Alain Bienaimé. Mélenchon et l’usage politique de la question juive et de la nation

Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon. © MaxPPP

Les Européens et plus généralement les Occidentaux sont assez souvent universellement haïs. Mais que demande-t-on à ces mêmes Européens tellement haïs ? Des visas afin de venir vivre et s’installer en Europe, tout en refusant d’y être tenus pour des “bystanders” ou de simples spectateurs. Ce qui conduit tout ce processus migratoire, inédit par son ampleur depuis le bas Empire, ce n’est pas la morale et le souci de l’autre, mais la pression démographique comme toujours. Pour les Juifs israéliens, la démographie est un péril redoutable puisqu’elle donne de solides arguments aux tenants de l’anticolonialisme radical, antisioniste et antisémite, à savoir tous ceux qui veulent obtenir, en une pierre deux coups, la disparition d’un État et des Juifs qui en sont les citoyens. Désormais, en effet, antisionisme et antisémitisme ne sont plus antinomiques, comme on pouvait encore le prétendre avant le 7 octobre. Allons même plus loin, l’antisionisme est devenu le nouveau nom de l’antisémitisme, car la haine du juif n’exprime plus la haine d’une croyance ou d’une prétendue race mais d’un statut civique et politique, celui de l’israélien, enfant de l’Occident et du colonialisme. C’est ce juif-là que la France Insoumise combat tous les jours à l’occasion de sa campagne pour les élections européennes. Ce nouvel antisémitisme politique, à la différence des formes antérieures, et qui n’ont pas disparu, procède d’une morale universaliste, humaniste, antiraciste. Il est donc porté, à gauche tout particulièrement, par une bonne conscience à toute épreuve, qui lui confère un pouvoir de séduction, comme un potentiel criminogène, difficilement mesurable.

C’est ce qu’a compris parfaitement LFI et son “lider maximo”, lequel conduit un combat révolutionnaire en toute conscience et de façon parfaitement cohérente. Tout joueur d’échecs apprend à ne jamais sous-estimer son adversaire, surtout en croyant, bien souvent à tort, que sa position est perdante. Quelles sont les données factuelles qui guident les choix tactiques de Mélenchon dans ses provocations propalestiniennes et les préférences communautaires qui s’ensuivent ? Effondrement démographique des Français dits de souche (les fameux “souchiens”  ou “sous-chiens ” ?). Fin du modèle universaliste républicain face à des Européens incapables d’imposer ou de proposer – restons lucides – aux nouveaux arrivants une culture consistante, eux qui vivent le rapport au passé sur le mode exclusif de la pénitence. Les communautés ne peuvent donc s’imposer in fine que sur des bases ethnico-religieuses, permettant de les définir et d’en caractériser le folklore (vestimentaire, culinaire, religieux, artistique, etc.) grâce auquel elles deviennent “bankable”, pour constituer une part de marché ou d’audience importantes pour le commerce et les médias. Sans oublier qu’il faut que ces communautés soient aussi des communautés souffrantes, composées de victimes, sous peine de n’être qu’une vulgaire communauté dominante, oppressive, fasciste, c’est-à-dire une nation. La légitimité n’est plus du côté des dites “nations” – dont le mot même évoque la nature, la naissance, bref le sang et la race, mais de celui des minorités et de leurs particularismes divers qui sont appelées à les atomiser ou de l’humanité mondiale, qui est appelée à les dépasser. À ce titre, pour Mélenchon, Israël représente LA nation exemplaire : l’État-nation völkisch par excellence qu’il faut donner en pâture à LA communauté exemplaire : celle des quartiers populaires islamisés. Car si la nation est le fruit empoisonné de la nature et fauteur de guerre, la communauté, elle, en revanche, est le fruit salvateur de la volonté, l’enfant chéri de la fraternité et de la paix. 

Les États-nations sont des entités politiques en sursis : l’extrême-gauche internationaliste et le Vatican dansent sur leur cadavre. Ce n’est plus la volonté générale, devenue simple expression du droit du plus fort, qui doit gouverner le monde, mais les volontés particulières de chaque communauté, voire de chaque personne singulière, dominées, opprimées, et qu’il faut libérer de la domination du peuple compris comme nation. L’intérêt général n’est qu’une fable au service d’intérêts qui ne le sont pas. La plèbe (plebs), l’ensemble des dominés, le populo, ne peut plus se reconnaître dans le peuple (populus), c’est-à-dire la nation. Si l’on pouvait dire en 1789, inspiré par Rousseau, que : “la loi est l’expression de la volonté générale”, il faut dire désormais, si l’on est de gauche, que les droits sont l’expression des volontés particulières, et le moyen principal par lequel ces volontés parviennent à se faire reconnaître socialement et politiquement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le “Contrat social”, violemment opposé aux communautés, et que Rousseau nomme des “factions”, peut être tenu par Burke et les libéraux britanniques, pour le texte fondateur, non de la République, mais du totalitarisme ! En somme, il n’y aurait plus sur terre, que l’anomalie israélienne, fidèle en cela à la lettre du Contrat social, qui refuserait son effacement national. Les nations, quant à elles, ont enfin toutes fini par avoir honte d’exister, compte tenu de cette procession de crimes qui formeraient, à ce que ses détracteurs prétendent, la trame exclusive de leur histoire. Comment dans ce contexte oser parler encore d’assimilation ou d’intégration, quand on n’a plus personne en boutique à faire admirer et que chaque grand homme du passé est sûrement un imposteur qui a échappé à la vigilance de ses juges d’instruction.

Pour prendre le pouvoir, c’est-à-dire instaurer cette VIe République qui sera sûrement un camp exemplaire pour les historiens du futur, Mélenchon le sait bien, en bon lecteur de Malaparte et de Hitler, il faut pouvoir compter sur une troupe de cinq cents personnes absolument déterminées. Les millions d’autres suivront par adhésion ou par peur. L’histoire nous l’apprend. Le nombre est secondaire en la matière. Même souci de sa part, comme Hitler avant lui, de cliver, de radicaliser en permanence. Même confiance sans limite dans le pouvoir de la rhétorique pour “enflammer” les foules : cela est toujours efficace, partout, dans le Hofbräuhaus à Munich comme sur le vieux port à Marseille, à l’heure des réseaux sociaux et des épiphanies hologrammiques. Être ce tribun de la plèbe charismatique et hystérique dont le corps est sacré. “La République, c’est moi”. On connaît la chanson, c’est la version mélenchonienne du Führerprinzip. Mais aussi, et surtout, même emploi de l’antisémitisme comme recherche du bouc-émissaire, figure nécessaire dans un manichéisme de haine et de combat où on ne raisonne plus que par l’opposition incessante du “eux” et du “nous”. La lutte révolutionnaire est d’abord une guerre de chaque instant. Et pour Mélenchon, la “tortue sagace”  (sic), c’est visiblement son ultime combat, la justification de toute une vie. Là où le Juif était jadis la figure exemplaire de ce maudit déraciné qu’était le bolchévique russe ou le financier de Wall Street, menaçant le peuple allemand dans son existence nationale et ethnique, il devient, pour Mélenchon, la figure exemplaire de ce maudit enraciné, de cet occidental blanc, fasciste et anti-musulman. Le Juif est donc toujours maudit. Une fois de plus.

Pour les Juifs, il est à craindre qu’il y ait là une sorte d’alliance objective entre deux forces qui à la fois s’opposent et se conjuguent pour combattre leur attachement séculaire à une terre et à une alliance qui leur interdisent d’être de partout et de faire simplement partie des “nations”. “Vous êtes des colons, honte à vous de nous trahir ! “, hurlent d’un côté les antisionistes pour séduire leurs frères musulmans. “Vous n’êtes plus des errants, ces voyageurs sur la terre que vous avez été jadis, honte à vous de nous trahir !”, disent de l’autre côté les philosémites chrétiens qui peuplent le Vatican et remplissent les colonnes de “La Croix”. Car ceux qui disent aimer les Juifs sont un peu comme les nazis ou les antisémites qu’ils combattent ou croient combattre : comme eux, ils préfèrent les Juifs morts, les Juifs du passé quand ils n’étaient pas encore d’odieux israéliens, mais des aimables Juifs, vivants dispersés, reclus dans des ghettos, victimes résignées de pogromes saisonniers, mais préservés, par chance, de la peste nationaliste, fasciste et sioniste.

C’est donc bien le Juif en tant qu’israélien qui est objet d’une haine universelle, et “juif israélien” est une expression qui tend à devenir un pléonasme pour l’extrême-gauche et les institutions du droit international, toutes héritières du jus gentium de la renaissance espagnole, héritage qui ne porte guère, on s’en doute, au philosémitisme. La question juive n’est plus qu’un problème politique voire géopolitique désormais. Quant au Juif de la diaspora, non-israélien, il est confondu avec le juif israélien qu’il le veuille ou non, qu’il adhère ou non au sionisme. C’est là une configuration tout à fait inédite, qui fait de tout juif dans le monde un représentant d’Israël, responsable aux yeux des “nations” autant de l’existence honnie de cet État, que de la politique que mène son gouvernement pour faire qu’il dure, quand il devrait sagement s’effacer, comme cela se fait partout ailleurs sur terre. Car s’entêter, c’est tourner le dos au progrès, c’est se déclarer ouvertement un ennemi de l’humanité. Toutes les divisions, les séparations sont jugées régressives et condamnées. Israël est donc une régression. Une anomalie qui ne va pas dans le sens téléologique d’une histoire mondialisée, globalisée, que défendent tous les progressistes, avec euphorie. Un juif n’a plus besoin de faire son alyah pour se trouver en Israël : il y a déjà mis un pied en tant que juif, sans même avoir à s’y rendre, et c’est d’ailleurs pour ce motif qu’il est agressé, voire assassiné ici même en France, comme l’actualité récente en fournit, hélas, de trop nombreux exemples.

Les larmes versées après le 7 octobre auront bien vite été séchées. Et la guerre qu’Israël mène pour sa survie, au nom de la nation juive toute entière, aura vite été transformée en guerre d’agression contre le Hamas, voire en un génocide dûment planifié contre le peuple palestinien. C’est là le scénario écrit par Jean-Luc Mélenchon et suivi dans sa réalisation par sa script girl Rima Hassan. C’est une série beaucoup inspirée du “Protocole des sages de Sion”. Un remake tourné, en somme, avec les moyens sans limite de l’industrie du spectacle et qui pourra être projeté prochainement dans cette salle de cinéma qu’est devenue l’Assemblée nationale de notre pays.

© Alain Bienaimé

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4 Comments

  1. Merci pour cette analyse lucide de la situation de nos Etats-nations. Le wokisme et sa politique identitaire ne font que renforcer le délitement de la cohésion sociale, puisque chacun est renvoyé à son clan et se doit de défendre l’intérêt dudit clan plutôt que l’intérêt général… L’explosion de l’antisémitisme est la conséquence de cette rhétorique décoloniale et soi-disant antiraciste. Quand les pouvoirs publics vont-ils enfin prendre en compte la dangerosité de ces théories et arrêter de subventionner les associations qui les propagent?

  2. Le wokisme ou “décolonialisme” une idéologie nazie. L’analyse est bonne mais incomplète, trop en deçà de la réalité. En outre, il faut souligner la complicité objective de nos gouvernements et de l’UE. En France, la peste islamonazie est d’ailleurs arrivée au pouvoir dès 1981.

  3. Le cohésion nationale française a été brisée par l’immigration de masse acceptée et encouragée par la gauche universaliste, laïque et républicaine. Celle-ci (Pina, Fregosi, Enthoven, Bensoussan et autres) se plaint des conséquences de son idéologie, à savoir l’indigénisme et la haine de tous contre tous, sans remettre en cause ses présupposés de base. Gauche républicaine et la LFI qui en est issue sont responsables du chaos multiracial dans lequel la France est plongée. Il était illusoire de vouloir faire cohabiter des cultures par essence hostile les unes avec les autres. Quand les juifs progressistes s’en sont aperçus, il était trop tard pour y porter remède.

    • Réponse à Josset
      Il n’y aurait pas de problème des immigrés et de l’immigration si Valery Giscard d’Estaing n’avait pas mis en place par décret le DROIT DU SOL et du Regroupement familial en 1974-75 avec son PM Barre , tout cela pour plaire aux arabes et au patronat qui demandait une main d’œuvre pas chère
      Nous payons la facture
      En plus ses négociations avec les pays arabes en 1974 ont permis l’ouverture pour la première fois un bureau des terroristes de l’OLP à Paris avec immunité diplomatique
      Giscard sera le fossoyeur de l’identité française
      Sans lui et avec simplement des contrats de 3-5 ans nous n’aurions pas cette invasion qui ira en grandissant avec toutes les conséquences économiques sécurité sociales et surtout politiques

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