Le débat sur la fin de vie me touche.
Comme médecin et comme humain qui aura une fin de vie.
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J’ai travaillé en unité de soins palliatifs à l’Hôpital St Louis de Jérusalem. Des malades avec des cancers en phase terminale ou victimes d’accidents vasculaires massifs réduits à un état végétatif.
Ces derniers étaient les plus difficiles à évaluer, car ils ne pouvaient pas exprimer leurs souffrances et leurs volontés.
La mort rodait dans les couloirs, comme le rabbin de la Hevra Kadisha et le prêtre franciscain, oiseaux de mauvais augures, que j’en étais venu à détester.
J’étais à chaque fois désemparé, quand l’infirmière-chef, Sœur Christina, me demandait d’augmenter les doses de morphine.
« Il souffre trop… »
Elle n’avait pas besoin de me le dire. J’entendais hurler derrière la porte d’une chambre.
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Un groupe de jeunes infirmières allemandes, se sont portées volontaires pour travailler dans notre hôpital.
Le chef de service, le Dr L. les a reçues dans son bureau.
Elles ont expliqué qu’elles venaient en Terre Sainte pour aider à soulager ceux qui souffrent, pour soigner des juifs. Une façon de réparer les crimes de leurs aînés.
Pour avoir observé leur dévouement par la suite, je sais qu’elles étaient sincères.
Le visage du Dr L. était fermé, il a été à peine aimable, et il leur a sèchement expliqué les tâches qu’elles auraient à accomplir.
Je me tenais discrètement derrière lui, un peu gêné de cet accueil plutôt froid.
Le Dr L. m’avait raconté son histoire d’enfant caché en France pendant l’Occupation. Ses parents n’étaient jamais revenus des camps d’extermination. Il avait été élevé par son grands-père qui avait survécu.
Il parlait un hébreu parfait, très littéraire, teinté d’un accent parisien prononcé.
C’était un médecin d’une très grande humanité, mais ne s’embarrassant jamais de la moindre politesse. Un homme rugueux, que je n’ai jamais vu abandonner le moindre malade.
J’étais seul, sans famille, à Jérusalem et il m’avait adopté m’invitant chaque Shabbat chez lui.
Nous parlions souvent ensemble des romans de Romain Gary. Il voulait me convaincre que Gary était le plus grand écrivain français.
« Tu devrais lire la Danse de Gengis Cohn ! »
Devant son insistance, j’ai fini par le lire.
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Lorsque les infirmières allemandes sont sorties de son bureau, je lui ai dit :
« Tu n’as pas été très accueillant… »
Il a ouvert un tiroir de son bureau.
Ce tiroir était vide en dehors d’une pièce d’étoffe jaune vieillie. Une étoile.
Il m’a répondu :
« L’étoile jaune que portait ma mère. »
Et il a refermé le tiroir.
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J’ai compris que lui qui aidait des hommes et des femmes à mourir dans la dignité, ignorait ce qu’avait été la fin de vie de ses parents.
© Daniel Sarfati
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