Georges-Elia Sarfati. Le cessez-le-feu et la paix vs la victoire et la paix

Ce pourrait être l’énoncé d’un dilemme, celui du gouvernement d’un seul Etat. Mais au lieu qu’il s’agisse d’un choix sérieux offert à la délibération d’un même acteur, disons d’emblée que les termes de ce faux choix dénotent aussi bien d’une différence de situation que de mentalité.

Rarement la politique internationale aura été aussi préoccupée des agissements d’Israël, comme l’opinion à charge du moment, depuis la riposte militaire israélienne, puisque gouvernement est résolu à mettre un terme à la puissance de feu du Hamas, ainsi qu’à son hégémonie politique parmi les populations de Gaza et de Judée-Samarie.

A l’unanimité, surmontant leurs différends les plus irréductibles – comme l’opposition entre démocratie et totalitarisme- les nations exigent à cor et à cri un cessez-le-feu. Ajoutons que cette aspiration commune ne recule pas même devant la corruption irréversible de la notion de droit international, tant que c’est aux fins de ruiner la réputation d’Israël. Bien des calculs entrent dans l’expression de cette unanimité. Avant tout, le principe de la cessation des hostilités s’enracine dans un pacifisme doctrinaire qu’aucun Etat confronté à une menace existentielle n’a la possibilité de s’offrir. Mais dans la vieille Europe qui n’a plus l’expérience de la guerre, bien que la Russie tende à rouvrir l’histoire à la violence collective, il se professe un moralisme de convenance aveugle, tant et si bien que le jugement de réalité s’en trouve faussé, à commencer par la seule appréciation de l’adversité. Pour cette Europe dévitalisée, qui ne semble plus même se soucier de ses racines, ni de sa continuité, l’idée même de défense nationale suscite gêne et réprobation. 

L’Occident, l’Asie, l’Afrique du Sud, l’Amérique latine, et même les USA et le Canada soutiennent qu’il est nécessaire de faire taire les armes pour que la paix advienne. Laissons de côté une opinion mondiale en grande majorité massivement désinformée, et considérons seulement quel crédit peut sérieusement être accordé à cette représentation des plus simplistes : Qu’il suffirait qu’Israël mette un terme aux hostilités contre le Hamas, pour qu’advienne un Etat de Palestine vivant pacifiquement à ses côtés. Il y a derrière cette conviction une stratégie de mise en minorité définitive de l’Etat d’Israël. L’argument pacifiste sert à la fois la vision d’un ordre mondial fondé sur la compromission planétaire avec le terrorisme, et la volonté d’empêcher Israël de parachever le long processus de recouvrement de sa souveraineté.

L’unanimisme que nous évoquions plus haut se nourrit de nombreux calculs : pour le Brics, Israël – bien qu’il soit tout autre– incarne un symbole de l’Occident honni, et pour l’Occident, Israël représente un fantôme qui fait retour dans l’histoire, tant on avait cru à l’efficacité de toutes les logiques de substitution (théologique, politique, symbolique, éthique, géographique, et même toponymique depuis l’effacement du nom de la Judée au profit de celui de “Palestine”). Pour l’Orient et l’Asie musulmans il n’en va pas autrement : Israël n’avait plus de consistance historique depuis longtemps, et sa présence contrevient au mythe guerrier de la théologie politique du dar al islam.

Ce à quoi le monde aspire de toutes ses forces en présentant comme réaliste et souhaitable l’idée de cessez-le-feu, c’est en vérité au principe même d’un inachèvement de la guerre, ce qu’Israël ne saurait concevoir, puisque le maintien du Hamas –fût-ce sous une forme résiduelle- enfoncerait l’Etat juif dans une logique de guerre inextinguible. Un cessez-le-feu reviendrait à accumuler tous les motifs de guerres répétées, de guerres par provision, de guerres futures, en quelque sorte déterminées par le concert des nations, au seul bénéfice de leurs intérêts immédiats.

Le principe même d’une paix issue d’un cessez-le-feu dans une guerre de riposte contre une armée de Frères musulmans est une contradiction dans les termes : soit le fruit d’une volonté tacite de conditionner l’existence d’Israël à la pesée d’une menace constante, soit le témoignage d’une méconnaissance aberrante du projet de l’islam radical. Ou les deux.

L’Europe est désormais trop compromise avec l’idéologie antisioniste pour que ses appels soient crédités de la moindre visée de sincérité. Ses élites se sont tendanciellement converties à une hostilité de principe à la réalité d’un Israël historique de nouveau souverain, et pour l’heure ses liens de dépendance économique, mais aussi budgétaire, vis-à-vis des monarchies pétrolières sont bien trop forts pour que ses valeurs fondatrices priment ses intérêts, diplomatiques aussi bien que financières. Les puissances émergentes qui forment le Brics combattent souterrainement l’Occident en se liguant contre Israël, la Russie et l’Iran de façon ouverte, les autres partenaires indirectement.

Les opinions désinformées le sont afin de faciliter cette manœuvre de tentative d’isolement et d’affaiblissement d’Israël : leurs gouvernements leur ont depuis bien longtemps jeté en pâture le nouvel opium du peuple que constitue le palestinisme, dont nul ne sait plus très bien s’il s’agit d’un nouvel internationalisme, d’un idéal éthique qui tient lieu de nouvel humanisme fantasmé, ou simplement de la dernière méthode de domination, via un processus au long terme de mise en conformité massive des attitudes. Une sorte de soleil en quelque sorte, capable de capter indéfectiblement tous les élans du cœur.

Mais pour Israël, la seule certitude dont il puisse se prévaloir, c’est qu’il lui est un impératif vital d’assumer pleinement et résolument sa solitude. Une solitude destinale, qui n’est pas à déplorer, dont la signification est à redécouvrir. Cette solitude qui se noue  à l’hostilité identitaire des nations, et qui se manifeste jour après jour comme une longue diatribe diffamatoire, nous révèle d’abord que ces nations vivent comme un reproche à leur endroit l’existence d’un Etat juif. Un reproche vivant qui leur objecte leur mensonge et leur ingratitude, leur manque de rectitude et leur avachissement moral, cette existence qui les oblige à un vis-à-vis pénible avec leurs mémoires refoulées et leurs oublis faciles, leurs élans de solidarité à bon compte : celui qui consiste notamment à préconiser, en pleine guerre contre une mouvement génocidaire et qui le répète-  la création d’un Etat palestinien, sans demander le moindre compte, ni du passé ni du présent à un peuple érigé sur le seul refus et dont la seule raison d’être est -de mémoire d’Israélien- l’annihilation de ses voisins.

Lancer des appels au cessez-le-feu en pleine guerre contre le djihad c’est plaider pour un dangereux statu quo : ce statu quo rassurera un temps les plus éloignés, et complaira à leur bonne conscience de pacifistes doctrinaires, tandis que la situation qu’il engendrera ne sera pas même en mesure de tricher sur la qualité d’une paix qui n’aura pas même l’espérance de vie d’une promesse trahie. La seule voie fertile pour le devenir d’Israël – et par ricochet d’un monde qui pourra encore se dire libre- consiste à changer la carte du Proche Orient par une victoire complète. La paix véritable est à ce prix. Toute autre orientation serait folie illusoire ou folle compromission.

© Georges-Elia Sarfati

Georges-Elia Sarfati : Philosophe, linguiste, psychanalyste existentiel. Fondateur de l’Université Populaire de Jérusalem. Poète, lauréat du Prix Louise Labbé.

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