1. Peut-être faudrait-il avoir l’honnêteté de reconnaître que l’UE est une (méga) gigantesque imposture politique, un ensemble de sociétés déliquescentes et semi-totalitaires au bord de l’implosion voire de la guerre civile. Sur le plan diplomatique, l’UE est soumise
    1) aux régimes islamistes
    2) aux USA (qui sont eux-mêmes tombés aux mains de l’islamisme et de l’obscurantisme anti-occidental). La preuve en est faite depuis deux ans.

    L’Allemagne est-elle une « grande puissance »😈 parce qu’elle vend (ou vendait) beaucoup d’automobiles ? Bof.
    L’UE n’est depuis le début qu’une farce sinistre et certains de ses membres y compris l’Allemagne finiront comme le Liban.
    Il faudrait que les Israéliens s’en rendent compte, si cela n’est pas déjà fait.

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